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Accueil du site > Tribune Libre > De l’omniprésence du pouvoir

De l’omniprésence du pouvoir

Ancien journaliste politique au Monde et au Nouvel Observateur, Daniel Carton est aujourd’hui écrivain et journaliste indépendant. Bien connu par les lecteurs d'AgoraVox, il est auteur d’essais et de documents dont " Bien entendu c’est off : ce que les journalistes politiques ne racontent jamais" (Albin Michel), " S’ils savaient à Paris… ce que la France d’en haut ne voit plus" (Albin Michel), " Une campagne off, chronique interdite de la course à l’Elysée" (Albin Michel) et un premier roman, "Mélanine" (Fayard). Il vient de publier " Le nègre du président" aux éditions Hugo&Cie. Compte-rendu de lecture.  

Sans jamais voir prononcé son nom, notre « buveur d’eau » national est pourtant au centre de ce roman. Il décide de tout, même des règles de ponctuation. Son Omniprésence rythme les pages, les vies et redessine les contours de l’identité politique et sociale française. Si, selon la formule de Julien Green " le romancier n'invente pas, [mais] devine", ici, dans le roman de Daniel Carton, Le nègre du président, le lecteur devine que les coulisses décrites lui sont tout à fait familière. 

La cour de Versailles s’est déportée au palais de l’Elysée, centre de gravité du microcosme parisien. Les courtisans marivaudent autour de leur Prince, le « Roi-Soleil » du 21e siècle. La cour est un vaste théâtre où chacun se met en scène dans le seul but d’obtenir les faveurs du roi. C’est un fonctionnement qui n’est pas sans nous rappeler celui que La Bruyère dénonçait dans « ses » Caractères : un lieu dominé par l'intérêt égoïste de chacun, où la méritocratie est noyée sous le népotisme et la corruption.
 
Servir bien sûr, mais surtout se servir ! Oubliées l’élégance, les belles lettres et les missions d’intérêt général : à nous les femmes, l’argent et le cumul des mandats ! Mais à quel prix ? Celui de l’acceptation de la servitude, de l’ombre et de l’humiliation quotidienne, soit un sacrifice douloureux, qu’étrangement beaucoup sont prêts à endurer. Peu de personnes quittent l’ambivalent confort des couloirs du pouvoir.
 
La seule échappatoire à ce monde « pourri » est un retour à la simplicité de la vie, « être en short » au milieu d’une nature bienveillante et idéalisée d’inspiration rousseauiste. Mais si, pour Rousseau, l’homme naturel est animé de deux passions qui sont l’amour de soi et la pitié, et s’il a une « répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables » il n’en est rien de l’homme politique d’aujourd’hui, prêt à tout pour conquérir les hautes sphères du pouvoir.
 
L’ultime consécration dans cette société n’est pas liée au sacrement du peuple mais au sacrement des médias. Aussi, rien de tel que d’épouser une mannequin milliardaire pour faire parler de soi. La sacralité de la fonction présidentielle est ébranlée par un manque d’élégance chronique et par un brouillage des frontières entre vie privée et vie publique, entre divertissement et politique.
 
Au delà d’une dénonciation sévère de la classe politique dans son ensemble, la complaisance des journalistes envers le pouvoir et leur instrumentalisation sont elles aussi déplorées.
 
Nous évoluons dans un monde où seule l’image compte, un monde gouverné par les petites phrases, où le contenu ne trouve plus sa place. D’ailleurs, qu’ils soient journalistes ou hommes politiques, personne ne s’est aperçu que le discours du président avait déjà été prononcé à l’identique.
 
Si ce roman tend à prouver que « les Grands hommes, [ont] de basses préoccupations », il démontre aussi que, si la faveur du roi à un prix, elle ne le vaut certainement pas.
 
 
Extrait :

   

« J’ai tout appris de Lui. Que tout ne tenait qu’en cinq mots : je communique, je te nique ! Mon vrai mérite est d’avoir appris très vite. Car au tréfonds de moi non plus, Cro-Magnon n’avait pas disparu. Par delà l’héritage des préventions familiales, ne s’était pas effacé tout à fait de ma petite tête d’énarque la conviction que la politique pouvait servir utilement à l’élévation de la conscience citoyenne. Que ceux qui s’y consacraient faisaient montre, à bien des égards, d’un esprit chevaleresque appelant toutes les absolutions ! Bref, je pensais à l’époque comme une majorité de Français. La grande couillonnade !

 J’ai été longtemps infoutu de savoir que Lui mettait toutes ces idées dans la tête. Les communicants ? C’est vrai qu’il en sort comme du chiendent, mais, je les voyais faire, ils m’ont toujours paru en retard d’une guerre sur Lui. Ce que je ne voyais pas, c’étaient ses relations avec les journalistes.

 Lorsque le traitement des médias, selon le vocable du clan, n’est plus demeuré sa chasse gardée, j’ai découvert que se dissimulait là le réacteur. Il faut des années et des années pour comprendre comment ça fonctionne, débobiner le réseau des complicités, des allégeances, des dépendances et des promesses. Jeux obscurs et pervers. Un quart de siècle de savoir-faire.

 Pour que le film marche, il fallait s’assurer la claque. La claque en politique, ceux qui sont dans les premiers rangs et peuvent vous retourner une salle, ce sont les journalistes. Il y a déployé toute son énergie. Il a annexé leur cervelle, comblé leurs attentes, décelé leurs faiblesses, cerné leurs frustrations, joué avec le Rubick’s Cube de leurs inextinguibles ambitions. Il a appris comment ils fonctionnaient. Il les a ensorcelés. Il les a mis sur un piédestal. Leur a fait croire qu’ils étaient les arbitres de toutes les élégances. Qu’ils étaient les dépositaires enviés de notre démocratie. Il les a gonflés à l’hélium.

 Faudra encore du temps pour qu’ils redescendent. Je voyais bien que, du plus grand au plus petit, Il les recevait tous, qu’ils étaient prioritaires, que sa porte était toujours ouverte. Interdiction de Le déranger. Plus des heures au téléphone, ça Lui prenait un temps fou. L’invention du portable fut pour Lui une révolution.

 Il en avait un spécial pour les journalistes, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il faisait croire que c’était un numéro secret, ce qui était faux. Il le donnait à tous et tous s’en retournaient, convaincus d’être dépositaire d’une distinction rare. Devenu ministre, Il n’a pas lâché. Les plus grands Lui en savaient gré. Les plus petits se sentaient un peu moins petits.

Avec tous, Il était à tu et à toi. Ça m’a surpris au début, mais j’ai compris que l’entreprise de copinage du patron couvrait un vaste chantier. J’en ai sondé toutes fondations. Aux plus grands, le marché passé était simple : on joue ensemble et on grimpe ensemble. Ils jouaient à vendre en début de semaine une nouvelle histoire, une nouvelle « séquence » dans laquelle Lui revenait comme par hasard le premier rôle. Et le dimanche suivant, on en inventait une autre. Chaque semaine, un clip nouveau. Dès lors, ils pouvaient tout Lui demander. Logement à prix d’ami, emploi pour le petit, la bonne ville de Neuilly savait y pourvoir.

 Avec les plus petits, il fallait du professionnalisme. Leur assurer l’info, le scoop, l’image qui leur permettraient de se faire une petite place au soleil de leur rédaction. Il importait que mon Maître garde toujours par-devers Lui une image à leur proposer, un écho à susurrer, une vacherie à distiller, un sondage vrai ou faux à servir.

 Tous savaient pouvoir Lui faire confiance. Il était le monsieur bricolage, l’assureur de la Maaf, le dépanneur volant de chez Carglass, l’ami chicorée. On trouvait de tout dans son magasin, tout et tout de suite. Fournir un article clé en main, trouver un titre, raconter un conseil des ministres, balancer sur le voisin de palier, livrer un dossier prêt à dégoupiller, Il ne quittait pas son établi.

 En toute amitié, Il sut se rendre indispensable et ainsi étouffer toutes les malsaines curiosités sur son propre compte. Comme il se passait toujours quelque chose avec Lui, comme Il était capable à tout moment de cracher sur tout et sur tout le monde, ils ont formé la meute sur ses traces, ne voulant rien rater de la partie de chasse.

  Le scénario était écrit d’avance, de A jusqu’à Z, et il a fonctionné au-delà de nos espérances. Ces journalistes n’ont pas marché. Ils ont couru. Aujourd’hui à bout de souffle, ils ne sont même plus capables de se retourner et de regagner un tant soit peu de lucidité. »


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11 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue JL 16 mars 2011 10:36

    Bonjour Louise Gigon,

    J’ai lu avec intérêt l’extrait du livre, parfaitement illustré par la photo. On comprend que l’on a affaire à un génie de l’empathie. En revanche, quand on lit ce que vous dites, je cite :

    « Si, pour Rousseau, l’homme naturel est animé de deux passions qui sont l’amour de soi et la pitié, et s’il a une « répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables » il n’en est rien de l’homme politique d’aujourd’hui, prêt à tout pour conquérir les hautes sphères du pouvoir. »

    Et l’on comprend que l’on a affaire à un être dénué d’empathie qui sème la zizanie partout où il passe et n’a de cesse que de diviser pour régner (*).


    Pour ceux qui souhaitent comprendre comment on peut être à la fois grand séducteur et dénué d’empathie - Don Juan -, il faut savoir qu’il existe deux empathies :

    Selon Serge Tisseron, il y a deux sortes d’empathie : l’empathie cognitive, et l’empathie affective. La première a à voir avec la lucidité ; seule la seconde est authentique au point de vue affectif, par définition. La première est parfaitement maîtrisée ; la seconde a à voir avec l’altruisme. 

    L’empathiste est celui qui, sous couvert d’une empathie affective qu’il n’éprouve pas, impose unilatéralement son action. « Notre homme » est un empathiste de génie.

    Le populisme c’est de l’empathisme.




    A lire «  Détritus », un album d’Astérix : « Le Sénat romain refuse à César des fonds pour de nouvelles conquêtes et ce dernier doit pouvoir reprendre le pouvoir. Il décide donc d’en finir une fois pour toutes avec le petit village gaulois qui résiste encore et toujours. Après une réunion avec ses conseillers, il décide d’envoyer aux Gaulois, dans l’espoir de semer la zizanie, Tullius Détritus, un Romain qui a un don inouï pour provoquer des disputes. Le premier geste de Détritus sera d’offrir, le jour de l’anniversaire d’Abraracourcix, un vase à Astérix, qu’il prétend être « l’homme le plus important du village ». Et effectivement, après une « guerre psychologique » finement menée, Tullius Détritus arrive à semer la discorde dans le petit village gaulois où tout le monde se méfiera de tout le monde. Heureusement, malgré la crédulité des habitants du village, la sagesse d’Astérix et de Panoramix retournera la calomnie contre son auteur après qu’ils se seront, un temps, retirés du village gaulois. » (Wiki)

    Je dirais ici que « notre homme » nous a été envoyé, nous Gaulois irréductibles, par l’empire anglo-saxon ultralibéral.


    • asterix asterix 16 mars 2011 20:15

      C’est vrai ça ! Et dés que j’ai vu la tronche de ce crapuleux de Tullius Détritus, je me suis tout de suite méfié. Par Toutatis, il ressemblait fort à Sarkozix !


    • Cocasse cocasse 16 mars 2011 10:44

      Rousseau et l’homme naturel, j’en sais rien.
      Mais dans Rahan, le fils des âges farouches arrive toujours dans des villages sous la domination d’un méchant sorcier, pleutre, voleur, manipulateur, cupide, hargneux, vindicatif, se faisant son beurre sur la crédulité des villageois, et leur faisant croire que l’homme aux cheveux de feu est un vilain démon.
      Généralement, le sorcier finit mal, comme embroché accidentellement sur les broches d’une fosse à ours, ou le crane défoncé par les massues des villageois, à la fin de l’épisode.


      • dogon dogon 16 mars 2011 11:47

        C’est toujours bon de dénoncer un système galvaudé et pervers.

        Surtout quand celui-ci avance caché et joue les vierges effarouchées quand on ose remettre en question son pseudo-professionnalisme qu’il corrompt lui-même en se croyant brillant alors qu’il n’est que lèche-cul.

        Et comme disait Coluche, grand dénonciateur devant l’Eternel, « il y a pire qu’un lèche-cul, c’est un suce-pêt ».

        Alors, nos « grands » journaleux deviendront-ils tous suspects d’avoir été trop lèche-cul(s) ?


        • fredo74 16 mars 2011 12:09

          bonjour à l’auteur,

          Dénoncé tant que vous le voulez, mais cela ne sert à rien si demain rien ne change.

          On voie partout sur les sites des posters mécontent, aussi serai-il bien qu’ils comprennent que l’on a que ce l’on mérite.

          Et puis rester spectateur, je vais finir par penser que c’est la meilleurs chose à faire.
          Quand je voie les gens se plaindre, c’est légitime après tout, mais dans ce cas qu’ils agissent et qu’ils arrête de se plaindre en permanence. C’est dans l’urne que cela se passe, et pas devant son clavier d’ordinateur comme beaucoup le font par dépit.
          Déverser sa bile sur le net, sur des sujets sensibles n’est pas forcément une pratique qui fait avancer les idées. La démocratie devrait être reprise dans le dico pour la plupart.
          Car les idées sur le net sont constamment remplie insulte et de grossièreté à l’encontre de ceux qui ne développe pas les même idées.
          Cordialement. . 


          • voxagora voxagora 16 mars 2011 12:37

            .

            Si vous croyez que c’est le buveur d’eau qui « décide de tout »,
            c’est très bien comme premiers pas, et bravo pour cet article,

            mais ce corps n’est qu’un paravent, une vitrine, un leurre destiné à arrêter la pensée :

            sur la photo, il n’y a pas que Sarkozy qui trône et les journalistes qui se pâment,
            il y a quelqu’un derrière Sarkozy .. 

            • ddacoudre ddacoudre 16 mars 2011 17:55

              bonjour louise
              intéressant ton article, mai notre buveur d’eau n’est qu’un homme de « mains ». certes il y participe avec son caractère et sa personnalité, mais les décideurs sont ailleurs.
              c’est toute la différence qu’il faut faire avec les rois, bien que dans les comportement de son entourage il y a courtisanerie, mais chacun sait d’où il tient son pouvoir, et d’ailleurs il les en a remercié par sa politique.
              par contre en vers le peuple ce fut et c’est un grand illusionniste, et un grand déstructurateur de la société pour la livrer aux mains de ses commanditaires.
              http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=88818
              Le blog de ddacoudre .over-blog.com .
              cordialement.



              • simplesanstete 16 mars 2011 21:36

                Bonne piste cet article.
                Nous évoluons dans un monde où seule l’image compte et conte, ENFIN.

                Lisez « l’obsolescence de l’homme » d’Anders, de plus en plus actuel, quand la bombe militaire passe au si vile.

                C’est la définition même de l’acteur, incarné des personnages et du cinéma.Il convient PARFAITEMENT à ce monde de fantômes mais il use et s’use, Dominique Strotsky me semble l’extra le plus talentueux pour le remplacer l’EXPERT comme sur TF1, ceux qui comptent et content IMPRESSIONNENT, le magicien politique du fric incorporated est de gauche car il en parle pour ne rien en dire, un peu comme Paul Jorion qui nous fait un sacré strip tease avec son 1er blag wiki de l’économie.
                PS al zinani : la mauvaise herbe en arabe.
                 Nous sommes dans des sociétés atomisées qui ont besoin d’énormes quantités d’énergies pour leurs besoins sans cesse renouvelables, le discours politique est JUSTE là pour LA justifier.
                 Le Japon en rajoute une 2eme couche.NATURE et PROGRÈS
                « Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe » dixit Albert.


                • simplesanstete 16 mars 2011 21:52

                  Je lis en ce moment l’excellent livre de Pierre Jovanovic, Blythe Masters, la banquière inconnue de la JP Morgan, créatrice des fameux CDS,, directrice financière à 34 ans.On y trouve page 58 cette phrase "ce n’est pas une déesse, plutôt une Marie Curie des crédits dérivés" dixit un banquier londonien.
                  Cette sorcière Morgan lui apprit l’art de la couture bancaire et lui permit d’acheter des tailleurs somptueux, chez Channel, tissés de fils d’or et d’argent. Sur sa lancée, cette Pandora ouvrit la boîte appelée Credit Defaut Swaps dans laquelle se trouvaient la Richesse, mais aussi Ruine, Licenciements, Chômage, Saisies, Crises, Dépressions, Famines,Appauvrissements, Tromperies, Folie ....Là aussi, l’Espérance est restée collée au fond, en compagnie du Crédit.
                  Un mythe devenu réalité !!
                  Conférence le jeudi 24 Mars à Paris, voir sur son site. Peut être ferais je un autodafé du livre de Jorion « comment la vérité et la réalité furent inventées » une 1ere, la pub y a que çà de vrai.


                  • tvargentine.com lerma 16 mars 2011 22:13

                    Daniel Carton,mais il est connu comme un super opportuniste qui mange dans tous les plats

                    Si vous regardez bien,ça rentre en « concurrence » avec le bouquin des « journalistes de gauche financés par Bouygues » de Marianne

                    Bref,Nicolas Sarkozy fait vendre et faire des fortunes avec un bon buzz et des relations dans les médias copains

                    http://www.tvargentine.com/sejour.html

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