De quoi « de moins en moins » est-il le signe ?
« Démographiquement... il y aura de moins en moins de juifs en Europe ». Que signifierait le fait d’entendre un artiste déclarer cela sur une radio d’Etat et ajouter ensuite « ça, ça m’enthousiasme » ?

Sans l’ombre d’un doute vous sauriez que… :
- Vous n’êtes pas sur la bonne radio
- Comme il s’agit d’une radio d’Etat, vous n’êtes pas non plus dans le bon pays
- Forcément aussi, vous n’êtes pas à la bonne époque car des pays avec une telle radio d’Etat, cela n’existe plus, hormis peut-être dans quelques fiefs renégats de « l’axe du mal »
- En effet, il semble assez clair qu’à l’heure actuelle cette parole ne pourrait plus être prononcée sans tomber sous le coup de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 qui stipule clairement que : « Toute discrimination fondée sur l'appartenance à... une race ou une religion est interdite ».
- Aucune radio, d’Etat, privée ou libre ne laisserait passer ça à présent.
- Parce que le propos serait d’emblée jugé hostile, voire haineux, probablement antisémite et on en a condamné pour moins que ça !
- L’enthousiasme pour ce qui est défavorable ou qui nuit à autrui au point d’amener son dépérissement ne traduit-il pas une hostilité qui confine à la haine et, à tout le moins, une attitude discriminatoire ?
- Cette parole fâcheuse pourrait presque être qualifiée de génocidaire car lorsque la diminution d’une population est jugée bonne en soi, sans qu’aucune limite ne soit mentionnée, comment ne pas y voir un appel implicite à la disparition pure et simple ?
- Aucune association anti-raciste ne s’y tromperait et l’artiste en question serait promptement amené devant les tribunaux
Il en irait grosso modo de même si le propos concernait des populations arabes, noires, asiatiques, etc. sans aucune exception. Quoique la chose n’est pas complètement assurée. Ne se pourrait-il, en effet, qu’il existe des exceptions, c’est-à-dire, des discriminations qui ne feraient l’objet d’aucune plainte, d’aucun effort pour y remédier ?
Ce ne serait rien moins que catastrophique car il va de soi que nos dispositions morales et légales contre toutes les formes de discrimination ne peuvent contribuer à la sérénité et au bon fonctionnement de la société, c’est-à-dire, à l’ordre public, qu’à la condition qu’aucune exception ne soit tolérée.
Or, justement, il semblerait bien que cette loi connaisse une exception d’autant plus remarquable, si je puis dire, qu’à l’évidence, elle passe complètement inaperçue. On pourrait dire que la loi la connaît au sens biblique dans la mesure où elle s’accommode manifestement de sa compagnie, mais sans la reconnaître car, bien sûr, ce serait indéfendable.
Le fait est qu’à epsilon près, la phrase incriminée a bel et bien a été prononcée sur France Inter le 1er août dernier sans susciter la moindre réaction dans le landernau médiatico-politique ou sur les réseaux sociaux. La seule différence, l’epsilon, était que dans cette phrase « blancs » remplaçait « juifs ».
Afin qu’il n’y ait pas d’équivoque, voici l’énoncé verbatim :
« ...démographiquement le fait qu’on dise qu’il y aura de moins en moins de blancs aux Etats-Unis, ça ça m’enthousiasme vraiment beaucoup » (France Inter, Un monde nouveau du 1er août 2022, 47’40’’-59’’)
Ces paroles ont été prononcées en réponse à la question de Sonia Chironi présentatrice de l’émission Un monde nouveau qui, au terme de l’entretien, demande toujours à ses invités quel changement actuel leur paraît remarquable. Ceci étant précisé, demandons-nous pour quelle raison les conclusions que nous avons précédemment tirées concernant les « juifs » ne devraient-elles pas trouver à s’appliquer ici concernant les « blancs » ? A priori, si on s’en tient à la lettre, il ne devrait y en avoir aucune.
Mais l’absence complète de réaction montre qu’il en va autrement. A défaut d'une (bonne) raison, il y a sûrement une explication et si elle ne vient pas du texte, alors peut-être vient-elle du contexte ? Par exemple, d’aucuns pourrait souligner le fait que le propos n’a pas une portée générale car il ne concerne que les « blancs » étasuniens. Sauf qu’on ne voit pas trop en quoi le distinguo relatif à la nation viendrait changer quoi que ce soit à la catégorisation raciale « blancs ». Et quand bien même ce serait le cas, quand bien même une nation aurait connu l’apartheid ou l’esclavage, ça ne changerait rien sur le fond, car il faut y insister, le contexte n’a pas à entrer en ligne de compte dès lors que, désormais, nous sommes tous égaux devant la loi et que, de surcroît, la notion de race n’a plus « cours légal » et est censée être intégralement frauduleuse.
Il s’ensuit que : SI la phrase : « démographiquement le fait qu’on dise qu’il y aura de moins en moins de juifs aux Etats-Unis, ça ça m’enthousiasme vraiment beaucoup » ne « passe pas », pas plus qu’elle ne passerait pour les noirs, les arabes ou les asiatiques, ALORS elle ne doit pas passer non plus pour les « blancs », quoi qu’on pense de ces derniers. SINON, c’est de la discrimination et, même si on a voulu croire le contraire, celle-ci est toujours négative — parce qu’elle l’est par nature.
En l’occurrence, ce serait même une discrimination au carré dans la mesure où ce serait une discrimination opérée relativement à une loi anti-discrimination. Et même une discrimination au cube puisque la loi est issue d’une population à large majorité blanche.
Quoi qu’il en soit, on ne peut pas ne pas interroger le sens de la phrase prononcée par l’artiste Bonnie Banane au micro de France Inter ce lundi 1er août, d’abord dans son intention de communication, mais aussi dans ses implicites et, enfin, dans sa réception, c’est-à-dire, ce silence pour le moins étonnant, parce qu’il vaut consentement.
Le contenu explicite l’est suffisamment, il ne prête pas à équivoque : cette artiste se réjouit grandement de l’affaiblissement des populations blanches aux USA. Toute la question porte sur l’implicite, c’est-à-dire, la représentation qu’elle a des « blancs » qui pourrait susciter des affects positifs lorsque ces derniers s’affaiblissent.
Il s’agit, de toute évidence d’une position antagoniste qui, par nature, porte à se réjouir quand l’« antagoniste » s’affaiblit. Comme cette artiste, Anaïs Thomas de son vrai nom, est « blanche », sa posture procède probablement d’une empathie « victimaire » [1] pour les populations qui antagonisent les « blancs » en œuvrant à la prise de conscience de leurs « privilèges ». On pourrait donc supposer qu’elle est « woke » ou « racialiste » ou je-ne-sais-quoi. Mais que ce soit vrai ou faux, peu importe, c’est son problème, la liberté de pensée ne doit pas être un vain mot.
La question est juste de savoir si sa déclaration n’afficherait pas une hostilité à l’égard des « blancs » et ne constituerait pas, par conséquent, une incitation à la haine raciale dès lors que le propos porte sur une race bien identifiée, les « blancs » et qu’il est, il faut y insister, empreint d’hostilité — quand bien même celle-ci serait euphémisée.
De par sa nature passablement polémique, cette question, à laquelle je vais répondre mais que je me permets d’adresser à l’agora ici présente, rend nécessaire une attitude rationnelle excluant d’emblée toute attaque contre cette jeune personne. Pour ma part je ne connais rien d’elle et pour le présent débat je ne vois aucune utilité à chercher à en savoir davantage même si, dans le cadre d’une épidémiologie des représentations, il serait intéressant de comprendre comment elle est parvenue à la perspective qui est la sienne. Ne serait-ce que pour anticiper une éventuelle contagion de ces représentations ou, peut-être, simplement mettre en évidence un certain « air du temps », c’est-à-dire, une représentation socialement partagée au sein de l’élite (médiatique, artistique, politique, etc.) comme dans une certaine part de la population.
Quoi qu’il en soit et, puisqu’il faut conclure, mon sentiment est que, même si c’est sous couvert de bienpensance victimaire racialiste woke, son propos est raciste et est passible de la loi. En ce qui me concerne, je ne vais pas porter plainte mais il me semble qu’une association authentiquement antiraciste aurait motif à le faire. Sauf si des éléments issus de la discussion me font changer de point de vue, je compte bien, par contre, solliciter la médiatrice de France Inter car je crois vraiment qu’il y a là quelque chose de très significatif qu’on ne doit pas laisser passer car on voit affleurer une conflictualité interraciale qui n’a plus lieu d’être. Bref, c’est la justice et non le victimaire qui doit passer.
Avec à l’esprit la pensée taoïste selon laquelle il vaut mieux briser une jeune pousse que d’avoir à abattre un arbre, j’ai seulement tenté de mettre un peu de lumière et de tracer le pourtour ainsi que les dimensions les plus pertinentes de la situation assez étonnante à laquelle le citoyen français soucieux de légalité et d’égalité, qui plus est antiraciste par construction, se trouve confronté. L’idée serait qu’un débat contradictoire mais serein puisse se tenir dans l’Agora-Vox et que, chacun livrant tour à tour son point de vue, l’intelligence collective construise la représentation la plus complète, la plus cohérente et, espérons-le, la plus juste de ce je-ne-sais-quoi qui s’est échappé des propos probablement inadvertants de l’artiste Bonnie Banane et que, pour ma part, je le répète, je considère non-conformes à la législation actuelle.
Enfin, je crois sincèrement qu’on peut discuter de tout et avec tout le monde, sans donc exclure personne, serait-il le diable et il me semble que, justement, de nombreux petits diables auront envie d’être de la partie. Autrement dit, tous les avis sont ici les bienvenus dès lors qu’ils ne constituent pas des infractions à la loi. Pour autant, pardonnez-moi d’y insister à la suite de Karl Popper, le débat d’idées se tient idéalement dans l’espace des idées où les caractéristiques du locuteur n’entrent absolument pas en ligne de compte. Seule la pertinence, la cohérence et la valeur de vérité des idées qu’il avance devraient être « mises en examen ».
[1] Bien qu’il ne traite pas de la thématique victimaire dans cette vidéo consacrée au racialisme vu comme un totalitarisme, le québécois Mathieu Bock-Côté illustre très bien la dynamique de l’empathie victimaire avec la notion toute simple d’identification.
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