Google a récemment reconnu l’espéranto !
Panorama de l’acceptation et du refus de l’espéranto. Les raisons probables des réticences.
En toute discrétion, l’espéranto vient de faire un pas de plus vers la reconnaissance par les médias, en l’occurrence un pas de géant puisqu’il s’agit du moteur de recherche mondialement connu. Dans Google, si vous cliquez à droite sur « Préférences » ou « Recherche avancée », puis à droite encore sur choix des langues, vous trouverez donc depuis quelque temps l’espéranto dans la liste des langues, alors que de nombreuses autres langues ayant davantage de locuteurs, mais peu actives sur la toile, en sont absentes.
1. C’est une info, mais brève. Alors, histoire de meubler un peu, je vous propose un bref panorama (non exhaustif) de l’acceptation et du refus actuels de l’espéranto, un simple tour d’horizon - ce qui est logique pour un panorama.
— Historique : il faut rappeler que la reconnaissance culturelle par de grands organismes est depuis longtemps acquise - celle de l’Unesco et du Vatican parmi les premiers. Qui plus est, la SDN, première version de l’ONU, avait failli l’adopter et le recommander à tous les pays, s’il n’y avait pas eu lors du vote un veto de la part de grandes nations - dont la France, alors grande langue diplomatique, ceci expliquant probablement cela.
— D’autres sites n’ont pas attendu Google. Quelques exemples :
Lancée en avril 2007 en français et en anglais à Sophia-Antipolis (« la Silicone Valley française »), Ipernity est la première plate-forme internet francophone qui permet de publier à la fois blogs + photos + vidéos + audios. Elle est disponible à présent en 6 langues dont l’espéranto.
Un dictionnaire réticulaire des synonymes en 29 langues dont l’espéranto peut être consulté sur Info-synonyme.
« Economix » est un programme libre et gratuit, très simple, très souple et personnalisable, pour gérer facilement les comptes en banque. Il existe aussi en espéranto, en version 2.6.0 pour Mac OS X, Windows et Linux. Il peut être téléchargé sur le site.
— Mais la reconnaissance de certains spécialistes, dont celle de grands linguistes, est, elle aussi, acquise depuis fort longtemps :
« Ce sont des idiomes existants qui, en se mêlant, fournissent l’étoffe [de l’espéranto]. Il ne faut pas faire les dédaigneux ; si nos yeux [...] pouvaient en un instant voir de quoi est faite la langue de Racine et de Pascal, ils apercevraient un amalgame tout pareil. [...] Il ne s’agit pas, on le comprend bien, de déposséder quiconque, mais d’avoir une langue auxiliaire commune, c’est-à-dire à côté et en sus du parler indigène et national, un commun truchement volontairement et unanimement accepté par toutes les nations civilisées du globe. »
(Michel BRÉAL, linguiste, XXe s.)
« La résistance contre une langue internationale a peu de logique et de psychologie pour soi. L’artificialité supposée d’une langue comme l’espéranto, ou une des langues similaires qui ont été présentées, a été absurdement exagérée, car c’est une sobre vérité qu’il n’y a pratiquement rien de ces langues qui n’ait été pris dans le stock commun de mots et de formes qui ont graduellement évolué en Europe. »
(Edward SAPIR, linguiste américain, Encyclopaedia of Social Sciences, 1950, vol. IX, p. 168)
« L’espéranto est une langue fort bien faite, d’une cohérence absolue et fondée sur une idéologie humaniste de grande valeur. »
(Henriette WALTER, linguiste française, 2005)
— Il en est de même dans le monde scientifique : depuis 120 ans, de nombreux scientifiques ont été soit des espérantistes, soit des sympathisants de l’idée, dont des Français. Citons-en quelques-uns :
Le site de lichénologie de Claude Roux, directeur de recherches au CNRS, peut être consulté en espéranto et en français.
Albert Jacquard, par exemple, a fait une série de chroniques sur France Culture, sur la question de la communication mondiale et de l’espéranto, dont nous reproduisons ici un extrait :
"La grande différence de l’espéranto dont j’ai préconisé hier à mes auditeurs la diffusion est de n’être pas le résultat provisoire d’une longue histoire hasardeuse au cours de laquelle une langue s’est peu à peu forgée, mais d’avoir été pensée dès le départ avec un objectif : permettre la communication entre les individus et entre les peuples avec le minimum d’effort. Il semble que cet objectif que s’était donné son créateur Ludwik Zamenhof ait été véritablement atteint. Devenir capable de communiquer en espéranto demande, affirment les spécialistes, 7 ou 8 fois moins d’apprentissage que pour toute autre langue. J’ai personnellement un très mauvais souvenir des milliers d’heures, certainement, que j’ai consacrées avec un horrible rendement à apprendre au lycée l’anglais et l’allemand. Le résultat de tous ces efforts que j’ai faits avec beaucoup de constance est tout à fait dans mon cas lamentable.
Je suis capable de lire avec une bonne approximation un texte anglais, surtout s’il est technique et pas trop littéraire, mais je ne peux déchiffrer un texte allemand et, surtout, je suis incapable de suivre une conversation que ce soit en anglais ou en allemand. Peut-être étais-je, comme on dit, un sous-doué pour les langues, mais j’aurais certainement moins perdu mon temps à m’initier à l’espéranto. Cette langue, dont la grammaire tient en une seule page et dans laquelle les fautes d’orthographe sont pratiquement impossibles. En effet, en espéranto, la terminaison d’un mot indique son genre : o pour les noms, a pour les adjectifs, e pour les adverbes, i pour l’infinitif des verbes, etc. Une série limitée de préfixes et de suffixes permet de moduler le sens à partir d’une racine et cette racine, bien souvent, est la même que pour la langue française. Je ne nie pas l’intérêt de l’apprentissage d’une langue avec l’objectif de pénétrer la culture d’un peuple, mais il serait sans doute utile de dissocier cet objectif de celui de la communication avec ceux qui parlent cette langue.
Actuellement, l’engouement pour l’anglais que les parents d’élèves mettent presque systématiquement en première langue n’est pas le signe d’une particulière affinité pour la culture anglaise. Il est surtout pragmatique. Ces parents imaginent une société où la langue anglaise sera partout pratiquée et qu’il est par conséquent nécessaire de donner cet outil à leurs enfants. Mais ce faisant, ils contribuent à rendre réelle cette prédominance par le simple fait qu’ils y croient. Pour éviter le cercle vicieux, pour en sortir, il serait judicieux de rendre l’espéranto obligatoire, au même titre, non pas que l’anglais ou l’allemand, mais que la géographie, l’histoire ou les mathématiques. À quand des livres de maths rédigés en espéranto ?"
(Albert JACQUARD, scientifique et essayiste français ; chronique sur France Culture du 16/07/04)
« Je suis persuadé qu’une langue internationale du type de l’espéranto est nécessaire. Celui qui parle plusieurs langues peut reconnaître que l’espéranto est une langue élaborée avec succès. J’ai été saisi par la simplicité de l’espéranto, par la logique de sa structure grammaticale. La finalité de cette langue constitue l’une des pensées humaines les plus grandioses. »
(Bertalan FARKAS, premier cosmonaute espérantiste. Hongrois. A appris l’espéranto en 1971)
Invité au Parlement européen avec douze autres prix Nobel, à l’occasion de la Journée de l’Europe, le 9 mai 2007, le professeur allemand Reinhard Selten a dit entre autres : « Une langue facile à apprendre comme l’espéranto permet une solution neutre du problème linguistique. On apprend plus facilement une seconde langue étrangère que la première. L’effet d’une seconde langue est si fort, et l’espéranto est si facile, qu’il est plus favorable d’apprendre l’espéranto en premier, et ensuite une langue nationale, plutôt que cette langue étrangère seule. C’est scientifiquement prouvé par des tests scolaires. Quelques pays pourraient d’abord faire un traité sur l’enseignement scolaire de l’espéranto. On pourrait ensuite étendre ce traité aux autres pays ».
(Mon article à ce sujet sur Agoravox)
— Certaines administrations régionales aussi commencent à se montrer plus sensibles à un vrai plurilinguisme, loin des clichés de l’anglais qui serait parlé par tous les touristes du monde. Ainsi, le site officiel de la ville de Montpellier est en huit langues, dont l’espéranto (boîte de dialogue en haut à droite).
— Il faut également citer les médias régionaux qui, peut-être sensibilisés par les revendications des langues régionales et vivant davantage au contact de la vie associative, ont souvent rapporté les diverses manifestations locales, l’activité des clubs d’espéranto, les rencontres petites ou grandes, et sans ressortir les habituels clichés et préjugés dont les médias nationaux ne sont pas avares...
Par exemple, France 3 Nord a diffusé en 2006 un reportage (repris par la suite dans l’émission C’est mieux ensemble) sur une expérimentation auprès des enfants du primaire (c’est autorisé dans les locaux scolaires hors temps scolaire, lorsque le chef d’établissement est d’accord), une série de cours faits par un professeur de maths à la retraite, Michel Dechy. Reportage visible en ligne.
Il en est de même avec les télévisions étrangères, où les régions sont moins frileuses que les médias nationaux : un reportage a récemment été diffusé sur une télévision régionale belge.
— Profitons de l’initiative périscolaire citée précédemment pour signaler que dans le monde éducatif, il existe probablement un certain nombre d’enseignants intéressés, mais qu’encore maintenant c’est mal vu par les instances de l’Éducation nationale. Le fait que Freinet, qui a donné naissance à des mouvements se réclamant de sa pédagogie, ait été un espérantiste convaincu, n’est jamais rappelé.
— Faisons un tour du côté des organisations internationales, qui, pour des raisons évidentes, ont un besoin criant d’une langue auxiliaire commune, et qui se rendent compte que l’anglais, malgré les moyens et la pression exercés en sa faveur, ne remplit pas correctement ce rôle - pour des raisons traitées dans d’autres articles. Cette réflexion est encore balbutiante dans ces organisations, mais mentionnons le fait que le festival de la terre a choisi l’espéranto pour son hymne :
Paroles (doc. en Word, texte bilingue français-espéranto, avec élision de la finale en « -o »)
Et musique (la musique démarre automatiquement).
— N’oublions pas les politiciens, si souvent décriés :
« Il est temps déjà que les diverses nations comprennent qu’une langue neutre pourra devenir pour leurs cultures un véritable rempart contre les influences monopolisatrices d’une ou deux langues seulement, comme ceci apparaît maintenant toujours plus évident. Je souhaite sincèrement un progrès plus rapide de l’espéranto au service de toutes les nations du monde. »
Vigdis FINNBOGADOTTIR, présidente de la République d’Islande
Deux députées suisses ont récemment proposé l’UEA (organisation pour la promotion de l’espéranto) au prix Nobel de la paix.
Plus surprenant et tout récemment, l’Union européenne elle-même vient d’accepter sur son site une version en espéranto d’un document.
La page sur laquelle se trouve ce document
Le document en pdf, sur le CECRL, cadre ou échelle de niveau en langues
Grille d’auto-évaluation en pdf
— Les écrivains, et autres lettrés :
« Les sacrifices que fera tout homme de notre monde européen en consacrant quelques temps à l’étude de l’espéranto sont tellement petits, et les résultats qui peuvent en découler tellement immenses, qu’on ne peut pas se refuser à faire cet essai. »
(Léon Tolstoï (1828 - 1910), écrivain russe)
« Ce que je souhaite, et ce que je souhaite vivement, ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que les nations se soucient d’abord de tout ce qui peut les rapprocher, de tout ce qui peut les amener à une compréhension et à une tolérance mutuelle - et dans ce domaine-là une seconde langue, vraiment internationale et commune, peut être - cela va de soi - d’extrême conséquence, d’une bienfaisance sans prix, pour les générations à venir... L’espéranto n’est pas du tout une langue uniforme, une langue robot, mais, au contraire, une langue naturelle et souple... L’espéranto est en mesure d’exprimer les nuances les plus subtiles de la pensée et du sentiment, elle est propre à permettre, par conséquent, l’expression la plus juste, la plus littéraire, la plus esthétique et de nature à satisfaire les esprits les plus ombrageux et les plus particularistes, et il ne peut pas porter ombrage aux fidèles des langues nationales... »
(Maurice Genevoix (1890 - 1980) écrivain français. Interview à la radio sur la chaîne nationale par Pierre Delaire, le 18 février 1955, extraits)
— Et le monde du « business » ?
L’espéranto est l’une des 42 langues dans lesquelles et à partir desquelles le réseau de traducteurs LinguaForce propose ses services :
Une boîte de vente d’artisanat de Madagascar a son site en français et espéranto, et peut discuter par téléphone en anglais-français-espéranto. J’ignore totalement qui a monté ça, si c’est une boîte sérieuse, mais c’est certainement une idée d’avenir.
Autre exemple, une maison de retraite en Thaïlande, qui non seulement a mis son site en quatre langues dont l’espéranto, mais à plus long terme espère réaliser des économies dans la formation de son personnel si une partie de la clientèle européenne parle un peu espéranto.
Un site russe tout récent de vente de chansons à l’unité en MP3, dont l’interface est en trois langues : russe, anglais et espéranto (Eo)
— L’espéranto enseigné à l’université : (liste en espéranto)
— Les gens des métiers des langues :
Claude Piron, ex-traducteur, en anglais et chinois, auprès d’organisations internationales, est depuis son enfance un fervent partisan de cette langue, et l’auteur d’articles passionnants sur tous les thèmes qui se rapportent aux langues et à la traduction, auteur entre autres du livre Le Défi des langues, et d’une série de vidéos de 10 minutes sur le thème des langues et de la communication internationale (les neuf premières parlent de différents aspects de la communication mondiale, seule la dixième parle de l’espéranto comme solution possible). Voir aussi les vidéos sur Youtube.
Georges Kersaudy (réf. sur Wikipédia) dans son livre Langues sans frontières, éd. Autrement, propose pour l’école primaire soit l’espéranto, soit une initiation non spécialisée dans une langue, mais à différents alphabets et différentes langues européennes pour se faire l’oreille.
— Certains pensent, contre toute évidence, que l’espéranto est surtout européen (alors que ce n’est pas une langue indo-européenne). Il s’est aussi développé en Asie : Esperanto-eksporto (Chine)
Que conclure de ce tour d’horizon ? Que depuis sa naissance, soit depuis 120 ans, l’espéranto, qui demeure une langue très minoritaire, est néanmoins une des rares langues à diffusion réellement internationale, présentes sur les cinq continents (essentiellement anglais, français, allemand, espagnol, russe, arabe dit littéral, chinois quoique surtout dans la diaspora). Il a su convaincre bon nombre de personnes, anonymes ou célèbres, de son intérêt considérable pour l’humanité. Et, à chaque génération, il en a été de même, il s’est toujours trouvé toutes sortes de gens pour faire vivre, actualiser et développer cette langue construite. Et ce, comme nous l’avons brièvement vu, dans tous les milieux, à tous les postes, des plus humbles aux plus prestigieux.
Aujourd’hui, il semble que l’explosion d’internet stimule cette langue, car l’augmentation exponentielle des communications internationales (échanges professionnels, forums participatifs, courriels) est évidemment synergique avec une langue dont la raison d’être, l’essence même, est de se proposer comme langue auxiliaire internationale, neutre et démocratique car très largement plus facile que la plupart des langues ethniques ou nationales, donc accessible au plus grand nombre. Une langue seconde, base potentielle d’un plurilinguisme raisonné pour pouvoir disposer à la fois d’une langue commune ET apprendre la langue du ou des pays où nous serions amenés à travailler, fût-ce pour quelques années seulement, qu’il s’agisse d’une langue essentiellement locale comme le catalan (8 millions de locuteurs) ou internationale comme le castillan.
Or, malgré ces locuteurs et sympathisants dans tous les milieux, qui se renouvellent à chaque génération, un obstacle qui paraîtrait simplement administratif, de pure forme, à savoir la possibilité de le présenter en option au bac (à coût zéro, sans enseignement) se révèle depuis des décennies très coriace, puisque à toute demande l’Éducation nationale répond en copier-coller, par deux arguments principaux qui sont l’absence supposée de culture et le fait qu’il y a déjà beaucoup de langues possibles au bac. Chose « amusante », la même réponse a été refaite année après année, alors même que d’autres langues étaient venues s’ajouter à cette liste ! (Les réponses successives et identiques du ministère de l’Éducation nationale)
L’autre bastion du boycott de l’espéranto et du soutien sans faille au tout anglais, ce sont les télévisions nationales et les journaux nationaux. Ils ne peuvent montrer un pays nordique sans dire à quel point ils sont forts en anglais, ou faire un reportage sur la Chine (le 6 /12/07 sur France 2) sans filmer les petits Chinois des écoles primaires (de l’élite) faisant de l’anglais ! Le fait qu’il existe aussi des Chinois qui font de l’espéranto, que cette langue est enseignée dans certaines universités chinoises (et européennes), qu’il existe des sites espérantistes chinois semble totalement ignoré ou boycotté par les grands journalistes des grands médias de la grande information objective.
Lors d’une visite du président Jacques Chirac en Espagne, un reportage avait pareillement montré une classe de petits Espagnols qui apprenaient l’anglais, pas le catalan ni le français ni le portugais ! Simple hasard ? Peut-être, mais quand le hasard se fait systématique...
2. Comment expliquer ces résistances ?
Au vu du tour d’horizon, vous aurez remarqué que les plus grandes résistances à l’idée de l’espéranto comme langue auxiliaire européenne et/ou mondiale, se retrouvent dans l’Éducation nationale (du moins en France), chez les politiciens du moins la plupart, dans les télévisions et les grands journaux nationaux, et chez les grands noms de la francophonie. Quelles peuvent être les raisons de ces réticences, qui peuvent aller du simple boycottage de toute mention de l’espéranto et de tout rapport qui en parlerait, à une attitude hostile, en perpétuant les clichés et les préjugés sur cette langue ?
Elles sont en gros de trois sortes : psychologiques, économiques et politiques.
— Les réticences psychologiques
Tout ce qui est résolument nouveau, tout concept quasiment révolutionnaire, met très longtemps à être accepté. Les exemples sont nombreux dans l’histoire des sciences : les chiffres arabes (provenant auparavant de l’Inde) et le système décimal ont mis des siècles à être adoptés, le système métrique (toujours pas accepté par la GB !). Dalton a fondé la chimie moderne en exprimant l’idée que tout dans la nature est formé d’atomes (idée déjà émise par les Grecs) et a précisé leur façon de s’agglutiner ainsi avec d’autres caractéristiques. Il fut couvert d’honneurs, pourtant, un siècle plus tard, le physicien Mach (vitesse du son) continuait à douter de l’existence des atomes, « choses de la pensée », écrivit-il.
Qui connaît Georges Lemaître, prêtre belge et ingénieur ? C’est pourtant lui qui émis l’hypothèse du « big bang », que l’on devrait donc appeler « grand boum », mais il l’a imaginé trop tôt. Darwin reçut beaucoup d’honneurs de son vivant, mais jamais pour ses deux publications majeures, L’Origine des espèces (1858) et La Descendance de l’homme (1871), car les idées de Darwin et de Mendel ne furent véritablement reconnues que vers 1930 à 1940, et sont encore combattues actuellement pour des raisons religieuses.
Semmelweiss avait eu la prescience de l’importance de l’hygiène pour limiter les risques infectieux liés à l’accouchement, mais, malgré les résultats dans l’hôpital où il avait appliqué ses méthodes (entre autres le simple lavage des mains des « accoucheurs » que ses collègues jugeaient insultant !), il ne fut pas pris au sérieux et fut au contraire vivement critiqué. Car c’était longtemps avant Pasteur, les microbes étaient inconnus, et la notion de preuve épidémiologique elle aussi encore à venir.
Peut-être penserez-vous que ces attitudes étaient celles d’un obscurantisme d’un autre âge ? Eh ! Non : encore tout récemment, Robin Warren et Barry Marshall, les deux médecins qui ont prouvé que certains ulcères gastriques étaient dues à une bactérie, Helicobacter pylori, alors que jusque-là on les attribuait à l’hérédité et/ou à l’alimentation, ont dû batailler ferme pour convaincre leurs collègues. Il leur a fallu des années, dans un domaine où les preuves expérimentales sont pourtant faciles à obtenir (traitement antibiotique court et simple), l’un d’eux allant même jusqu’à s’inoculer la bactérie pour développer l’ulcère puis le guérir !
D’autre part, notre vie étant par essence profondément instable, changeante de la naissance à la mort, nous avons un besoin instinctif de stabilité, hormis peut-être les jeunes et les accros à l’adrénaline... Toute chose trop révolutionnaire dérange donc profondément nos certitudes, et nous déstabilise. D’autre part, nous remplaçons très souvent les trous dans nos connaissances (aussi vastes que les trous noirs !) par des certitudes : chacun sait, croit savoir, que l’espéranto ne marche pas, est artificiel, a échoué, etc. etc., sans rien en connaître. C’est ainsi que le dogmatisme peut remplacer la raison et les preuves expérimentales qui, pourtant, pourraient être obtenues par des études, par exemple sur la vitesse d’apprentissage comparée entre l’espéranto et l’anglais ou le français, sur la fidélité comme langue pivot de traduction, ou sur l’effet propédeutique.
C’est également sur les nouveautés que nous projetons nos peurs et nos fantasmes : « artificialité » inquiétante sans prendre la peine de vérifier qu’il n’y a pas un seul mot qui ne vienne du fonds commun des langues de l’humanité, de l’esprit humain ; ou fantasme d’une langue unique alors que le temps libéré par une langue auxiliaire facile permettrait justement de travailler la langue du ou des pays dans lesquels nous nous retrouverions en poste.
Il en a été de même avec toute nouveauté, de la machine à laver au four à micro-ondes au sujet duquel aucun journaliste n’a jamais pu confirmer l’histoire du chat qui a grillé dedans !
Or, si l’idée d’une langue construite est ancienne, sa réussite était inespérée, inattendue, surprenante et dérangeante, alors même que le simple examen des faits rappellerait que diverses langues dites « naturelles » ont fait l’objet de profonds remaniements (indonésien, russe, italien, swahili, hébreu, maltais, grec, entre autres).
Une raison individuelle plus simple, mais forte : accepter qu’il puisse exister une meilleure solution que l’anglais lingua franca impliquerait d’apprendre une nouvelle langue, après avoir sacrifié à l’étude de l’anglais au bas mot 15 000 heures de notre vie (pour un niveau moyen à pas mal), ainsi que nombre de séjours linguistiques. Avec en prime la vague sensation de s’être fait arnaquer !
— Les raisons économiques
Le candidat actuel le mieux placé à une lingua franca européenne ou mondiale est sans conteste l’anglais. Or, l’anglais est le centre d’une multitude d’intérêts - éditeurs, traducteurs, interprètes, enseignants, instituts, librairies, télévisions (France 24), voyagistes, « show-biz » et monde de la pub avec leurs habitudes de coller des anglicismes partout, tous ces milieux sont donc naturellement portés à souhaiter que tout continue comme avant.
— Les raisons politiques
Si tous les dictateurs se sont acharnés sur les locuteurs de l’espéranto (et sur bien d’autres communautés), c’est pour une raison bien simple : une langue beaucoup plus facile à apprendre permet aux gens de communiquer beaucoup plus facilement avec l’étranger !
Mais les démocraties ne sont pas exemptes de ce genre de craintes devant tout ce qui paraît vaguement supranational...
L’UE est déjà anglophone, la plupart des politiques ont appris l’anglais, leurs enfants l’apprennent dans des sections européennes élitistes et vont régulièrement faire des stages aux States ou en GB ; comment imaginer que la recherche d’une solution plus efficace, plus simple et plus équitable les intéresse ? Seuls les plus altruistes peuvent y songer, comme ceux que j’ai cités plus haut, et pardon aux députés français favorables et à tous les autres politiques non cités.
Cette attitude conservatrice est plus vivace dans les pays comme l’Allemagne et la France, nostalgiques de leur passé de grande langue de la diplomatie, qui rêvent en secret, et même au grand jour, de voir le monde soudainement reconnaître que le français est une langue tellement supérieure aux autres qu’elle ne peut que s’imposer « naturellement » comme langue internationale, qu’elle a été "donnée au monde" comme le phare qui va l’éclairer, pour ainsi dire donnée par Dieu himself, heu... lui-même.
Plus récemment, une nouvelle raison politique est apparue - la crainte que des articles sur l’hégémonie de l’anglais dans l’Union européenne n’augmentent le sentiment anti-européen. Ainsi, on sacrifie la vérité des faits sur l’autel de la construction européenne, en évitant tout débat sur la communication dans les administrations européennes, et en culpabilisant les Européens qui ne travailleraient pas assez leurs 27 langues !
— Les raisons économiques et politiques sont bien évidemment liées
La principale raison économique est que le puissant monde économique anglo-saxon est totalement et massivement en faveur de l’anglais pour tous, ainsi que le lobby militaro-industriel qui a également cédé aux sirènes de l’anglais. Là où autrefois Eurocorps était bilingue franco-allemand, il est maintenant totalement anglophone au même titre que l’Otan. Que pèsent les voix de la raison et de l’équité face à ces puissances ?
Conclusion
Ceux qui lisent et écrivent sur l’internet participatif, comme on dit, savent que malgré ses défauts, dont le manque de production d’infos originales et le risque de manipulation (qui existait avant internet !), ces nouveaux médias permettent d’exprimer des points de vue différents, non conformes à une ligne éditoriale ou au dogme ambiant. Il est certain que l’explosion d’internet a fait sauter beaucoup de verrous et de filtres. Les groupes de pression l’ont compris, les manipulateurs de tous bords aussi, tout le monde s’y est mis ! Les journaux ont tous ouverts leur courrier des lecteurs et favorisé des blogs de journalistes, leurs archives sont mises en ligne, parfois gratuites, parfois payantes, les groupes de pression envoient leurs plumes et font écrire des articles de commande sur les pesticides ou sur tel ou tel sujet conflictuel, etc.
Vous allez dire que je fais pareil ? Eh... Oui, parfaitement, la toile permet à des opinions minoritaires qui ne passaient pas le filtre des courriers des lecteurs de se faire connaître.
A vous de voir si les espérantistes racontent des salades ou pas, comme dans la fameuse formule : info ou intox ? C’est à vous de décider. Ici, c’est le web participatif, pas TF1 ou France 2 !
Google s’est donc montré plus réaliste que les médias en reconnaissant l’espéranto, alors que ceux-ci ont TOUS (sauf erreur) boycotté le rapport Grin, officiellement commandé par la France à un professeur suisse, qui analyse les différentes solutions linguistiques à la barrière des langues dans l’UE (anglais, langues de travail, traduction intégrale, une autre langue de l’UE, ou l’espéranto progressivement comme langue auxiliaire) selon différents paramètres : efficacité, coût et faisabilité. Ce rapport, en version intégrale ou sous forme d’extraits, est toujours disponible en ligne.
Au format PDF (696 Ko) le rapport de François GRIN : L’enseignement des langues comme politique publique (septembre 2005) :
Sources
— Nombre d’informations proviennent du site espérantiste SAT-Amikaro, dont un article récapitulatif sur ce thème de l’espéranto au présent.
— Certaines anecdotes sur l’histoire de la science proviennent de l’excellent livre de vulgarisation scientifique de Bill Bryson, Une histoire de tout.... ou presque, éd. Payot (l’auteur est très connu pour ses récits humoristiques de voyages, Etats-Unis, Australie, etc.).
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