Coupables de « Crime contre l’Histoire »
À l'heure d'une repentance mémorielle continuelle confinant à l'opportunisme politique, pourquoi ne pas suggérer à l'Education nationale de battre sa coulpe, en incitant le corps enseignant à procéder à la lecture dans les classes d'une lettre d'un écrivain russe arrivé à Paris au printemps 1789, et exprimant bientôt sa surprise d'observer que les agitateurs révolutionnaires représentaient à peine 1% d'un peuple qui, par ailleurs, continuait de tenir en haute estime le roi Louis XVI et sa famille ?...
En 1934, le journal La Légitimité, qui rapporte que l'historien russe Nicolas Karamzine, né à Moscou le 1er décembre 1766 et venu à Paris au printemps 1789, raconta ce voyage dans des lettres dont l'écrivain français A. Lagrelle donna une traduction, en livre quelques passages éloquents à ses lecteurs. La lettre dont il est question ici fut écrite à Paris, en avril 1790.
« Parlerai-je de la Révolution Française ? Vous lisez les gazettes ; par conséquent les événements vous sont connus. Etait-il possible d'attendre de pareilles scènes de notre temps, de la part des Français, insouciants comme les zéphirs, qui étaient renommés pour leur amabilité, et qui, de Calais à Marseille, de Perpignan à Strasbourg, chantaient avec enthousiasme :
Pour un peuple aimable et sensible
Le premier bonheur est un Roi.
« Ne croyez pas que la nation tout entière participe à la tragédie qui se joue actuellement en France. A peine si la centième partie se mêle à l'action. Tous les autres regardent, jugent, disputent, pleurent ou rient, battent des mains ou sifflent, comme au théâtre. Ceux qui n'ont rien à perdre sont audacieux comme des loups ravisseurs ; ceux qui peuvent être privés de tout sont timides comme des lièvres. Les uns veulent tout prendre, les autres veulent sauver quelque chose. Une guerre défensive contre un ennemi insolent a rarement une heureuse issue. L'histoire n'a pas dit son dernier mot, mais jusqu'ici la noblesse et le clergé de France semblent de mauvais défenseurs du Trône.
« Depuis le 14 Juillet, on ne fait que parler en France d'aristocrates et de démocrates. On se loue ou on s'insulte avec ces noms, dans bien des cas sans en comprendre la signification. Jugez de l'ignorance populaire par l'anecdote suivante :
« Dans un petit village auprès de Paris, les paysans arrêtèrent un jeune homme bien mis et exigèrent qu'il criât avec eux : Vive la nation ! Le jeune homme satisfit à leur volonté. Il agita son chapeau et cria : Vive la nation ! « Bien, bien », dirent les gens, « nous sommes satisfaits. Tu es un bon Français. Va où tu voudras. Ou plutôt, non. Explique-nous d'abord ce que c'est que la nation ? »
(...)
« Hier, dans la Chapelle du Château, j'ai vu le Roi et la Reine. La sérénité, la douceur et la beauté sont empreintes sur le visage du premier, et je suis persuadé que jamais une mauvaise intention n'a pu naître dans son âme. Il y a sur la terre d'heureux caractères qui, par instinct naturel, sont incapables de ne pas aimer et de ne pas faire le bien : tel est ce Souverain ! Il peut être malheureux, il peut périr dans le fracas de la tempête, mais l'impartiale Histoire inscrira Louis XVI au nombre des monarques vertueux, et l'ami de l'humanité versera à son souvenir une larme venue du cœur.
« La Reine, en dépit des coups de la Destinée, est belle et majestueuse semblable à une rose par laquelle souffle un vent glacé mais qui garde encore sa couleur et sa beauté. Marie est née pour être reine. Son port, son regard, son sourire, tout dénote en elle une âme qui n'est pas ordinaire. Il est impossible que son cœur n'ait pas souffert ; mais elle cachait sa douleur, et dans ses yeux limpides on ne remarque pas un seul nuage. Tout en souriant comme sourient les Grâces, elle tournait les pages de son livre de prières, jetait un regard sur le Roi, sur la Princesse, sa fille, et, de nouveau, se plongeait dans son livre. Elisabeth, la sœur du Roi, priait avec beaucoup de ferveur et de dévotion ; il me sembla que des larmes coulaient sur son visage.
« Dans l'église il y avait énormément de monde, à ce point que, suffoqué par la chaleur, je me serais trouvé mal, si une dame, remarquant ma pâleur, ne m'avait donné des sels à respirer. Chacun regardait le Roi et la Reine, cette dernière surtout. Les uns soupiraient et s'essuyaient les yeux avec des mouchoirs blancs. D'autres regardaient sans aucune espèce d'émotion, et se moquaient des pauvres moines qui chantaient les vêpres. Le Roi portait un habit violet. La Reine, Mme Elisabeth et la Princesse avaient des vêtements noirs, avec un ornement très simple sur la tête.
« J'ai vu le Dauphin aux Tuileries. La belle et tendre Lamballe, à qui Florian a dédié ses Contes, le conduisait par la main. Charmant enfant ! ange de beauté et d'innocence ! Comme il sautait avec sa veste de couleur foncée et son ruban bleu sur la poitrine. Comme il était heureux de respirer un air pur ! De tous les côtés les gens accouraient pour le voir, et tous retiraient leur chapeau. Tous entouraient avec joie l'aimable enfant, qui leur répondait par la caresse de son regard et de son sourire. Le peuple aime encore le sang de ses rois ».
En taisant aux jeunes Français les véritables motivations des instigateurs d'une Révolution dite française, en leur inculquant le récit controuvé d'un soulèvement prétendument populaire qui n'a en réalité jamais rencontré l'adhésion de nos concitoyens, en brossant le portrait mensonger d'un souverain tyrannique et honni, l'Education nationale participe, sciemment et délibérément, de la falsification de l'Histoire ; une Histoire dont la République se prévaut pourtant ostensiblement de rétablir le cours dès lors que cela épargne ses propres fondements. Plaise à Dieu que la notion de Crime contre l'Histoire soit enfin reconnue...
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