De la témérité d’être un propriétaire bailleur
La loi d’Accès au Logement et Urbanisme Rénové dite ALUR, parue au Journal Officiel le 26 Mars 2014 permet-elle de conserver un équilibre contractuel en matière locative ?
L’Etat est besogneux. Des précautions visant à la protection du droit de se loger ont déjà été prises avec la loi sur le droit au logement opposable du 5 Mars 2007, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion du 25 Mars 2009, plus récemment le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adoptée le 21 Janvier 2013 par le comité interministériel de lutte contre les exclusions, pour ne citer que ceux-ci.
A la lecture superficielle faite par le citoyen, le client, l’usager, le propriétaire, le locataire, l’occupant, voire le squatteur (on appréciera la terminologie selon sa propre catégorie…), on est amené à penser qu’il est sage de préserver le droit du soi-disant plus faible et légitime de mépriser celui du soi-disant plus fort.
Après avoir légiférer pourrait-on presque penser sur le fond, on s’intéresse désormais à l’essence même du principe locatif, le bail d’habitation.
Et en matière locative, ALUR a vu grand !
Si la réforme touche de nombreux points, elle s’intéresse en particulier à l’encadrement des loyers et à la garantie universelle des loyers.
Le bailleur ne peut fixer librement le loyer, ce qui constitue un garde-fou nécessaire au délire éventuellement justifié par une nostalgie coloniale… Beaucoup de propriétaires bailleurs considèrent en effet – du moins à Paris, le locataire comme une vache à lait généreuse et idiote. Dont acte !
Néanmoins, la loi crée un dispositif d’encadrement des loyers dans des zones dites tendues, dont l’objectif est d’éliminer les loyers excessifs limitant ainsi la hausse. La mise en place de ce dispositif se fera progressivement au fur et à mesure que ces zones tendues seront dotées d’un observatoire des loyers. Dès l’automne 2014, l’agglomération parisienne devrait y être assujettie.
Qu’est-ce qu’une zone tendue ?
Aux termes de l’article 6,I,2° de la loi, il s’agit de zones d’urbanisation continue de plus de 50.0000 habitants, où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement dans l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérise notamment par le niveau élevé des loyers, des prix d’acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logements par rapport au nombre d’emménagements annuels dans le parc locatif social.
Le parc de référence pour l’observation de ces loyers sera constitué de locaux à usage d’habitation ou à usage mixte, habitation et professionnel, occupé à titre de résidence principale.
De manière pragmatique, il s’agira de définir un loyer médian sur la base d’une catégorie identique de logements identifiés par le quartier, la surface, l’étage, les commodités, etc…
Ainsi, deux appartements présentant des caractéristiques objectives identiques (surface, quartier, étage…) seront assujettis au même loyer moyen même si l’un d’eux n’offre pas le même confort ou les mêmes avantages. L’appartement de meilleure qualité sera donc handicapé par le prix moyen. Autrement dit, le loyer de l’appartement plus ou moins entretenu mais répondant aux critères objectifs fera baisser le loyer d’un autre appartement refait à neuf et en excellent état.
Un complément de loyer ne sera pas pour autant applicable, la moyenne sauvage devenant la référence.
Ce nouveau calcul du loyer incite-t-il le bailleur négligeant à faire le nécessaire pour entretenir son bien et par là même, permet-il le maintien ou la hausse du loyer médian de référence l’année suivante ? Rien de moins sûr.
Il est à craindre également que le parc locatif propose une qualité très moyenne, sans garantie de renouvellement, ses dispositions n’incitant pas le bailleur à louer ou à opter pour un investissement locatif.
Un autre point de cette loi est la garantie universelle des loyers – GUL, devant permettre aux bailleurs d’y souscrire dès le 1er Janvier 2016.
La GUL se présente comme une garantie universelle et gratuite en cas de loyers et de charges impayés, favorisant l’accès au logement et prévenant les expulsions. Mais qu’en est-il réellement pour le bailleur ?
S’il y souscrit, il sera indemnisé dans la limite du loyer de référence, si son loyer se situe sur la base du loyer médian majoré, tant pis pour lui à moins que son locataire ne soit étudiant ou apprenti et que le logement se situe en zone tenue.
S’il décide d’y souscrire dans le cadre d’un bail en cours, il sera soumis à une période de carence de 6 mois – à défaut d’avoir au préalable souscrit une assurance de loyer impayé.
Son indemnisation, sous réserve qu’il ait scrupuleusement respecté les conditions de déclaration, sera recevable à condition que l’impayé atteigne un montant minimum et dans la limite d’un plafond maximum ; ce plafond étant égal au loyer de référence des zones d’encadrement.
S’il a la chance d’avoir conclu un bail en zone tenue avec un étudiant, un apprenti, un salarié autre qu’en contrat à durée indéterminé ou un demandeur d’emploi, il pourra alors espérer voir son indemnisation s’effectuer sur la base du loyer médian majoré.
Si le bailleur conclut le bail avec un locataire dont il est en droit d’espérer toutes les conditions de bonne santé financière, l’aide ne lui sera versée qu’à l’issue d’un délai de carence, après application d’une franchise et pour une durée maximale ne pouvant excéder 18 mois.
Au vu de ces éléments, on peut légitimement douter que le propriétaire récupère sa créance en totalité. De plus, il faut s’attendre à ce que le locataire se sente totalement désengagé dans ses obligations de conduite en bon père de famille, qu’il considère que la garantie est l’affaire exclusive du bailleur qui l’a souscrite et qu’il soit rassuré sur le fait qu’on ne viendra pas le chercher. Cette assurance universelle s’apparente à une démission que l’on autorise au locataire avec la bénédiction de l’Etat, face à un bailleur qui regarde, désemparé.
Pour se sentir engagé dans une relation qu’elle soit professionnelle, personnelle ou économique, les parties doivent fournir un minimum d’efforts et baser la relation sur un échange réel et constructif. Qu’en est-il ici pour le locataire ?
Des assurances loyers impayées existent déjà financées par les bailleurs eux-mêmes, était-ce nécessaire de créer celle-ci ?
Plus généralement, les modifications apportées aux baux d’habitation risquent d’engendrer un contentieux sans précédent, les modèles de baux commandés en ligne par des particuliers n’offrant pas nécessairement l’encadrement exigé de leurs droits et obligations.
Les mentalités procédurières visant à se soustraire de leurs responsabilités ne verront-elles pas dans cette protection exacerbée et ce formalisme technique, l’opportunité systématique de saisir la Commission Départementale de Conciliation ?
Quel est le sort à long terme du droit de disposer de son bien pour un propriétaire, les squatteurs se trouvant confortés pendant la trêve hivernale ? Il semblerait presque que l’on sacrifie le droit réel de la libre disposition au profit de la pénurie de logements…
A la défense d’ALUR, j’opposerai que seuls les meilleurs professionnels de l’immobilier s’en sortiront et sur ce point, j’applaudis ; il existe de très bons professionnels malmenés sous la notoriété des médiocres.
Néanmoins, il faut s’inquiéter de ce que le but recherché de cette loi, à savoir la protection des locataires et des occupants, ne sclérose le parc immobilier locatif ne lui permettant pas de se régénérer.
Les relations entre les parties, pour être pérennes, se doivent de trouver le juste équilibre entre droits et obligations réciproques mais également, une considération mutuelle que les consciences doivent accueillir comme évidente.
Souhaitons qu’ALUR ne se réduise pas au fait du Prince…
Cécile BENHAMOU – Juriste
infojuris.fr
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