David Pujadas et le Condor
Ah, celle-là de nouvelle, vous ne risquez pas de l’entendre de la bouche de Davis Pujadas, encore fort occupé l’autre soir à dérouler le tapis rouge au président Sarkozy, à la suite de son mémorable discours au Congrès. C’est amusant d’écrire ça d’ailleurs ; Nicolas Sarkozy, qui a tant rêvé (ou plutôt son père) d’être l’équivalent d’un président américain et admet difficilement d’être rabroué par le nouveau, parle désormais au Congrès, en effet, comme Reagan ou G.W.Bush ! Non, cette nouvelle-là ne peut intéresser David Pujadas. Pas assez vendeuse. Pas assez people, pas assez « news » comme on en fait aujourd’hui, à savoir sans aucun recul. Car pour la nouvelle dont je vais vous parler, qui est somme toute fort courte à énoncer, il y a plein d’enseignements derrière comme vous allez le voir. Mais ça, un Pujadas n’a pas le temps de s’y intéresser et c’est un peu trop compliqué aussi pour lui, qui préfère faire dans le simple, ou plutôt nous prendre tous les jours pour des simplets. L’incident dont je parle est un incident aérien, pourtant, le genre de choses qui attire les foules, habituellement. Mais je n’ai pas d’images de catastrophe à vous montrer pour autant : pas de débris flottant sur l’eau, pas de sacs noirs descendus d’hélicoptères contenant des corps et pas de correspondant au micro au milieu d’une île perdue de l’Atlantique pour nous étaler au moment du repas les détails sordides de la pêche aux victimes. A force de fourguer des Experts, des Experts Miami, des NCIS et autres Bones, des séries de laborantins de la police, les français réclament jusque dans les journaux télévisés leur dose quotidienne de scalpels et de corps en lambeaux, c’est sûr. Nous voilà en moins d’un quart de génération tous devenus médecins-légistes, grâce à des Pujadas et à des séries télévisées américaines. Foutue télévision et sa véritable fascination récente pour tout ce qui est criminel.
L’avion gigantesque, un Antonov, apparu dans le ciel en 1982, équipé de réacteurs de 22 tonnes de poussée, faisait le trajet Diego Garcia-Kandahar, et ce n’était visiblement pas la première fois comme nous allons le voir. Et pour cela était obligé de survoler l’espace aérien indien. En y entrant à 19H 30 au point ELKEL, un point de repère de l’armée de l’air indienne situé au dessus de Malé dans les Maldives. Alors pourquoi ce jour-là l’a-t-on forcé à se poser, s’il faisait régulièrement le trajet ? Pour une raison somme toute simple, nous disent les fameux "experts" : "Intelligence sources say the error was perhaps because of a procedural error." Une erreur de "procédure" ??? que cela signifie-t-il ??? C’est simple, en effet : tous les avions sont équipés d’un émetteur, qui signale qui ils sont exactement ou pour qui ils travaillent. Or, ce jour là, l’Antonov aux marquages civils se baladait tranquillement sur une route aérienne civile.. en émettant un signal... militaire : "Checking on its call sign, the ATC realised the plane - it was a military aircraft, travelling with just civilian clearance. Alarmed, the ATC called in security agencies including the Air Force. The plane was forced to land, and the American Embassy called in to clear matters." “The aircraft used a civilian aircraft call sign VDA 4466, whereas its original call sign was REACH 813, which implied it was a military cargo aircraft".
On découvre donc, premièrement, que les américains utilisent fréquemment des avions russes (ou ukrainiens) à 150 ou 200 millions de dollars pour transporter leurs armes. Ce qui déjà prouve deux choses : que les avions de Victor Bout, dont pas mal enregistrés en Ukraine, leur ont bien servi à ça, c’est désormais évident et on a d’autant plus de mal à comprendre pourquoi les USA ont alors réclamé l’extradition d’un Victor Bout arrêté en Thaïlande. En deuxième, que l’Air Force semble démunie de très gros porteurs, et doit faire appel intensivement au privé : son C-17 est trop petit, ne vole pas assez loin, et son Galaxy est en phase de remise à niveau : comme l’a très bien dit Robert Gates, L’Air Force actuelle n’a donc pas les moyens de ses ambitions militaires. Ce qui est très grave, en fait : en cas de conflit majeur, l’arrêt du recours aux Antonov 124 bloquerait littéralement son armée !! Et ce, malgré ces 205 C-17 construits !
Les russes qui font vivre l’armée américaine en la ravitaillant, ce n’est pas le moindre des paradoxes actuels des conflits qui perdurent ! Car au final aussi, cela revient cher au concitoyen américain (et européen, via l’Otan) : l’usage, ou plutôt la location de ces monstres, coûte en effet une fortune à l’Air Force et donc au contribuable US : "the US Air Force had spent $170 million from FY2002 through early FY2007 for An-124 missions. It also appears that the number of An-124 missions was accelerating. The first half of FY07 was on par with FY05 figures when the fiscal year was not yet half over." En fait, tant que les Galaxys nétaient pas mis à jour, c’est le Condor qui a servi de 2001 à 2004 notamment : "From 2001 to 2004 DOD leased Russian AN-124 aircraft to carry outsize and oversize cargo because C-5 aircraft were unavailable. In 2003 it was estimated that the 79 AN-124 missions conducted in that year cost DOD $28.9 million". Les ukrainiens d’Antonov l’ont bien compris : à voir l’armée américaine se dépêtrer avec ses problèmes de transport, l’idée a germé chez eux de relancer la chaîne de fabrication des Antonov Condor, comme ils l’avaient annoncé au salon Maks de 2007, l’équivalent du Salon du Bourget russe : "One of the little noted news stories to come out of the MAKS 2007 air show was the announcement by Motor Sich OJSC and Ukraine’s Antonov Design Bureau that they would jointly resume production of the Antonov 124 "Ruslan" cargo plane. It has 25% more cargo capacity than the largest plane in the U.S. Air Force inventory, the C-5 Galaxy ". Si besoin était, l’armé russe pourrait même taper dans ses stocks en attendant : elle en possède personnellement 28, soit presqu’un tiers de plus que les civils en circulation. Les Antonovs 124 ce sont en effet peu crashés (ça vaut mieux diront certains, celui-là par exemple transportait des Ferrari !).
Mais ça n’explique toujours pas l’affolement des Indiens, à la vue d’un avion cargo civil emportant une charge militaire sur leur territoire et prêts à le faire descendre par leurs missiles lancés de leurs chasseurs. Et pourtant, si. En fait, les autorités indiennes ne craignaient qu’une chose : que l’équipage ne jette toute sa cargaison par dessus bord, car ça c’était déjà produit, avec cet incroyable précédent déjà de Purulia il y une bonne paire d’années : "Recall that it was an Ukrainian crew flying an AN 26 which dropped arms in Purulia several years ago. The crew was apprehended and is currently serving a sentence in jail. The recipients of the arms drop were never reliably named, at least in public." Le 17 décembre 1995, en effet un petit Antonov 26 immatriculé YL-LDB avait balancé toute sa cargaison au dessus de l’état du Bengale sur quatre villages exactement, Jhalda, Ghatanga, Belamu, Maramu qui avaient tour bonnement reçu sur leurs toits une cargaison de Kalashnikovs et près d’un million de balles. Une pluie de mitraillettes et de munitions, voilà qui est original. Le largage était en fait une erreur, les pilotes s’étaient trompé d’emplacement avec leur GPS mal qualibré. L’équipage qui avait fait le coup, sans se soucier de ce qu’il pouvait bien y avoir en dessous était fort représentatif des mœurs de l’époque (et actuels) en matière de mercenariat avec des lettons et un anglais : "The crew of the aircraft consisted of five Latvian citizens and Peter Bleach, a British citizen, and an ex Special Air Service operative turned mercenary who was based in Yorkshire and involved in arms dealin". Les armes étaient destinées en fait à une obscure secte, nommée Ananda Marga, désireuse de commettre des attentats dans la région. L’avion, saisi, est resté 12 ans sur l’aéroport de Mumbai près de la tour de contrôle avant d’être scrappé par décision de justice le 17 avril 2008 . Depuis 12 ans, les visiteurs de l’aéroport pouvaient le voir, abandonné. On avait bien essayé de le vendre, mais sans succès. Les armes avaient été chargées à Bourgas en Bulgarie, de nombreuses fois cité dans ma série des "cargos", l’avion étant parti de Gattwick en Angleterre. L’avion volait vers Karachi au Pakistan via des arrêts d’essence à Tabris et à Ispahan (en Iran) puis à Varanasi dans l’état indien de l’ Uttar Pradesh, pour faire son largage, et repartir aussitôt direction Phuket en Thaliande le 18 décembre 1995, avant de repartir encore vers Karachi et de s’arrêter à Mumbai, au Sahar Air Port , où il avait été depuis consigné. Un des circuits connus des vendeurs d’armes. Des Antonov de tous bords sillonnent donc régulièrement le ciel indien (les modèles 32 font partie de l’armée). Les indiens les connaissent pourtant bien, d’ailleurs, ces fameux Condors de Volga-Dniepr : ils ont fait appel eux aussi à la firme russe pour exporter leurs propres hélicos en Equateur ! "Volga Dnepr is a regular visitor to India and is also involved with defence cargo movements. Recently, it transported Advanced Light Helicopters sold by Hindustan Aeronautics Limited at Bangalore to the Ecuador Air Force. This cannot be a case of ignorance".
Les Antonovs 124, eux, en on fait des circuits, avec leurs pilotes amusants : transporter les soldats de l’Otan ou les aides humanitaires des Nations Unies (ou ces hélicos !) : "an-124s regularly ferry German and Italian peacekeepers from Europe to Bagram Air Base outside Kabul, landing on the same tarmac that Soviet troops used twenty years ago. An-124s are also being used to support major United Nations relief work in East Africa . In 2001 Antonovs were used by the U.S. military to recover pieces of a downed EP-3 spy plane from China’s Hainan Island". Pour l’Otan, c’est très particulier : un contrat dit SALIS signé en juin 2003 (Strategic Airlift Interim Solution) avec Volga-Dniepr prévoyait la mise à disposition permanente et immédiate de l’Otan de deux appareils AN-124-100, de deux autres (avec préavis de six jours), et de deux autres appareils supplémentaires ( avec neuf jours de préavis). Les six appareils, soit près d’un tiers de la flotte civile disponible, sont basés à Leipzig. Le gag, c’est que la France y avait déjà été associée... sans être encore dans l’Otan : "the consortium is led by Germany and includes Canada, the Czech Republic, Denmark, France, Hungary, Luxembourg, the Netherlands, Norway, Poland, Portugal, Slovakia, Slovenia, Spain, Sweden and Turkey." Ou comment Pujadas a oublié de nous signaler que la France avait déjà réintégré l’Otan depuis six ans déjà question transports aériens ! Dans le contrat il est prévu un usage minimal des six Antonovs : "the countries have committed to using the aircraft for a minimum of 2000 flying hours per year." Va-t-on les faire voler à vide, comme s’amusent à le faire les militaires pour vider leurs stocks d’essence annuels ? Pas vraiment : ils volent beaucoup : aujourd’hui, ils en sont à 550 vols et ont transporté plus de 33.000 tonnes de cargaisons depuis 2003. Aux dernières nouvelles, vu les retards de l’A-400, et selon l’agence de presse russe Itar-Tass, l’OTAN prolongeait de deux ans (jusqu’au 31 décembre 2010) le contrat actuel, re-signé le 17 janvier 2006, qui expirait en juillet prochain !
Et ce n’est pas fini : transporter les chars lourds canadiens Leopard, est un jeu d’enfant pour un avion sachant avaler des métros indiens complets. Avec cette fois un méli-mélo qui explique bien l’état d’esprit actuel de l’Air Force ou des forces canadiennes cette fois : "What a surprise ! I just learned from a Canadian Forces website that the first of our borrowed Leopard 2A6s, arrived in Kandahar aboard a leased An-124-100. Not in a C-177, and not even in a USAF C-17 like last time" nous apprend un bloggeur. Un C-177 c’est un Boeing C-17 canadien, précisons (il y en a quatre chez eux). Car là ça devient épique : l’année précédente en effet, les chars lourds avaient été transportés par Condor à Manas, au Kyrgyzstan, et non pas directement à Kandahar. "Last year, when Canada shipped the 18 Leopard 1s from Canada, the Antonov 124s were asked to deliver the tanks not to Kandahar, but to Manas Air Base, in Kyrgyzstan, where they were transferred to US Air Force C-17s for the final leg to Kandadar." La raison invoquée par un quarteron de généraux canadiens : l’appareil était trop lourd, soi-disant pour atterrir à Kandahar : " It was claimed at the time that An-124s were not able to land in Kandahar and that the C-17s, "being the only large aircraft that could land in Kandahar", had saved the day. Three Canadian generals repeated this in front of the Standing Committee on National Defence as an argument for the necessity of buying the C-17. "Ça tourne au gag aussi chez les canadiens la vente forcée de Boeing ! Evidemment, le lendemain même ou le Canada achetait ses C-17 au prix de l’or en barres, les Condor se posaient à nouveau à Kandahar comme par miracle ! Comme le résume avec humour notre bloggeur, rien à voir avec la longueur de piste ou d’éventuelles restrictions : "Why can they land now, when they could not last year ? Is the runway longer than it was last November ? Nope. Is the runway stronger now it was than last November ? Nope. Were there restrictions then that no longer exist ? Nope. Were there dangers then that no longer exist ? Nope. It is because we have a different Minister of Defence than we did last November ? Well there, maybe...." Interrogé, l’ancien ministre avait répondu cette phrase ahurissante : "Antonovs were used to get somewhere close to Afghanistan. Then the equipment was moved onto C-17s, which were fully equipped to go into a hostile zone. They have defensive measures and all those sort of things, which the Antonovs do not. The Antonovs are pure commercial aircraft. " Des équipements défensifs et toute cette sorte de choses".. ah ah ah, laissez-moi rire. Des forteresses volantes bardées de tourelles de mitrailleuse que ces C-17 ? La seule défense à bord se résume à des lances-leurres et quelques blindages... Les canadiens, il est vrai, transportant toujours leurs troupes à Kaboul à bord d’un Polaris C-150. Ah, c’est vrai : vous ne savez pas non plus ce que c’est ? C’est pourtant un avion connu. c’est un Airbus A-310-300 du commerce civil, repeint en gris. Les français en utilisent un autre pour leurs soldats, sans plus de lance-leurres et encore moins de blindages ; c’est l’Airbus A340 F-RAJB du Cotam. Mais pour amener leurs matériels en afghanistan, ils ont loué des AN-124 ou des Galaxy, ces français : "La projection a nécessité de combiner des moyens de transports maritimes, aériens et terrestres. Au total, 2 cargos affrétés et près de 90 rotations de très gros porteurs (Antonov 124 et C5) au départ de la France ou de ports relais ont été nécessaires. En tout, en 2 mois, plus de 1000 militaires et 6 250 tonnes de matériels (dont environ 450 véhicules, munitions, moyens de transmission etc.) ont transité de la France vers l’Afghanistan, puis des aéroports afghans vers les camps et les FOB où sont déployées les forces françaises." Idem en effet pour les hélicos SuperPuma. Et même traitement pour les deux Caracals, emmenés de la base aérienne 118 "Colonel Rozanoff" de Mont-de-Marsan les 14 et 21 avril 2007. Les Gazelles, idem encore pour le Tchad. Bref, en France aussi, l’armée est devenue Antonov-dépendante ! L’armée de l’air n’en a pas... alors que Khadafi a les siens (deux) avec Libyan Arab Air Cargo (Libac) !L’engin avale de tout !
Cela, ou le retour pour modification des "fameux" Nimrod anglais, les cellules de vieux Comet constamment remises à neuf à en devenir une autre gabegie, anglaise cette fois. Le Nimrod est un avion dangereux depuis 22 ans en réalité ! C’est ainsi en effet que la cellule du Nimrod MR.2 numéroté XV246 a été rapatriée à Waddinton le 16 décembre 2007, grâce à un AN-124, pour être convertie en MR.4 aux moteurs et à l’aile neufs, avalée complètement par le Condor de Volga-Niepr ! Les anglais, qui viennent pourtant d’investir dans de coûteux C-17 (huit exemplaires) n’ont pas la capacité à le faire pour autant !!!
Le Condor bloqué en Inde venait de Diego Garcia, base militaire américaine, on le sait. Or cette base pose un autre problème en elle-même. On vous l’a déjà expliqué : l’île est anglaise et non américaine, et le 8 décembre 2003, l’ONU avait même voté (par 130 voix contre 42) une résolution prônant la démilitarisation de la zone... Chose qui n’a jamais été appliquée. Diego Garcia a également servi de base de tortures pour les prisonniers d’Al Quaida, on le sait, on apprend aujourd’hui que des avions civils emportant des charges militaires y ont également transité. L’avion, juridiquement parlant, n’avait même pas le droit d’y décoller !!! A Diego Garcia, il n’y a pas d’aéroport civil !
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