Crise ou prise de conscience en 2009 ? Il n’y aura pas de révolution cette année-là
Tout récemment, Dominique de Villepin a évoqué un risque révolutionnaire en France. Evidemment, cette opinion semble lancée gratuitement aux journalistes. Et si ce n’est pas le cas, c’est que Villepin dispose sans doute d’antennes conscientes de grande sensibilité. Pour l’instant, les données intangibles sur l’état de la société française ne sont que chiffrées. Et comme tout penseur averti le sait, ce ne sont pas les chiffres mais les passions et les raisons qui poussent les peuples vers l’accomplissement d’un dessein. Et la conscience dans tout ça ?
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Commençons par évoquer quelques éléments certains. Le chômage a beaucoup augmenté. Dans beaucoup d’entreprises, des plans de licenciement dont annoncés. La presse ne parle que des « gros coup », Continental, Caterpillar, Sony, Arcelor… Car le nombre de salariés produit un effet de seuil faisant que la colère devient médiatiquement visible. Les médias ne parlent pas des petites entreprises qui licencient, ne renouvellent pas les CDD, n’embauchent pas. L’aggravation de l’emploi est chiffrée par l’ANPE. D’autres indices traduisant l’état économique et financier de notre pays. Dette et déficit publics. Les comptes de la Sécu dans le rouge.
Honnêtement, l’année 2009 ne livre pas les signes d’une rupture, d’un basculement, d’un changement de direction. Pour la majorité des Français, la vie continue comme auparavant. Les riches vont des affaires, les classes moyennes en vitesse de croisière et les précaires restent dans la précarité, livrés au salut des aides de l’Etat et du supplément caritatif proposé par les associations. La crise sociale était déjà présente depuis 20 ans, date où fut institué le RMI puis la RDS et la CSG. Entre temps, le nombre de Rmistes a augmenté largement alors que RDS et CSG ont aussi augmenté significativement. L’année 2009 se signale par une aggravation soudaine de la situation qui se traduit par quelques chiffres alors que « l’addition sociale » sera payée par ceux qui disposent capital social limité, les licenciés, les précaires, les intérimaires et surtout une piètre promotion 2009 pour notre jeunesse qui verra son intégration sur le marché du travail fortement obérée par la récession. Tout étant bien évidemment contrastée. Les situations ne se ressemblent pas selon le milieu social d’où l’on vient et la formation que chaque jeune a reçue.
Les classiques comme Spinoza, Locke, Descartes ou Leibniz parlaient d’entendement et de raison. En plein essor de la première vague industrielle, Bismarck et Marx eurent en commun la désignation de la conscience comme élément déterminant de la condition humaine. Pour Bismarck, l’expérience humaine se transforme en conscience, et la conscience s’accroît d’année en année. Pour Marx, la condition ouvrière est un terreau pour la genèse d’une conscience commune, la conscience de classe, censée émerger au cours d’un processus d’élaboration idéologique, puis déterminer un autre chemin pour la société. Au monde industriel capitaliste devait succéder un monde industriel communiste (c.a.d. au service de la communauté des travailleurs) Quoi qu’il advint du communisme, force est de constater la place de la conscience dans les évolutions historiques et les crises sociales traversées par les sociétés à l’ère contemporaine.
Les changements de directions pris par les sociétés, parfois au terme de secousses violentes, sont précédées de ce qu’on pourrait nommer une crise de conscience et même suivie d’un prolongement de cette crise. Un maître livre de Paul Hasard fit le point sur La crise de la conscience européenne. Cette étude montre un déplacement dans l’adhésion des esprits, exprimé en une formule « La majorité des Français pensait comme Bossuet ; tout d’un coup les Français pensent comme Voltaire. Cette formule bien qu’excessive traduit une modification de l’esprit français menant de 1680 vers le milieu du 18ème siècle. Nous ne savons pas réellement ce qui s’est passé dans la conscience des Français mais nous pouvons soupçonner que la Révolution n’est pas étrangère à ce changement de pensée ayant pénétré les couches sociales.
Autre époque, autres mœurs, les années 1960 avec Bob Dylan, les Stones, Marcuse, Sartre et un terrain culturel nouveau, inédit, fait d’idéologies, de pensées, de musiques et d’esthétiques ; l’ensemble générant un conglomérat d’aspiration et de vision ayant produit des transformations sociales de grande ampleur. Même le Vatican en fut affecté au point de diligenter un Concile censé prendre acte des transformations sociales et suggérer quelques aménagements dans le fonctionnement de l’Eglise. Selon Henri Mendras, il y eut une seconde révolution française entre 1965 et 1984. Et bien évidemment, on ne saurait taire les événements de mai 68 devenus emblématiques pour tous ceux ayant adhéré à ce nouvel esprit, du reste mondialisé dans la plupart des pays industrialisés. Peut-on déceler une crise de conscience ces années là ? Certainement, quoique le mot crise prête à contresens si bien qu’un usage sémantiquement approprié conduit à évoque une crise des consciences et pourquoi pas une conscience de la crise.
Question cruciale pour 2009. Peut-on penser qu’il y a une crise de la conscience dans les sociétés avancées et notamment en France ? Une vision superficielle des choses et faits relatés dans les médias laisserait accroire à une réponse affirmative. La conscience est plurielle, constituée d’une succession voire une superposition de représentations. Perception de soi, de son rapport au monde, émotions… En 2009, les Français se sont aperçus que le capitalisme ne fonctionnait pas bien, que les banquiers pouvaient être de fieffés escrocs, que les paradis fiscaux ne sont pas moraux, que patrons peuvent être méchants et vider leurs salariés, que les services publics sont malmenés. Peut-on parler d’une crise de conscience ? Je ne le pense pas. Une prise de conscience, peut-être, et encore, une superficialité du phénomène n’étant pas à exclure, autrement dit, un effet de mode qu’auraient produit les médias en médiatisant certains faits, ce qui au bout du compte, engendre peut-être pas une fausse conscience mais en tout cas une faible conscience. Bref, pas de quoi enrôler les Français dans une révolution. Depuis 20 ans, les aspirations sont les mêmes, chacun veut améliorer son niveau matériel, consommer et c’est légitime. Le mode de développement matériel n’est pas remis en cause. Tout au plus, quelques tendances marginales à la frugalité s’expriment mais est-ce une lame de fond consciente comparable à celle qui précéda mai 68 ? Et ces craintes pour le climat, ces lubies de croissance verte, prise de conscience raisonnée ou bien instrumentalisation des consciences par d’habiles opportunistes du monde politique et économique ?
A titre de conclusion provisoire, j’aurais tendance à dire qu’il n’y a pas de crise de conscience actuellement mais que ce n’est pas pour cela qu’il faut se résigner. S’il n’y a pas de crise de conscience, et bien allons-y, pensons et provoquons là, pour que nous puissions aller vers une société de l’avenir ouverte et radieuse.
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