Compte tenu de l’ampleur du mouvement - Chérèque disait avant hier que c’était le plus long depuis la Libération - il y a de bonnes raisons de penser que le sort des jeunes fera partie des thèmes de campagne. Or, si l’on peut estimer justifiée cette attention portée à la jeune classe, la nature même d’une campagne fait craindre - me fait craindre - qu’elle ne soit traitée avec cette démagogie ciblée qu’est le jeunisme.
Oui, l’angoisse des jeunes est légitime. Rappellerai-je une fois de plus l’analyse bienvenue d’Yves de Kerdrel, le CPE, catalyseur d’angoisses collectives ?
“C’est la première fois, depuis des générations, que des jeunes ont la prémonition qu’ils vivront moins bien que leurs parents”
Il reste toujours l’espoir que la prémonition soit mal fondée. Mais on peine à croire que, sans un sursaut, la France ait véritablement le moyen de contrer cette angoisse viscérale. Yves de Kerdrel souligne que “le montant annuel moyen des loyers acquittés par les moins de 25 ans est quatre fois supérieur à ceux versés par les plus de 65 ans“. Il pointe également ce fait que la génération actuelle devra assumer le poids de la dette correspondant aux dépenses de santé de 1990 à 2006, en plus des siennes, ce à quoi j’ajouterai qu’il lui faudra également assumer les retraites de générations plus nombreuses, tout en étant somme toute assurée qu’elle devra elle-même travailler plus longtemps. On ne semble plus pouvoir évoquer l’”ascenseur social“ autrement que pour souligner qu’il est ”en panne“. Et pour corser le tout, ces putains de glaciers fondent comme vache qui pisse, et nous devrions bientôt finir noyés sous les océans par la faute des bétaillères parentales.
Encore pouvons-nous relever que nous ne sommes point seuls : Patrice de Plunkett, qui s’interroge judicieusement au-delà de l’article 8 d’une loi n° 2006-396 appelée à disparaître, rapporte notamment le cas espagnol des mileuristas. "Le mille-euriste, dit-elle, est un jeune diplômé qui possède des langues étrangères, des masters, des doctorats, des stages de formation (‘‘idiomas, posgrados, masters y cursillos’’), et qui ne gagne pas plus de mille euros. Il dépense plus du tiers de son salaire en loyer, parce qu’il aime la ville. Il ne met pas d’argent de côté, il n’est pas propriétaire, il n’a pas de voiture, pas d’enfants, il vit au jour le jour..."
Avouez que ça donne des envies de lancer de pavés. A ceci près que le lancer de pavé est probablement aussi efficace que le tapage du pied de nos tendres et insouciantes premières années, lorsque nous étions - déjà - confrontés à la vision de cette part de gâteau que finissait d’engloutir la génération antérieure.
Mais ne nous abîmons pas dans le jeunisme. S’il y a très probablement des pistes spécifiques à explorer, telles qu’une meilleure adaptation de la formation au monde professionnel - sur laquelle il semblerait, ô miracle, qu’un consensus s’établisse alors qu’il y a peu encore on pouvait entendre que l’école n’avait pas vocation à produire des salariés - je redoute la multiplication de propositions démagogiques à l’égard des jeunes, comme une focalisation déplacée sur la jeunesse.
Je suis en train d’aborder la lecture de l’ouvrage du - semble-t-il - controversé Philippe Muray, Festivus Festivus, dans lequel il fustige ce nouvel homme et son insignifiante fascination pour la fête. Une fête frénétique masquant le réel. Je ne suis pas assez avancé dans ma lecture pour connaître son appréciation de la jeunesse, mais j’ai comme une... prémonition.
Si l’on suit Muray, notre société cherche la fête comme un but ultime. Ne faut-il pas y voir également une fuite ? Une fuite dans laquelle se fond parfaitement la fascination pour la jeunesse. Au risque de me trouver vieux con par anticipation, à quoi vous font penser ces ravers “dansant” seuls devant un mur d’enceinte au rythme de basses répétitives ? Pourquoi chercher cette pseudo-transe si ce n’est pour déconnecter, oublier, fuir ? Et à moindre dose, la techno-parade...
On fait la fête. Mais qu’est-ce qu’on fête ? On ne fête plus rien, on fête la fête. C’est à vrai dire pathétique et angoissant. C’est Eva Braun dansant sur la table dans le bunker. Quand tout s’écroule, on fait la fête.
C’est d’autant plus pathétique que, si la fête pour la fête est insignifiante, la focalisation sur la jeunesse ne l’est pas moins. Car la jeunesse n’est qu’un état transitoire. Citons Paul Morand : “Ils nous demandent quel sera l’avenir des jeunes ; comment leur répondre que l’avenir de la jeunesse, c’est la vieillesse ?”
Avouez que voilà une raison de plus de s’angoisser. Au vu de la place centrale complaisamment offerte aux jeunes, vieillir, c’est non seulement... vieillir, mais devenir insignifiant.
Le “salut” de la jeunesse passe par un projet commun. Pour les jeunes, comme pour la société entière, il faut un avenir commun, un projet, une ambition, une occasion de relever la tête des contingences quotidiennes.
Bien évidemment, la portée religieuse du message délivré par Monseigneur Vingt-Trois aux jeunes lors du pélerinage de Chartres n’est pas d’emblée parlante pour l’ensemble de mes bien-aimés lecteurs, mais je vous le livre tout de même :
”Je vous disais que nous vivions une crise qui exprime une anxiété par rapport à l’avenir. Il me semble que cette anxiété doit nous faire réfléchir sur la manière dont nous nous représentons l’avenir. Qui a les solutions de l’avenir ? Qu’attendons-nous de l’avenir ? Quelle est notre espérance ? Pour beaucoup, la seule espérance qui les motive est celle de la sécurité : sécurité de l’emploi, sécurité du niveau de vie, sécurité de la santé, etc. Mais qui peut vous laisser croire, ou vous faire croire, qu’il vous apportera ces garanties ? Honnêtement, je ne crois pas que quiconque aujourd’hui puisse vous garantir cette sécurité, pas plus que vous assurer que vous aurez un niveau de vie comparable à celui de vos parents.
Derrière cette promesse en trompe-l’œil, il y a un jugement qui se dessine sur les valeurs communément admises dans notre société. La question radicale est de savoir à quoi nous accordons le plus de prix et ce qui peut vous conduire à une véritable maîtrise de votre vie et à un accomplissement de vos capacités, à un équilibre qui vous permette de connaître le bonheur. Pas seulement un petit bonheur mesurable par les sécurités du contrat social, pas seulement le bonheur d’un CDI ou d’une profession protégée, mais le bonheur réel et profond qui donne la joie d’être au monde et de vivre.”
Je ne demande bien évidemment pas à mes lecteurs agnostiques de se précipiter dans les églises, mais cette intervention témoigne, je pense, de la nécessité de porter notre regard plus haut, vers l’horizon. La fête éternelle, l’obsession de la société pour sa jeunesse comme une sorte de narcissisme, la société de consommation, sont autant de symptômes d’une perte de sens.
On peut douter que les présidentielles à venir soient les meilleures garantes d’une vraie réflexion. Mais si nous voulons vraiment rassurer “la jeunesse“, cela passera par un projet collectif, un projet de société. Cela demande de porter le regard un peu plus haut qu’au ras de l’élaboration de quelques mesures ciblées. Et nous gardons l’espoir que cela soit possible...