Croyances & Civilisation
Le besoin de croire est étroitement associé à l’établissement des civilisations. Doit-on s’attendre à une nouvelle civilisation dans un futur immédiat ?
Il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, des crânes d’ours sciemment accumulés ont fait déjà penser à un culte, celui de l’ours. Dès le IIIe millénaire av. J.-C. en Mésopotamie, des divinités mi-animales, mi-humaines sont représentées qui régentent le monde. Un Dieu unique YHWH apparaît ensuite dans la bible hébraïque écrite entre le VIIIe et le IIe siècle av. J.-C. Zeus fut considéré comme le roi des Dieux dans la mythologie grecque. Le Dieu chrétien, Père de Jésus, annonce un message universel basé sur l’Amour. Au delà des différences, la création d’un dieu s’accompagne toujours d’une soumission. Cette soumission permet d’éviter des châtiments terribles en cas de faute ou, plus prosaïquement, de faire venir des pluies abondantes ou d’éviter des nuées de sauterelles. La civilisation actuelle, que l’on peut qualifier de judéo-chrétienne, est fondée sur un rapport de subordination entre un concept ou un symbole insaisissable et des individus bien terrestres, avec souvent une intermédiation par des lettrés ou des ‘sachants’. Dieu aime ses fidèles, ses fidèles doivent impérativement l’aimer pour échapper au pire.
Mais le besoin de croire est enraciné dans l’humain indépendamment de tout aspect religieux.
Le nouveau-né fait face à d’innombrables défis : apprendre à parler, à marcher, à manger seul... Pour les relever, les bébés communiquent avec leurs parents et leur entourage par des cris, des sourires, des regards. Le bébé observe ses parents et en déduit la conduite à tenir en supposant que c’est la meilleure possible. Le nouveau-né a besoin de croire en ses proches, il ne peut pas à tester lui-même tous les cas de figure envisageables.
L’école représente une croyance institutionnalisée hors de l’influence familiale. Il existe par exemple diverses méthodes d’apprentissage de la lecture, si l’enfant ne croit pas dans le bien-fondé de celle de l’instituteur, il est probable qu’il ne saura jamais lire (il y a 7% d’illettrés en France, pourtant scolarisés). La scolarité durera environ 16 ans permettant la transmission de connaissances mais aussi l’ancrage des relations maître-élève. Cette sujétion n’est pas assurée par une force céleste mais (théoriquement) par une recherche de la vérité, le Maître détient la vérité et éclaire en conséquence ses élèves. Le réel ne peut cependant pas se résumer en une suite même infinie de vérités. Une théorie physique donne une image d’une partie seulement du réel et quelquefois une prévision pertinente de son comportement, mais elle ne prétend jamais énoncer une vérité. Les théories peuvent par contre aisément débusquer les contre-vérités ou les tromperies. ‘Le divin ne se trompe jamais, il commet juste des erreurs’, et il est possible de les mettre au jour. La Raison (professorale) choisit sa vérité et dans ce cadre ne se trompe jamais… ou rarement, mais le cadre est arbitraire. Une vérité est toujours teintée par la culture dominante qui observe la facette du réel qui lui convient. La vérité dépend forcément de l’observateur.
Amour et crainte de Dieu ou respect du ‘savant’ ? Dans les deux cas une soumission à plus puissant ou plus instruit que soi semble nécessaire à toute collectivité.
Mais ne va-t-on pas vers un nouveau mode de subordination : l’obéissance non pas aux meilleurs mais aux plus nombreux ?
Il est demandé périodiquement aux citoyens de s’exprimer sur le bien fondé d’une politique applicable à tous. Le choix se fait lors d’élections qui ont été sacralisées afin d’éviter leur remise en cause. Le choix, sur une base rationnelle, de la gauche plutôt que de la Droite (ou inversement) est peu probable ! Il faudrait examiner avec minuties toutes les propositions des candidats et leurs implications. Par voie de conséquence on se fie à une personnalité avec laquelle on pense avoir des affinités électives sans réelle raison plus profonde. On croit en quelqu’un ce qui évite de faire un choix, ce qui évite de tester toutes les autres options possibles. Un vote individuel n’a presque aucune influence sur la décision qui est confiée à la majorité, c’est une multitude d’égaux qui décide. La Démocratie représente donc l’amorce d’une nouvelle civilisation rompant avec la dualité Maître/élève ou Divin/fidèle.
Mais si le choix d’un leader se fait parmi des semblables, pourra-t-on toujours croire l’élu ? Après les premiers temps, le sacré de l’élection se dilue et le caractère ordinaire du ‘leader’ ressort, il est en alors en général violemment contesté. Chacun donne son avis qu’il juge tout aussi pertinent que celui donné par celui censé le diriger. L’incapacité de toute action collective devient alors la règle.
La capacité d’égaux à construire un destin commun semblait compromise. Le Numérique allait y suppléer. Chaque action, chaque mouvement, chaque conversation, chaque désir et à terme chaque pensée peut faire l’objet d’une quantification, introduit dans une mémoire d’ordinateur et comparé mathématiquement à une norme. Les notions diffuses de Bien ou de Mal pour les dieux, de Vrai ou de Faux pour les gens sensés, disparaissent pour laisser place à une évaluation chiffrée multifactorielle. Si l’Homme agit bien en fonction d’une multitude de paramètres dont il n’est conscient que d’une partie, l’ordinateur lui est susceptible de les expliciter et de signaler tout comportement qui s’écarte de ce que le ‘bien commun programmé’ commande. Toute trace d’affectivité est bien entendu exclue du processus calculatoire mais une certaine dose peut être ajoutée artificiellement. Les décisions prises ainsi seront souvent douloureuses car le ‘bien commun’, basé essentiellement sur la survie de l’espèce, s’accommode mal du bien-être individuel.
La démocratie numérique représentera bien une nouvelle civilisation car le caractère divin du décideur fera place à une suite complexe de nombres qu’on ne pourra pas contester. Mais il est beaucoup plus probable qu’une prétendue élite s’emparera du pouvoir de programmer les ordinateurs pour définir à son profit ce qu’est le bien commun, écartant ainsi la plèbe. Il subsistera encore une différence le quantitatif tangible supplantant le qualitatif insaisissable comme critère d’évaluation et de croyance.
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