De l’importance « Royale » des abstentionnistes
Si elle veut l’emporter dimanche prochain, Ségolène Royal doit désormais convaincre une partie des abstentionnistes du premier tour de sortir de leur mutisme et de voter pour elle, tout en continuant à capter une majorité des électeurs de François Bayrou, mais sans pour autant démobiliser les électeurs de la gauche antilibérale pour qui les oeillades de la candidate socialiste vers le centre-droit pourraient apparaître comme une trahison ou, au mieux, comme une compromission nécessaire.
Alors pourquoi se tourner vers les abstentionnistes ?
D’abord parce que, hormis lors de l’élection présidentielle de 1969, le taux de participation au second tour a toujours été supérieur à celui du premier tour [1].
Il fut de 8,11% supérieur en 2002 - mais il est vrai que ce fut une élection particulière - de 3,1% en 1974, de 4,76% en 1981, de 2,71% en 1988, et de 1,28% en 1995.
Mais ce ne sont là que des chiffres bruts, donc grossiers.
Car la mécanique est bien plus compliquée.
Elle l’est car des électeurs du premier tour décident de s’abstenir pour le second, pour diverses raisons, ne serait-ce que par dépit de ne pas voir leur favori au second tour (plus particulièrement le 3e, voire le 4e homme) ou tout simplement parce que le choix proposé ne leur convient pas, ou les indiffère.
Il y en a même qui, entre les deux tours, rendent carrément leur carte d’électeur [2] !
Ensuite, parce que même si elle bénéficiait d’un excellent report de voix des électeurs de François Bayrou sur sa personne, cela ne suffirait pas pour remporter la victoire le 6 mai prochain.
Si l’on privilégie une vision raisonnablement optimiste en faveur de la candidate socialiste, elle peut espérer rafler 45% des électeurs centristes, quand Nicolas Sarkozy n’en obtiendrait que 31%.
De fait, elle gagnerait par rapport à son concurrent un bon million de voix, ce qui serait nettement insuffisant, dans la mesure où, au soir du premier tour, elle accusait un retard de près de 2 millions de suffrages !
C’est donc bien vers les abstentionnistes que Ségolène Royal doit maintenant se tourner pour tenter de refaire son handicap.
Mais avant de déterminer dans quelle proportion les abstentionnistes pourraient faire basculer le scrutin, osons un report des voix des électeurs du premier tour sur Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, toujours dans une perspective favorable à la candidate socialiste.
Si nous prenons en compte le fait établi que tous les électeurs du premier tour ne se déplacent pas quinze jours plus tard, que le report des voix de droite et de gauche en faveur de l’un des deux candidats qualifiés n’est jamais de 100% et qu’en outre, l’électorat de François Bayrou est partagé, et à un degré moindre, celui de Jean-Marie Le Pen, voici ce que cela pourrait donner :
Electorat de "gauche" :
98% des électeurs de Ségolène Royal confirment leur choix au second tour. Ils seront donc 9 310 110 à voter pour elle, le 6 mai.
90% des électeurs de Besancenot, c’est 1 348 723 électeurs de plus.
92% de Marie-Georges Buffet : 650 687.
90% de Gérard Schivardi : 111 186.
89% de José Bové : 429 877.
95% de Dominique Voynet : 547 833.
45% de François Bayrou : 3 069 054.
20% de Jean-Marie Le Pen : 766 906.
Electorat de "droite" :
97% des électeurs de Nicolas Sarkozy réaffirment leur choix du premier tour. Ils seront 11 105 203 à voter pour le président de l’UMP, dimanche prochain.
69% de Jean-Marie Le Pen : 2 645 826.
31% de François Bayrou : 2 114 237.
98% de Philippe De Villiers : 802 039.
96% de Frédéric Nihous : 403 819.
Total Ségolène Royal : 15 931 104 [48,27%]
Total Nicolas Sarkozy : 17 071 124 [51,73%]
Taux de participation : 74,20%
Ségolène Royal serait donc battue par un écart de 1 140 020 voix.
Cet écart était de 1 948 551 au premier tour.
Soit un gain de 808 531 voix par rapport à son adversaire, maigre consolation.
Mais on remarque surtout que, dans cette projection, le taux de participation serait inférieur de 9,57% à celui de premier tour.
Or, comme ce taux de participation est généralement supérieur au second qu’au premier, il est raisonnablement possible d’en déduire que 10 à 11% de celles et ceux qui ne se sont pas prononcés le 22 avril seront amenés à le faire le 6 mai.
Soit environ : 4 250 000 électeurs.
C’est plus qu’il n’en faut pour faire basculer un scrutin.
Et c’est la raison pour laquelle, pour l’emporter, Ségolène Royal doit absolument convaincre près des deux tiers de cet électorat potentiel.
Reste à savoir, comment...
Là est toute la question.
Quoi qu’il en soit, si cette perspective on ne peut plus optimiste se concrétisait le 6 mai prochain, cela nous donnerait assurément le scrutin le plus serré de l’histoire de la Ve République.
Dans le cas contraire, Ségolène Royal n’obtiendra pas plus de 48% des suffrages.
[1] En 1965, le taux de participation était sensiblement égal aux deux tours, ce qui ne siginifie pas qu’une fraction non négligeable des abstentionnistes du premier tour ne se sont pas déplacés pour le second. Sinon, comment expliquer que François Mitterrand ait pu gagner près de trois millions d’électeurs entre les deux tours, alors qu’il était, lors de cette élection, le seul candidat de la gauche ?
[2] Ils furent 17 010 à rendre leur carte d’électeur après le premier tour de la présidentielle 1995, record à ce jour !
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