De l’état du milieu carcéral français au-delà de la démagogie politique
« Une société se juge à l’état de ses prisons » ou « l’État de droit ne doit pas cesser à la portes des prisons » (Albert Camus).
Après tant d’années où le discours politique est resté fixé sur une prétendue gravissime situation d’insécurité en France, la répression de la délinquance paraît de plus en plus féroce. Cependant, la prison est dans un tel état dans notre pays que l’emprisonnement ne peut, aujourd’hui, concrètement strictement rien apporter si ce n’est une élimination physique temporaire du délinquant, mais aussi une détérioration de ce dernier en milieu pénitentiaire et une insécurité majeure pour l’avenir, d’où le paradoxe suscité par les politiques, souvent démagogiques, menées pour résoudre la délinquance. Etat des lieux :
La
situation du milieu carcéral français est telle qu’en 2007, en France,
le choix de l’emprisonnement systématique ne peut être qu’un pis aller,
une solution du dernier recours tellement il devient risqué de placer
qui que ce soit en maison d’arrêt (que ce soit à Fleury-Mérogis ou à la
maison d’arrêt de Fresnes pour ce citer qu’elles). L’ancien commissaire
européen aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Alvaro Gil-Robles,
en septembre 2005, après avoir visité les prisons de 31 pays dans le
cadre d’une mission sur l’état des prisons a déclaré sur la prison des
Baumettes : « De
ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n’ai vu un centre pire que
celui-là ! C’est affreux ! Les gens s’entassent dans un sous-sol sur
deux niveaux, sans aération. Ils se promènent dans une cour minuscule
grillagée de tous côtés. Au second niveau, on marche sur la grille,
au-dessus de ceux du premier niveau. Les fonctionnaires en sont
eux-mêmes très gênés. Il faut fermer cet endroit, c’est urgent ». En février 2006, il ajoute : « Le maintien de détenus aux Baumettes me paraît être à la limite de l’acceptable, et à la limite de la dignité humaine ». Elle expose le prisonnier à un certain nombre de dangers que nous allons examiner dès à présent.
Depuis quelques années, les conditions de vie sont au centre de la critique du système pénitentiaire français. Notamment depuis la publication du livre Médecin-chef à la prison de la Santé de Véronique Vasseur et l’ouvrage d’Éric Péchillon Sécurité et droit du service public pénitentiaire.
En juillet 1999, É. Guigou,
alors garde des sceaux du gouvernement Jospin a chargé le groupe de
travail dirigé par Guy Canivet, premier président de la Cour de
cassation, d’étudier les manières d’améliorer le contrôle extérieur des
prisons. En clair, le gouvernement a tenu à mettre en place une enquête
parlementaire afin de se rendre compte de l’étendue de la situation
derrière les barreaux des maisons d’arrêt. La réponse fut unanime :
désastreuse.
Le 24 mai 2005, l’Observatoire international des prisons (OIP) a rendu public son rapport annuel sur les conditions de détention en France. « Loin de s’améliorer depuis la publication des rapports d’enquête parlementaires sur les prisons en juin 2000, la situation s’est aggravée », avait estimé à l’époque le président de la section française de l’OIP, Me Thierry Lévy. Aussitôt, les associations de défense des détenus sont montées au créneau en multipliant les recours juridiques devant les tribunaux territorialement compétents.
Surpopulation
La surpopulation carcérale en France est notoire. En 2003, un rapport du Comité européen de prévention de la torture, un organe du Conseil de l’Europe, avait fait état de "traitements inhumains et dégradants" dans les prisons françaises, conséquences de leur surpopulation.
Malgré l’effet de la grâce collective du 14 juillet, on comptait 57 500 détenus pour 48 000 places le 1er octobre 2005. Concrètement, il n’était pas rare que trois à cinq prisonniers s’entassent dans des cellules de 9 ou 12 m2. En 2006, le nombre de places opérationnelles était de 50 207 pour 60 771 écroués soit une densité de 121 %.En juillet 2007, le nombre de places opérationnelles est de 50 557 pour 61 810 écroués soit une densité de 122 %. 10 établissements ou quartiers ont une densité supérieure à 200 %, 42 ont une densité comprise entre 150 et 200 %, 51 entre 120 et 150 %, 36 entre 100 et 120 % et 87 ont une densité inférieure à 100 % [2]. La construction des 13 000 places supplémentaires, décidée en 2002, devrait être achevée en 2011 : près de 63 500 "places opérationnelles" seront alors disponibles.[1
En 2006, le nombre de places opérationnelles était de 50 207 pour 60 771 écroués soit une densité de 121 %.
Fort de ce constat, L’OIP n’a alors cessé de déplorer depuis quelques années "une augmentation du nombre de détenus
qui a commencé à l’automne 2001 après l’affaire Bonnal, affaire où le
braqueur a été placé en détention provisoire, puis libéré en décembre
2000 et suspecté d’avoir ensuite tué plusieurs personnes dont des
policiers". De fait, on est alors passé de 48 000 à 54 000 détenus en
six mois. La tendance s’est accentuée durant l’exercice de Nicolas
Sarkozy au ministère de l’Intérieur de 2002 à 2004 sous le gouvernement
Raffarin et de 2005 à 2007 sous le gouvernement Villepin. La récente
suppression de la grâce par le président de la République n’y arrangera
rien mais tel n’est pas le débat sur lequel j’ai envie que l’on
s’appesantisse.
Suicide
L’OIP
s’est ensuite inquiétée d’un autre problème inhérent au système
carcéral français : le suicide. Ainsi la hausse du nombre de suicides
est constatée par les spécialistes en droit pénal : 122 en 2002, contre
104 en 2001. « Après la baisse constatée en 2001, on retrouve les
sommets atteints dans les années 1990, souligne l’OIP. Les suicides
sont particulièrement nombreux lors de l’entrée en prison et du
placement en quartier disciplinaire. » En prison, le taux de suicide est huit fois supérieur à la moyenne nationale.
Problèmes psychologiques
Autre sujet d’alarme : le nombre important de prisonniers souffrant de problèmes psychologiques. « 55 % des détenus qui arrivent en prison souffrent d’au moins un trouble psychiatrique », relèvent les responsables de l’OPI dans leur rapport. Les conditions de vie particulièrement difficiles de la prison accroissent la gravité des maladies mentales et provoquent nombre de dépressions et autres comportements d’automutilation.
Insécurité
Paradoxalement, la vie en prison n’efface pas l’insécurité. Le manque de moyens et la trop forte densité de population incarcérée permettent à l’insécurité d’exister à l’intérieur de la prison (phénomène de bande). Dans les maisons d’arrêt, de simples suspects coexistent avec des condamnés à de longues peines, au mépris des textes.
De plus, tous les délits et crimes y sont mélangés. En établissement
pour peine (les maisons centrales et les centres de détention), il y a
également un mélange des types d’actes. Les délinquants sexuels ne sont
pas toujours isolés, en raison de difficultés matérielles au vu de la
proportion importante qu’ils représentent, 21,4%. Ceci
conduit très souvent à des agressions sexuelles à l’intérieur des
cellules au nez et à la barbe des vigiles. Les prisons en France sont
des lieux particulièrement propices en France à la transmission du
virus du sida et de la tuberculose. La forte présence de toxicomanes
munis de seringues et les viols répétés n’y sont pas pour rien.
Après cet état des lieux navrant fondé sur des données objectives, les responsables de l’OIP ont livré leur analyse de la situation. « La plupart des détenus ne sont pas condamnés pour des faits de violence graves, mais parce qu’ils appartiennent à des minorités défavorisées, soutient ainsi Me Thierry Lévy. Le gouvernement utilise la prison comme une réponse à l’aggravation de la misère sociale. » « La moitié de la délinquance au moins est le fruit du système carcéral, renchérit Gilbert Bonnemaison, ancien maire socialiste d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) et héraut des politiques de prévention dans les années 80. Le ministère de la Justice devrait être rebaptisé "Institut national de formation à la délinquance". »
Il
paraît incroyable qu’en France, un juge pour enfant qui condamne un
mineur à une peine de prison supérieure à deux mois sache pertinemment
que ce dernier sera à jamais perdu tellement les prisons sont devenues criminogènes. Il convient de rappeler que le rôle 1er
de la prison en droit pénal français est de mettre les individus
dangereux de la société à part afin de pourvoir ensuite les réintégrer
dans la société. Condamner aujourd’hui par exemple un mineur comme nous
venons de le voir, c’est le condamner à mener une vie rythmée par la
délinquance et la récidive. Il faut donc d’excellentes raisons
pour que la société prenne ce risque. Elle doit le prendre dans
certains cas, mais à condition de mener par ailleurs une autre
politique fondée sur un véritable individualisation de la peine et sur le respect des valeurs de la démocratie.
Une lutte âpre contre la délinquance est en ce moment même menée par Nicolas Sarkozy et Rachida Dati. La systématisation de la répression, voire son aggravation n’y changeront rien, voire auront l’effet strictement inverse ! Des solutions au problèmes ?
Deux axes : la ré-humanisation des lieux d’emprisonnement, et la recherche de toutes les alternatives à la détention, notamment pour les jeunes. En effet, le milieu carcéral doit récupérer son rôle primordial : préparer le condamné à sortir de prison et réintégrer la société une fois sa dette payée à la nation.
Pour finir, la loi pénitentiaire doit assurer le respect de l’Etat de droit dans la prison : confidentialité, rencontres régulières entre détenus et personnels pénitentiaires, droit de vote effectif. En juin 2007, l’arrêt Frérot rendu par la Cour européenne des droits de l’homme a contraint la France de verser une somme de 12 000 euros « pour traitements dégradants » sur la personne de Maxime Frérot, victime de fouilles intégrales beaucoup trop répétées par rapport à ses congénères et concernant notamment une fouille de la région anale.
C.D.G.D.P.
Références pour aller plus loin :
- Prisons de la honte, 2 novembre 2005, Le Nouvel Observateur
- Matthieu Auzanneau, avec AFP, « La surpopulation des prisons proche d’un record historique », 18 Juillet 2007, Le Monde
- Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée, 1er avril 2007, Direction de l’administration pénitentiaire
- Chiffres clés de l’administration pénitentiaire 2006, 18 novembre 2006, Direction de l’administration pénitentiaire
- Situation dans les prisons françaises, 28 juin 2001, Assemblée nationale
27 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON