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Accueil du site > Tribune Libre > Corneille, nègre de Molière ? Le débat est plus vif que jamais

Corneille, nègre de Molière ? Le débat est plus vif que jamais

Guerre de tranchées sur la scène académique. Depuis un siècle, une poignée de férus de l’histoire du XVIIème siècle maintient mordicus que Corneille (1606-1684) a écrit une grande partie des pièces de Molière (1622-1673). Au début des années 2000, le débat est relancé de façon véhémente. De nouvelles méthodes statistiques permettent de différencier les auteurs de textes variés. La similarité entre Molière et Corneille serait unique dans l’histoire de la littérature. Impensable pour les tenants de la thèse classique qui font feu de tout bois, sans réussir à éteindre l’incendie. Allons-nous assister, grâce aux mathématiques, à une révolution dans l’histoire de la littérature française ?

Manifestement, le haussement d’épaules ne suffisait plus. Georges Forestier est professeur d’histoire littéraire à la Sorbonne. C’est le plus éminent représentant de la thèse classique, celle que nous avons tous apprise à l’école : Molière a écrit seul ses chefs-d’œuvre : Dom Juan, L’Avare, Le Misanthrope, etc. Le professeur Forestier a donc décidé d’ouvrir un site dans lequel il entend expliquer pourquoi Molière est bien l’unique auteur des pièces de Molière.

Ce qui frappe, c’est tout d’abord la violence des attaques que Georges Forestier se permet. Il avait d’abord parlé de « canular », mais d’évidence cela ne correspond pas du tout à la situation actuelle. 

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Georges Forestier

Les partisans d’un Molière prête-nom de Corneille « se sont enfoncés, soutient désormais Forestier, dans une démarche visant à inventer purement et simplement de fausses connaissances, à nier les connaissances avérées, à proposer des lectures biaisées des textes. » Forestier assimile même ses opposants à des « négationnistes ». Le ton n’est pas académique, et encore moins cordial. On est plus proche de l’accusation de blasphème : un blasphème qui porterait à moitié sur Molière, saint patron de la langue française, et à moitié sur des décennies de conclusions universitaires, transmises de directeurs de thèses en doctorants. Autant dire que l’emploi d’une telle rhétorique est contre-productif et amène immédiatement à se demander si celle-ci n’est pas là afin de ligoter le débat, comme un signe d’une faiblesse de la position classique.

L’affaire Corneille-Molière a pris de l’ampleur depuis que deux méthodes statistiques différentes aboutissent au même résultat : les œuvres de Molière et de Corneille se confondent pour une large part.

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Dominique Labbé

La première étude fut publiée en 2001 par Dominique et Cyril Labbé et la seconde le fut en 2010 par deux universitaires russes, Mikhail Marusenko et Elena Rodionova. Dès lors, les vigoureuses et véhementes discussions qui ont entouré les publications des Labbé semblent pencher en faveur des iconoclastes. Car la probabilité est faible pour que deux outils statistiques, ayant fait leurs preuves dans toute une série de tests, échouent précisément quand il s’agit de dire qui a écrit Tartuffe ; qu’elles échouent précisément alors qu’une contestation des attributions traditionnelles est bien logiquement possible et ne date pas d’hier.

Statististiques vs. paradigme historique

En réalité, ce débat est encore plus intéressant et dépasse le cadre franco-français. Les éléments purement historiques en faveur de la thèse d’un Molière prête-nom ont été largement employés et débattus depuis les années 2000. Mais ils ne pourront jamais suffire à eux seuls. Si, par pure hypothèse, on admettait que ces arguments prouvent de façon quasi-certaine la thèse iconoclaste, ils ne peuvent pas renverser immédiatement la vapeur au sein de l’université. Les universitaires sont aujourd’hui encore si certains que Molière est l’auteur de ses pièces que seul un papier signé de la main de Corneille et décrivant le processus de collaboration entre lui et le comédien serait sûrement capable de les faire changer d’avis. Et il y a bien sûr le facteur humain : des carrières sont en jeu, des décennies d’études personnelles, le regard que porte votre famille sur vous, etc. Les rails de la pensée concernant la littérature française sont bien trop en place pour permettre un changement brusque. Et cela explique le discours peu sympathique que réserve Georges Forestier à contradicteurs assimilables à des « négationnistes ». Il lui semble qu’ils déraillent. Cela ne peut être autrement. Et peut-être Forestier a-t-il raison. Et peut-être pas…

Dès lors, est-ce que des éléments statistiques sont capables de modifier cette pensée structurante et un brin circulaire, autrement dit ce paradigme ? Même au XXème siècle, il a fallu des décennies pour que la théorie de la dérive des continents soit abordée sereinement par la communauté scientifique. Mais, dans notre cas, qu’adviendrait-il si une autre étude statistique montrait encore, par des moyens différents, que, chose unique dans la littérature, les styles de Molière et Corneille se confondent ? Et si deux études supplémentaires apparaissaient ? Cela suffirait-il aux partisans de la thèse classique pour reconnaître leur erreur ? Ou considèrent-ils qu’une conclusion historique est une forteresse inexpugnable, que par définition le royaume historique et le royaume de la statistique du langage n’ont pas de larges terres à cultiver ensemble ?

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Molière

En fait, ces études supplémentaires sont déjà en train d’apparaître : les combinaisons des verbes les plus fréquents offrent des similitudes frappantes entre Molière et Corneille, mais pas entre Racine et Molière ou Racine et Corneille ; le mot « amour » est le substantif le plus employé chez Molière et Corneille mais semble-t-il pas chez leurs contemporains... L’irruption de la statistique dans le domaine de la preuve historique constitue un tournant majeur dans le domaine des sciences humaines. Et un défi de taille… A savoir, quel poids accorder quand un résultat issu des sciences dites dures contredit une connaissance traditionnelle ? Il est évident que si une étude statistique établit que Victor Hugo est l’auteur des fables de La Fontaine, personne ne la croira, et cela sera juste une preuve que cette méthode peut parfois être prise en défaut. Mais comment faire dans le cas de deux auteurs pour lesquels des doutes avaient déjà été émis ? Une étude strictement reproductible par tous, corroborée par d’autres auteurs, doit-elle avoir plus de poids qu’une ribambelle de déductions historiques admise depuis des générations ? Comment une science humaine envisage-t-elle de se situer par rapport aux disciplines mathématiques et physiques ? Dans l’affaire Corneille-Molière, quel juge osera encore dire : « la question ne sera pas posée » ?

Les paradoxes de la recherche scientifique actuelle

Ces paradoxes de la recherche et du poids scientifique se retrouvent ailleurs. Dans le cas du suaire de Turin, plus une vingtaine de publications scientifiques publiées dans des revues internationales de sciences physiques allaient dans le sens de l’authenticité. Une seule datation au radiocarbone en 1988 a suffi à remettre en cause cette série. Cette méthode récente a été longtemps considérée par beaucoup de chercheurs comme le « juge de paix », alors même qu’elle allait à l’encontre de dizaines d’autres aussi fiables.

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Pierre Corneille

Le débat autour de l’affaire Corneille-Molière offre donc la possibilité aux praticiens des sciences humaines de se remettre en question et de voir à partir ce cas concret et emblématique comment peuvent s’insérer de nouvelles méthodes scientifiques dans leur corpus de connaissances. On pourrait même se demander si l'histoire de Molière et de Corneille aurait été écrite de la même façon si nous avions eu à notre disposition ces données dès le début du XIXème siècle... En tout état de cause, les statistiques du langage ne sont pas une comédie, des « fables savantes ». Pas plus que l’histoire. Elles peuvent démêler des intrigues historiques. Une étude statistique peut aider à résoudre des énigmes littéraires majeures : par exemple, qui a écrit les œuvres de Fulcanelli, pseudonyme sous lequel se cache le plus célèbre alchimiste du XXème siècle ? Les hypothèses les plus fantasques et contradictoires circulent encore et toujours, elles peuvent peut-être cesser grâce aux mathématiques.

Un débat scientifique sérieux doit être mis en place. La façon de procéder la plus appropriée serait d’écrire un volume universitaire commun où chacun exposerait sa thèse, et répondrait aux objections des autres, sans attaques personnelles et noms d’oiseaux. Mais aujourd’hui, on est loin de ce paradis académique. On est dans la guerre de tranchées. Laquelle est moins meurtrière pour la crédibilité des iconoclastes que pour les partisans de la thèse classique, qui semblent, par leur refus constant et leurs amalgames répétés, ne pas être si sûrs que cela de leurs conclusions historiques. 

Références

http://www.moliere-corneille.paris-sorbonne.fr/ Le site de Georges Forestier sur l’affaire.

http://corneille-moliere.org/ Le site de Denis Boissier, partisan de Corneille comme prête-nom de Molière

http://images.math.cnrs.fr/La-classification-des-textes.html Présentation par Cyril et Dominique Labbé de leur méthode et des résultats sur l’affaire Corneille Molière

Dominique Labbé, Si deux et deux sont quatre, Molière n’a pas écrit Dom Juan, Max Milo, 2009.


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13 réactions à cet article    


  • Ariane Walter Ariane Walter 12 novembre 2012 20:20

    Aucun rapport entre les deux styles et les deux sensibilités.


    • jean rony 12 novembre 2012 21:20

      je croyais que maintenant par égard à la communauté noire américaine (barack obama), on disait écrivain fantôme ou prête plume !..

      Sinon à propos du sujet de l’article je n’y connais rien.

      jean rony icpr.ch


      • Christian Labrune Christian Labrune 12 novembre 2012 22:32

        Imaginer que l’auteur de « Cinna » ou de « Polyeucte » puisse être le même que celui du « Tartuffe » ou de « Dom Juan », c’est complètement loufoque, à moins que le pauvre Corneille, sur ses vieux jours, ait été atteint d’un grave dédoublement de la personnalité qui n’ait pourtant pas affecté son « style ».

        L’informatique est une discipline extrêmement sérieuse et rigoureuse mais il n’est pas rare que les logiciels soient utilisés par des amateurs ou des littéraires qui n’y entendent pas grand chose, pour se donner l’illusion qu’ils sont capables, eux aussi, d’apprehender rationnellement des questions esthétiques en faisant l’économie de l’intuition et du savoir historique.

        Il y a déjà fort longtemps - je ne me souviens même plus de son nom -, un mathématicien ulcéré par les délires de pseudo-savants qui avaient cru pouvoir affirmer que les proportions des grandes pyramides d’Egypte révélaient des connaissances atronomiques tout à fait précises et relatives aux trajectoires des différentes planètes du système solaire était allé mesurer sur les Champs Elysées la première cabane qu’il avait pu trouver d’une vendeuse de billets de loterie. En triturant quelque peu le résultat de ses mesures, il n’avait eu aucun mal à prouver que les constructeurs de ce modeste édicule étaient eux aussi, à n’en pas douter, de très grands astronomes, et qui avaient voulu sans doute, dans cette modeste construction, illustrer leur connaissance des grandes constantes universelles.

        Quand on est un littéraire et qu’on n’entend rien aux méthodes des sciences dures ou un informaticien sans culture esthétique, on gagne toujours à éviter de sortir de son domaine de compétence, c’est le meilleur moyen d’éviter le ridicule.


        • Christian Labrune Christian Labrune 12 novembre 2012 23:25

          Corneille ne manquait pas d’humour, au point même de glisser dans ses développements les plus austères sur la politique ou la religion des obscénités vraiment énormes. C’est le « sale cul » en acrostiche dans « Horace », ou ce vers de Polyeucte : « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule » que les acteurs du Français ont pris l’habitude de modifier un peu et qui devient : « Et le désir s’accroît lorsque l’effet recule ». Sage précaution qui évite des éclats de rire dans la salle...

          Cela dit, je ne sais pas s’il serait allé, en tant que nègre de Molière, jusqu’à se pasticher lui-même et faire rire les spectateurs de ce qui avait fait auparavant le succès d’un certain Pierre Corneille. Les scènes III et IV de « Dom Juan » sont une caricature du débat cornélien. A la fin de la troisième scène, Dom Carlos s’écrie : « Que ma destinée est cruelle ! Faut-il que je vous doive la vie et que Dom Juan soit de vos amis ? ». ll avait pris soin, au début, de remercier celui qui venait de le sauver : « On voit, par la fuite de ces voleurs, de quel secours est votre bras ». Et les contemporains n’ont évidemment pas oublié « le bras » de Dom Diègue, « ce bras qui tant de fois a sauvé cet empire... ».

          J’ai entendu parler plusieurs fois de ce débat ; il est trop ridicule pour que l’on puisse consentir à y perdre une heure à l’examiner, mais je serais quand même très curieux de savoir comment les inventeurs de cette thèse fantaisiste peuvent expliquer dans cette scène et dans bien d’autres l’espèce de mortification que le « nègre » s’impose. Une relation homosexuelle sado-masochiste, peut-être ?


          • Christian Labrune Christian Labrune 12 novembre 2012 23:28

            ERRATUM

            « il est trop ridicule pour que l’on puisse consentir à [y] perdre une heure à l’examiner »

            On voudra bien excuser ce « y » malencontreusement oublié après une modification de la phrase.


            • Hervé Hum Hervé Hum 12 novembre 2012 23:51

              Bah, du moment qu’il ne s’agit pas d’affirmer que Molières à repris des oeuvres posthumes de Shakespeare, rien de grave.

              Et puis comme vous l’écrivez, le seul qui puisse avoir un véritable intérêt à dire que les pièces de Molières furent écrites par Corneille, est Corneille lui même et lui seul. Pour les autres, c’est du bavardage inutile de café de comptoir. Mais bon, s’ils n’ont pas peur du ridicule... La seule chose de grave, c’est de penser que ce sont les mêmes qui sont chargés de remplir la tête des étudiants.


              • Taverne Taverne 13 novembre 2012 11:32

                Alors comme ça, c’est Corneille qui aurait écrit pour Molière ? Et Molière, il faisait quoi, il bayait aux corneilles ?

                Devra-t-on dire bientôt « la langue de Corneille » à la place de « la langue de Molière » ? Mais alors attention, parce que pour la langue de Shakespeare, il y aurait aussi des doutes...

                J’aimerais bien voir les pseudo preuves qui vont dans le sens de la thèse de la négritude de Molière. ce serait intéressant de les discuter.


                • Oursquipense Oursquipense 13 novembre 2012 13:22

                  Bonjour Taverne,

                  voici quelques éléments de discussion ou précision :

                  1 - Corneille est né avant Molière, il mourra après. Cette précision est là juste pour bien signifier que les protagonistes sont bien contemporains.
                   
                  2 - Pierre Corneille au début de sa carrière est auteur de comédies

                  3 - En dehors de Molière lui-même l’auteur le plus joué par la compagnie de Molière à compter de 1658 fut...Pierre Corneille. Mais ni Molière, ni sa troupe n’excellaient dans la tragédie, devenue la spécialité de Pierre Corneille , Corneille, qui je le répète, était initialement auteur de comédies de moeurs, a pu s’adapter et plutôt que signer de son nom, qui n’avait plus guère d’estime (Eh oui, d’ailleurs pourquoi interpréter autant un auteur qui n’avait plus le vent en poupe depuis près d’une décennie ?), utiliser le paravent Molière pour diffuser ses oeuvres. A compter de 1661 Molière devient officiellement « Bouffon du Roi ».

                  A noter qu’il n’est pas forcément évoqué que toutes les pièces de Molière sont l’oeuvre de Corneille mais plutôt qu’à compter de 1658 Corneille et Molière se seraient associés. Auparavant il est assez facile de vérifier que les oeuvres attribuées à Molière sont plutôt des associations de différentes versions de pièces façon comedia del arte avec quelques originalités à la française. Parallèlement Corneille, pourtant reconnu comme un grand auteur, est considéré néanmoins comme « fini » à compter de 1650.

                  La clé est dans le disparate de l’oeuvre de Molière (dont j’ai lu l’intégrale il y a longtemps, sans me poser forcément de questions à l’époque, je le reconnais) ainsi que dans son emploi du temps à compter de 1658.Où trouver le temps d’écrire les pièces et de jouer autant de réprésentations en même temps ? Sans compter qu’il est réquisitionné pour des événements auxquels il ne participe pas mais qu’il est tenu d’organiser !


                • Laconique Laconique 13 novembre 2012 12:58

                  Je suis toujours frappé, à propos de cette polémique, par le fait que les partisans de la thèse de l’identité Corneille-Molière n’emploient jamais le moindre argument d’ordre littéraire. C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer… Il suffit de lire L’Illusion comique de Corneille pour reconnaître son style bien caractéristique, fait d’antithèses, de superlatifs, un peu lourd si je puis me permettre. Rien à voir avec n’importe quelle pièce de Molière, laquelle est immédiatement identifiable par les qualités qui en ont fait une sorte de modèle de la langue française : densité, netteté, économie. Sans parler des obsessions propres à Molière, qui reviennent dans chacune de ses pièces (le rapport au père, la haine de l’hypocrisie, une aspiration un peu anarchique à la liberté qu’on aurait du mal à concilier avec le modèle féodal encore présent chez Corneille).
                   
                  Et quant aux similitudes de tournures syntaxiques, elles s’expliquent bien aisément : la troupe de Molière a commencé par jouer pendant des années les pièces de Corneille, pas étonnant que Molière s’en soit imprégné. Faites l’essai sur vous-même : ne lisez que du Voltaire pendant dix ans, récitez du Voltaire trois heures par jour, et écrivez une histoire ensuite : vous verrez que les tournures de Voltaire viendront spontanément sous votre plume… C’est quand même fou de se fier à des robots plutôt qu’à son propre jugement en matière littéraire…


                  • Hervé Hum Hervé Hum 13 novembre 2012 22:49

                    Pour ma part, vous avez dit tout ce qu’il y avait à dire sur cette fausse polémique...


                  • ricoxy ricoxy 13 novembre 2012 17:53

                    Tout cela me rappelle une boutade d’Alphonse Allais, devant qui on débattait de la paternité des œuvres de W. Shakespeare, et qui déclara, superbe : « William Shakespeare n’a jamais existé. Et toutes ses œuvres ont été écrites par quelqu’un qui s’appelait ... également William Shakespeare ».


                    • Hervé Hum Hervé Hum 13 novembre 2012 22:52

                      Ainsi soit dit !!!


                    • PaulFievre 10 avril 2016 11:59

                      Il fallait que ce débat ait lieu car de nombreux enseignants de Lettres en première commençaient à diffuser cette idée ; friands qu’ils sont de vouloir animer leur cours avec des super-secrets révélés.

                      Je suis de la mouvance Molière écrit Molière dans la mesure où Molière écrit. L’écriture théâtrale n’est pas une écriture poétique ou romanesque elle peut se construire aussi avec des comédiens la notion d’auteur devient alors plus ténue. 
                      Molière est un chef de troupe, comédien, à l’esprit assez habile voire brillantissime pour construire des pièces avec des trames connues de tout ses contemporains, et de les mettre au goût du jour. Je dis bien il construit et non pas il écrit.... mais je ne dis pas que quelqu’un d’autre écrit.
                      Il faut bien distinguer les auteurs « poètes dramatiques » de cet auteur atypique qu’est Molière. On lira avec intérêt aussi "Observations sur une comédie de Molière« du sieur de Rochemont (1665).

                      J’ai entendu dans un MOOC sur le théâtre classique Georges Forestier parler des éditions de Molière : il serait trop long ici de transcrire ses propos mais Molière n’est pas au sens propre un écrivain, je veux dire un écrivain de profession, c’est pour lui une activité nécessaire ce qui est très différent. Il faut lire les différentes versions imprimées des pièces et connaître les conditions d’édition pour comprendre l’enjeu de l’écriture chez Molière et les aimables éditeurs posthumes.

                      Il y a des arguments extra-littéraires. Si Molière n’a pas écrit une partie de ses pièces, comment se fait-il que dans le tout petit petit monde du théâtre parisien du XVIIème, où dès qu’on bougeait le petit doigt la République des Lettres remuait Ciel et Terre, qu’aucun des ennemis de Molière (nombreux) n’ait détecté cette pseudo-évidence : Corneille écrit Molière ou le pacte de Rouen. C’est du dernier romanesque. Rappelons que quand Racine cite un vers de Corneille dans les Plaideurs, tous les contemporains ont noté le fait. Les esprits de ce temps étaient très affutés dans leur perception de l’écriture, le plagiat et la ressemblance. Je ne m’étendrai pas sur le vocabulaire restreint du théâtre du XVIIème pour lequel il faudrait un ouvrage entier.

                      Si la mesure est utile et parfois nécessaire, pour ceux que ça intéresse, j’ai laissé la possibilité à tout le monde de comparer les pièces deux à deux avec le calcul de D. Labbé (la distance intertextuelle) sur un corpus de 840 pièces sur le site theatre-classique.fr . Je laisse chacun faire son opinion mais moi j’ai beaucoup ri et je ris encore.

                      Dans le groupe des Moliéristes, on note aussi des linguistes et lexicographes qui ont pignon sur rue, comme Etienne Brunet, Jeean-Marie Viprey, Charles Bernet et chez les Corneilliste on note des gens très compétents mais qui ne sont pas des historiens de la littérature. Car l’hypothèse initiale, rappelons le, est une histoire de calendrier sur laquelle on fait jouer une concordance d’évènements, tout ceci issue des biographies douteuses de Molière : un enquêteur de police judiciaire aurait du mal à faire condamner un coupable auprès d’un juge sur des faits aussi minces.

                      Pour finir, je demanderais volontiers à tout un chacun de lire ou de relire »La Formation de l’esprit scientifique" de Gaston Bachelard et d’autres ouvrages d’épistémologies des sciences où il est recommandé ne pas tomber dans un excès de confiance envers une intuition première et d’éviter ensuite de construire un outil pour la démontrer impérativement.

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