De la dimension des écrans télé
La dimension croissante des écrans de télévision va de pair avec une diminution des pièces où ils sont regardés. Avec pour conséquence une imprégnation visuelle supérieure d'éléments publicitaires que l'on retrouve dans la quasi totalité des programmes.
De l’imprégnation visuelle à la normalisation
Une récente incursion au rayon des téléviseurs m’a confronté à des géants que bras écartés un être humain de taille moyenne ne peut mesurer. Il y a 20 ans, un écran LED de 23 pouces était considéré comme un luxe honorable. Aujourd’hui c’est presque introuvable.
Logiquement les pièces où l’on regarde ces écrans auraient dû s’agrandir : c’est l’inverse . Les écrans sont plus grands et regardés dans des séjours plus petits donc de plus en plus près.
Premier point, la taille de l’image est mesurée par sa diagonale, aujourd’hui en général de 24 à 70 pouces, soit de 60 à 178 cm, avec un ratio courant L/H de 16:9. Mais pour l’oeil c’est la surface qui compte, pas la diagonale. De 24 à 49 pouces de diagonale (x2) cette surface est multipliée par 4,2 et de 24 à 70 (x3) par 8,80 : environ le carré du multiplicateur de la diagonale -cohérent pour une surface !-.
Deuxième point, plus grande est cette image par rapport à l’environnement visuel de la pièce où vous êtes et plus grande est sa capacité d’imprégnation. Le cas limite c’est le casque immersif où l’imprégnation est de 100 %. A l’inverse, l’image télévisuelle de votre mobile à 3m. de vous est dérisoire puisque votre rétine perçoit pour 99 % l’environnement de la pièce où vous êtes. Ce rapport de surface visuelle entre l’image et l’environnement où vous la regardez se retrouve sur la rétine, et finalement analysé par le cerveau.
Quel est le contenu in extenso de ces images analysé par le cerveau ?
Pour son financement, l’audiovisuel diffuse des publicités explicites, ces tunnels de spots et les parrainages (votre film avec …) d’après JT du service public par exemple. Par ailleurs, actualités, sports, jeux, fictions, séries et films, parfois même documentaires contiennent incidemment des logos ou marques. Ces publicités sont implicites, à fréquence d’apparition et formes diverses : bannière de texte défilant, scène de rue commerçante aux infos, placement de produit dans une fiction -cette marque d’ordi bien visible sans qu’on y prête attention-. La pression publicitaire est omniprésente.
Pour autant, est-ce que mon regard capte la totalité de l’image à chaque instant ? La réponse est en général 1 : non. Ce qu’on appelle le regard correspond à la fovéa de la rétine, soit un angle d’environ 2°à 6°, et seule capable de transmettre au cerveau visuel une image précise et colorée. Plus on s’éloigne de la fovéa, plus ce que la rétine envoie au cerveau sera difficile à décrire précisément.
On pourrait donc penser que seul ce que je regarde est traité et mémorisé par mon cerveau.
Malheureusement c’est faux.
Par réflexe, on regarde ce qui nous intéresse, et dans une scène ce sont d’abord les personnages 2. A défaut, un objet s’identifie essentiellement sur sa couleur et sa forme. Ces deux indicateurs sont suffisamment forts pour être mémorisés visuellement, même en perception périphérique imprécise 3, donc même ailleurs que ce que l’on regarde, mais que l’on voit quand même.
Donc en définitive, l’aspect visuel d’un paquet de céréales à proximité d’un personnage assis de face peut être mémorisé même s’il n’est pas strictement reconnu. Plus ce paquet apparaît souvent, plus sa trace mémoire se renforce. Et plus elle est forte, plus vous achèterez spontanément cette marque. Sans vous en rendre compte.
Et ça fonctionne tellement bien qu’une entreprise a élaboré des algorithmes numériques pour insérer dans n’importe quelle fiction numérique des produits de marque, en respectant les éclairages et mouvements de caméra. Un même produit packagé différemment selon les pays ou des produits différents peuvent ainsi être insérés dans les mêmes scènes : céréales X en France, Y en Allemagne, tofu Z au Japon, dans exactement la même scène de la même série. Cette technique créée une connivence d’intérêts financiers entre les producteurs de fictions de plus en plus internationales et les grands enseignes de biens de consommation ... tout aussi multinationales.
Maintenant revenons à notre histoire de dimension. Plus l’écran est grand, plus le paquet de céréales l’est aussi, donc plus son image sur votre rétine est grande, plus sa trace mémoire est forte et donc… Je vous laisse deviner la suite.
Ce qui est vrai du placement de produit l’est aussi de tout texte publicitaire, banderole de marque, bandeau en bas de page parfois défilant, sur toute image d’information, de retransmission sportive, de divertissement, … . Plus le message est affiché en grande taille, plus il est répété, plus il est mémorisé et plus il vous influence a minima visuellement 4. De plus l’audio 5 participe avec le visuel à ce que le spectateur mémorise.
Par exemple un invité de JT parle de la grippe en même temps qu’un bandeau affiche le titre
« Saturation des hôpitaux ». Le cerveau va d’autant plus facilement associer les notions de grippe et de hôpital saturé que ce texte apparaîtra de grande taille car affiché sur un grand écran regardé de trop près, par plus forte imprégnation visuelle. Or de cette association explicite naît par exemple une incitation cette fois-ci implicite : que les sujets à risque se fasse vacciner contre la grippe par crainte d’un défaut de prise en charge hospitalière.
On touche alors non plus à la seule trace visuelle mais à l’idée, au concept, ce que l’on appelle la sémantique du contenu audiovisuel. C’est ici qu’il faut à nouveau évoquer l’internationalisation de l’Image avec un grand ‘I’, que le succès des plate-formes de diffusion numérique a considérablement accélérée, bien aidé en ceci par la pandémie.
En vertu des techniques neuroscientifiques de communication implicite, bien au-delà de l’exemple simple donné ici, le scénariste, le metteur en scène, le producteur, le publicitaire, le concepteur de jeux, le rédacteur en chef, le politique, le propriétaire de groupe audiovisuel, chacun de ces acteurs peut alors infuser des idées sociales, scientifiques, sanitaires, politiques ou autres, de façon ciblée ou mondialisée, dans un laps de temps très court.
Plus grand est l’écran, plus prégnant sera le message, explicite comme implicite.
Il y a là, il me semble, tous les moyens d’une normalisation mondiale de la pensée.
Les connaître, les reconnaître permet d’apprendre à s’en prémunir 6 et préserver sa liberté.
La parole partagée sera un merveilleux adjuvant thérapeutique et relationnel.
1 Sauf si vous regardez l’image d’un mobile à 3m …
2 S’il y en a : leur visage, et si visage il y a : les yeux (T.Chancogne, Cours de communication)
3 Travaux de Didier Courbet (Etude d’impact non-conscient des objets web), Nathan Faivre (Thèse de Doctorat sur
l’inconscient cognitif), Stanislas Dehaene (Cours au Collège de France) par exemple
4 Mêmes références que précédemment : D.Courbet, ...
5 Travaux de Mathieu Lesourd
6 Pour préserver votre porte-monnaie de consommateur, voici quelques conseils :
a) e n faisant votre liste de courses , limitez-vous au nécessaire et ne cédez pas à la facilité de noter une marque au lieu d’un produit (exemple : choc.poudre : bravo !, N3squIk : non ! ).
b) au moment de l’achat, une fois dans le rayon ou sur internet, demandez-vous pourquoi vous vous orientez vers telle marque. Si vous ne savez pas répondre, votre cerveau vous a peut-être dirigé vers le produit dont il a conservé une trace visuelle tout droit sortie d’une série. Ou bien le site internet vous a proposé un choix précédent ou la marque en ‘promotion’ -ne signifie pas : ‘moins cher’-.
Prenez 15 secondes et trouvez un produit meilleur, moins cher et/ou plus adapté à vos critères.
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