Croissance de classe, TVA antisociale
Sous-titre du billet : Ensemble, tout devient possible mais pas pour tout le monde
Dernièrement, on a pu entendre un responsable du PS évoquer une croissance de classe afin de dénoncer la politique fiscale conduite par le président Sarkozy. Bien souvent, le discours politique emploie des figures de rhétorique vides de contenu mais dans le cas présent, la notion de croissance de classe est sans conteste pertinente. Elle est signifiante. Comme peuvent l’être d’autres notions apparentées et notamment celle du développement inéquitable, opposée au développement équitable. Le sens n’en est que trop évident. La croissance, chiffrée dans la monnaie nationale, désigne l’augmentation de la quantité de biens et services mis à la disposition des citoyens par un système productif. La croissance de classe signifie alors que le progrès économique n’est pas réparti entre tous mais profite à un ensemble de catégories.
Cette croissance de classe se dessine sur deux échelles, l’une, chiffrée, indiquant la répartition des solvabilités (autrement dit des moyens de paiement disponibles) et l’autre, qualitative, montrant la distribution des biens et services écoulés sur le marché. Les organismes économiques disposent des données statistiques sur la répartition des revenus et la solvabilité qui inclut l’épargne et la dette des ménages. Pour ce qui est de la distribution qualitative des choses vendues, les données sont aussi accessibles. Par exemple le nombre d’exemplaires de véhicules standing écoulés par les constructeurs, le nombre d’écrans plats de télévision, mais aussi des aspirateurs bas de gamme vendus à 30 euros pièce par les grandes surfaces du discount. Le nombre de séjours de ski à Courchevel est disponible, comme celui des côtes de porc vendues par caissettes autour de 3 euros le kilogramme. Le marché n’est qu’une interface (comme peut l’être le marché traditionnel où se négocient les fruits et légumes) mettant en adéquation les solvabilités et les biens produits. Les constructeurs connaissent la répartition des pouvoirs d’achat. S’il n’y avait pas tant de hauts revenus, ils ne mettraient pas autant de véhicules haut de gamme sur le marché. Les chaînes de montage produiraient alors préférentiellement des automobiles de moyenne catégorie.
La notion de croissance de classe est triviale et d’ailleurs, pour certains économistes, c’est un objet d’étude fondamental, désigné d’un autre nom, encore plus simple, l’inégalité. Tout le monde constate des inégalités et sait à peu près où elles se situent et comment elles naissent. Par contre, la limitation des inégalités fait actuellement débat. Sur deux plans, les fins et les moyens. Deux questions. Faut-il limiter les inégalités ? Et si oui, comment le faire sans mettre en péril le système productif, notamment en l’étouffant par une bureaucratie et des règles contraignantes ? A la réponse sur la maîtrise des inégalités, les économistes connaissent les solutions, notamment la fiscalité et la redistribution. Mais ces mesures s’opposent à la compétitivité des entreprises tout en créant une société d’assistanat. C’est ce qu’on entend comme discours. De plus, les gens qui travaillent et créent de la richesse seraient pénalisés.
Ce qui est moins évident, c’est la transformation de la structure de l’emploi liée à la croissance de classe. C’est assez simple dans le principe. Le marché du travail, par la courroie de transmission du marché des productions, est appliqué à la répartition de solvabilité. Facile à comprendre. Un opérateur automobile sera employé sur une chaîne de montage de berlines luxueuses plutôt que dans une usine produisant des véhicules d’entrée de gamme. Plus significatif est l’exemple de l’architecte qui, dans une croissance de classe, travaillera dans des maisons cossues au service d’un ménage qui aura bénéficié par exemple d’un bouclier fiscal, ou alors dans une résidence luxueuse louée par ce même couple. Sans la croissance de classe, ce même architecte pourra être recruté par une société d’HLM pour rénover l’habitat, grâce à des aides publiques allouées au logement social. Mais pour cela, il faut que les caisses de l’Etat ne soient pas vides et, donc, il faut faire enter des prélèvements et supprimer ce bouclier fiscal.
Ce ne sont que des exemples mais ils parlent suffisamment pour exposer quels sont les choix de société opérés par la droite. La TVA dite sociale participe aussi à cette croissance de classe. Bien évidemment, les médias participent à la désinformation et préparent le terrain, en citant le vertueux exemple de l’Allemagne. Ce que l’on oublie de dire, c’est que ce taux outre-Rhin est passé de 16 à 19 points, alors qu’en France, nous en sommes à 19,6. Force est de conclure que la TVA sociale est déjà en place, alors pourquoi placer des pions ? Fillon rêve d’ajouter 5 points, ce qui nous mettrait largement au-dessus de la moyenne des pays européens. On comprend alors que les ménages les moins aisés, qui ne paient pas d’impôt sur le revenu, verront leur imposition augmenter par le biais de la consommation. A moins que les commerçants prennent une partie à leur charge. Peut-être en licenciant quelques employés. Mais ceux-là pourront peut-être trouver un emploi dans la nouvelle boutique Gucci qui vient d’ouvrir. Les clientes sont plus nombreuses, elles disposent d’un revenu supplémentaire grâce au paquet fiscal promis par le gouvernement.
C’est Susan George qui, je crois, a critiqué ces Français qui ont voté contre leur intérêt. Elle n’a pas tout à fait tort. La droite se prépare à prendre des orientations antisociales bénéficiant à une grosse minorité de concitoyens et pourtant, la droite a raison de le faire puisqu’elle a été élue. C’est à se demander ce qui se passe dans la tête des gens de condition modeste qui ont approuvé ce programme, soit en votant UMP, soit en s’abstenant. La faute à qui, aux politiciens de gauche qui ont laissé tomber les classes inférieures ou bien l’inverse, le peuple de gauche qui a baissé les bras et démissionné face à la rhétorique spectaculaire de la droite ?
Cette société française est une énigme mais, comme la France incarne l’humanité, enfin c’est ce qu’elle pense, alors cette énigme est universelle, d’autant plus vérifiable que cette croissance de classe se retrouve dans toutes les nations. La tendance à l’inégalité est peut-être une loi anthropologique tellement puissante, surtout lorsque les moyens techniques sont disponibles, pour qu’il soit maintenant exclu qu’on inverse la tendance en direction d’une croissance équitable.
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