De Vichy à Neuilly : les aléas de l’Identité Nationale

En politique, les Français ne font rien comme les autres. Ou donc, à part en France, concevrait-on un gouvernement regroupant communistes et droite républicaine ? Comme le rappelle l’excellent documentaire « Walter, retour en Résistance », le CNR (Conseil National de la Résistance), avait, dans son programme de 1944, tracé les grandes lignes du modèle social de la France d’après-guerre (Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_la_R%C3%A9sistance).
En matière de fascisme, la France mérite aussi son label d’exception française. Encore que le terme fascisme n’ait plus grand rapport avec son sens initial, on peut néanmoins le qualifier comme un régime basé sur une volonté populaire de recourir à la tyrannie, avec une exacerbation du sentiment nationaliste. Ce glissement de la démocratie vers la tyrannie est aussi vieux que la démocratie, comme le rappelle l’ostracisme (bannissement d’un tyran potentiel, voté par les citoyens sous la Grèce Antique). Plus récemment, en France, Napoléon incarne le tyran populaire, et il saura en jouer pour travestir des occupations militaires en guerres de libération.
Là où le fascisme innove, c’est dans l’identification entre peuple et Nation, qui conduit à exacerber le sentiment nationaliste. En France, le mythe de Jeanne D’arc en est un parfait exemple, cette femme issue du peuple et qui incarnerait la voix de la Nation… une Nation qui bien sur n’existait pas à l’époque de Jeanne d’Arc. Pareillement, Mussolini usera du même stratagème avec la Rome Antique, pour faire avaler à son peuple les campagnes d’Ethiopie.
Si donc, pour faire simple, on accepte d’appeler fascisme un régime de tyrannie populaire avec identification peuple/Nation, quelle est donc la particularité de le France sur ses voisins Allemand et Italien ? Dans ces deux cas, le régime s’appuie fortement sur le peuple, qui adhère dans son ensemble au projet. Par exemple en Allemagne, bien que Hitler n’ait été que caporal, même la noblesse Allemande le suit car il a réussi à réarmer l’Allemagne, et donc à restaurer sa dignité. En France, les exemples Italien et Allemand séduisent le patronat (plus de syndicalisme, suppression de toute opposition), mais ils reste des points d’achoppement : le fascisme est athée, et la mise en avant du peuple dans les défilés, cela rappelle trop les grèves de 36. Le rêve du patronat français, ce serait un PRI à la mexicaine : un Parti Révolutionnaire Institutionnel, qui garantirait la stabilité dans le changement.
Travail, Famille, Patrie : voilà la formule qui résume bien les aspirations du patronat. D’abord le travail, enfin débarrassé du syndicalisme. Cependant, il ne s’agit pas de remettre en question la mainmise de l’Eglise en tant qu’autorité morale, et donc la Famille vient en second. Quant à la Patrie, elle n’intervient que pour occuper le peuple le dimanche, dans des défilés et autres camps de jeunesse.
La particularité de ce fascisme Français, c’est que l’identification entre le peuple et la Nation se concentre en un personnage unique, qui incarne les deux. Si l’on connaît l’appel du 18 juin 1940 lancé par de Gaulle, qui connaît la déclaration de Pétain du 17 juin 1940 : « Sûr de l’affection de notre admirable armée, sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. ».
Cette incarnation (au sens étymologique du terme) d’un peuple et d’une Nation dans une personne est rappelée lors de la prestation du serment à la Francisque : « Je fais don de ma personne au maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France ».
Dès lors, qu’importe que Pétain concentre plus de pouvoirs que le Roi Soleil, et qu’il en ait usé pour éliminer tous les opposants à l’occupant, la figure de Pétain reste aimée de beaucoup de Français à la Libération, et de Gaulle ne tiendra pas rigueur à l’administration française d’avoir été Pétainiste.
Le moindre des paradoxe, dans le régime Vichyste, reste le choix de Vichy comme capitale. Choix incongru, et bien éloigné de la ruralité, du terroir, et du retour à la terre défendu par Pétain.
Actuellement, on assiste en France à une résurgence du thème de l’identité nationale, et des valeurs qui fondent la France. Quel parti politique a initié ce débat ? Si cette question avait été posée deux ans plus tôt, nul doute que Philippe de Villiers, ou encore Chasse Pêche Nature et Traditions, seraient naturellement venu à l’esprit. Le paradoxe actuel, c’est que ce débat soit initié par quelqu’un dont le bastion politique se situe à Neuilly sur Seine. A la différence de Pétain, qui à l’époque incarnait, pour nombre de Français, l’identité Française, Nicolas Sarkozy ne peut mettre en avant que son mandat de Président de la République, qui en fait l’incarnation du peuple.
J’entends déjà les cris d’orfraie de ceux qu’un tel parallèle horrifie. A ceux-là, je conseille d’arrêter aussitôt de lire cet article, et de se purger sans attendre avec une lecture exclusive du Figaro, quotidien sur lequel je reviendrai ultérieurement dans cet article. Poursuivons donc sereinement notre argumentation. Je ne dis pas que le régime présidentiel actuel est d’inspiration fasciste, car (tout comme pour Vichy) il est exclu de donner au peuple plus qu’un rôle de parade. Les jeunes de l’UMP avec leur lipdup (j’espère ne pas m’être trompé sur l’orthographe) remplissent très bien ce rôle. On prône (pour les autres bien entendu) les valeurs du travail, de la famille (l’instituteur venant avant l’instituteur), et le terme de Patrie étant trop sulfureux on lui préfère celui d’identité nationale, mais c’est là que le bât blesse. Il ne s’agit pas de l’identité nationale actuelle, au sens où on chercherait à définir, aujourd’hui, ce que signifie être français. L’identité nationale dont il est question est « celle d’avant », du temps où il n’y en avait qu’un seul basané, avant les problèmes dirait notre ami Brice), du temps où les musulmans savaient garder leur béret à leur place rajouterait notre amie Nadine. Cette identité nationale d’avant, c’est bien celle de nos Pères, la Patrie, mais chut ! il ne faut pas le dire….
Quel risque y a-t-il à faire ainsi sortir des placards les vieux démons qui ont hanté la vie politique française ? Bizarrement, en France, la morale politique est inexistante. La grande contribution de Chirac à la vie politique française, c’est d’avoir montré que l’on peut être notoirement corrompu, et pourtant rester populaire… A condition de boire des bières et d’aimer la tête de veau. Question popularité, il ne faut bien sur rien exagérer, n’empêche que pour quelqu’un qui avait laissé, dans les années 1980, des infirmières camper plusieurs mois sur le parvis de l’Hotel de Ville de Paris en leur refusant les 300 francs mensuels qu’elles réclamaient, la publication des « frais de bouches » de l’Hotel de Ville aurait eu matière a susciter une certaine indignation. Las, pour qui connaît l’Occupation et le train de vie fastueux mené par celui qui avait fait don de sa personne à la France (il ne se départit de son stoicisme, à ce qu’il paraît, que lorsqu’il aperçut son plateau repas lors de sa première nuit passée en prison), il n’y a là rien de bien surprenant en France.
Avant de nous interroger sur l’identité nationale « de l’intérieur » (telle qu’elle est perçue par les Français), il n’est pas inintéressant de voir comment certains traits de notre vie politique seraient perçus à l’extérieur. Souvenons-nous d’un discours de notre président, fait aux Etats-Unis, où il disait que ses compatriotes l’appelaient Sarkozy l’Américain. Le film « Walter, retour en Résistance » montre une séquence télévisée qui a du être promptement censurée, car elle est impossible à trouver, même sur Internet. Je n’en dis pas plus sur le sujet, ceux qui sont intéressés pourront aller voir le film. Ce qui est sûr selon moi, c’est que si un président Américain s’était conduit de la sorte dans une cérémonie commémorative, il y aurait eu non pas une indignation mais un écœurement largement relaté par les médias.
Fort heureusement, pareils débordements ne risquent pas de survenir en France, vu la mainmise du politique sur les médias télévisés.
Une autre particularité Américaine réside dans leur foi dans l’esprit d’entreprise, inhérente à la nature même du capitalisme . Dans le credo Américain, l’esprit d’entreprise présuppose une part de risque et beaucoup de travail et d’efforts, à la manière des pionniers. Si on y rajoute l’ingrédient Protestant, avec sa part de prédestination, on a en gros les trois tiers du cocktail. Pour qui visite Washington, et découvre que les musées sont gratuits car financés par des grosses fortunes, la surprise est grande. Dans la même veine, nombres d’Universités sont financées de la sorte. Dans la culture Américaine, cela n’a rien de surprenant si l’on garde à l’esprit les trois tiers du cocktail précédent (hasard, travail , prédestination) : il s’agit d’un simple renvoi d’ascenseur. En comparaison, en France, chez le Chodron de Courcel, cela donne l’opération pièces jaunes, qui n’est pas sans rappeler la ferraille dont on se débarrassait à la sortie de l’église afin d’être en accord avec notre Seigneur et de s’être acquitté de ses bonnes œuvres.
Hors en France, quelle est la part de risque dans le capitalisme ? Les indices tels que le CAC 40 sont en augmentation constante (sur le long terme, et hormis les fluctuations conjoncturelles) depuis des décennies. Aussi, pourvu que vous ayez suffisamment d’argent pour acheter dans tous les domaines, vous êtes assurés de voir votre argent fructifier à la manière du CAC 40, qui ne représente (rappelons le) qu’une moyenne pondérée. Le seul risque, c’est en cas de krach boursier, qui verrait tous les cours s’effondrer. Mais l’argent du contribuable est là pour vous renflouer… On pourrait aussi parler des subventions et de leur usage, mais ne nous égarons pas.
Rassurons le lecteur, à une époque où les procès en Francitude fleurissent ici et là, notre objectif n’est nullement de questionner les patriotisme de certaines pratiques financières ou économiques, et nous en resterons au point qui nous intéresse, l’identité nationale. La parenthèse que nous avons ouverte avait pour seul objectif de montrer, comment Outre Atlantique, les dérives du capitalisme sont ouvertement débattues, car le capitalisme est un trait essentiel de l’identité Américaine, alors que chez nous, Dieu merci, on préfère débattre des bons et des mauvais Français.
Entrons maintenant dans le vif du sujet, l’identité nationale. Comme je l’ai dit précédemment, l’expression identité nationale est suffisamment vague pour avoir deux acceptions :
1) l’identité nationale actuelle : qu’est-ce qui fait qu’un Français, actuellement se sent Français ? quelles sont les valeurs, les attachements, qui fondent ce lien ?
2) l’identité nationale au sens de Patrie (ce qui nous a été légué par nos Pères), ou encore d’un socle intangible.
Concernant le second point, le Général de Gaulle avait dans un des ses discours prononcé la phrase « Si la France n’était pas ce qu’elle est c’est à dire la France… » ce à quoi Frédéric Dard (si je me souviens bien) avait rajouté « … Alors tous les Français seraient des étrangers. ». Cette boutade m’a toujours beaucoup amusé, et je la trouve de circonstance, car ce dont il est question aujourd’hui est de savoir si l’identité de la France inclut l’ensemble des Français, ou bien si elle se réfère à une certaine idée de la France, à laquelle nombre de Français aujourd’hui sont étrangers.
Selon moi les deux acceptions sont également valables, et mériteraient toutes deux que l’on s’y intéresse. Concernant la seconde, la culture Française a un rayonnement incontestable, et quiconque a voyagé ou encore vécu à l’étranger peut témoigner de l’étincelle qui s’allume dans l’oeil de son interlocuteur quand on lui dit qu’on est Français. Personnellement, un Japonais m’a même, une fois, demandé comment je montrais à mon épouse que j’étais amoureux d’elle, et à quelle fréquence je lui offrais des fleurs….
Mon objectif n’est donc nullement d’opposer ces deux acceptions, mais de les différencier, en pointant du doigt le danger, à entretenir le flou, voire à imbriquer peuple et Nation. Je conçois que mon argumentation puisse paraître tirée par les cheveux, et qu’il y ait loin de la coupe aux lèvres. Ce qui m’a décidé à écrire cet article, et qui à mon avis illustre parfaitement les dérives d’un flou identitaire, c’est un procès intenté aux cinémas Utopia, pour antisémitisme. En effet, j’ai eu la surprise de découvrir dans la dernière gazette d’Utopia (16 décembre 2009 au 26 janvier 2010) qu’un cinéma Utopia était en procès pour antisémitisme, suite à la publication dans une de leur gazette d’une critique du film « Le temps qu’il reste » réalisé par Eila Suleiman. Dans le Figaro du 18 août 2009, un certain Yann Moix a publié un article en réaction à la critique précédemment mentionnée. Je cite les extraits de la-dite critique, rappelés dans l’article, et qui ont déclenché la polémique :
« Les tragédies de l’histoire sont souvent grotesques. Les Palestiniens vivent depuis 1948 un cauchemar Kafkaien… »
« Quelques massacres plus tard perpétrés par les milices juives… »
« Elia Suleiman revient sur son enfance dans une école juive où la lobotomisation sioniste des élèves filait bon train.. »
Yann Moix s’insurge contre l’association des termes milice et juive faite dans la critique, et il a des mots très durs envers les auteurs de ce texte anonyme, les appelant « les nouveaux Brasillach ». Je cite un autre passage de l’article de Yann Moix : « ces alter-bobos mondialistes utopisés inventent chaque jour le nouveau visage de l’antisémitisme contemporain ». Ce qui est intéressant dans l’article de Yann Moix, c’est le glissement opéré entre l’antisionisme et l’antisémitisme. Après avoir lu la critique du film d’Eila Suleiman, il me semble clair qu’elle ne vise non pas les Juifs (en tant que peuple et religion) mais bien le projet politique représenté par la création d’Israël, et qu’il est convenu d’appeler sionisme. J’admets que le terme de Juif est ambigu, mais dans la littérature française (je pense notamment aux livres d’Anatole France sur Monsieur Bergeret) on trouve le terme Israélite pour désigner un Juif, et il me semble (je m’avance peut-être, mais si quelqu’un pouvait éclairer ma lanterne je lui en saurais gré) que le terme Juif, faisant référence à la Judée, désigne les Israélites qui vivent en Judée (ou en Palestine).
Là où les choses deviennent cocasses, c’est que suite à la parution de cet article une association culturelle Juive Française, l’Association Culturelle Juive des Alpilles de Saint Remy de Provence, assigne Utopia en justice pour antisémitisme, et que dans sa gazette Utopia se défend en précisant que, dès sa création, le capital d’Utopia a été constitué, en partie, de capitaux ashkénaze et séfarade. Malgré ma sympathie pour Utopia, et au regret d’être de très mauvais goût, je ne peux pas m’empêcher de citer le regretté Coluche, qui disait dans un de ses sketches « Je ne suis pas raciste ! La preuve, c’est que j’ai des disques de Sydney Bechet ».
Selon moi, la critique d’Israël en tant que projet politique n’est en rien antisémite, pour la bonne et simple raison que de tout temps les Juifs ont choisi (ou malheureusement ont du) s’assimiler. Le Père de Karl Marx était un Juif assimilé (car une loi interdisait à l’époque à un Juif de devenir avocat), et j’écoutais récemment dans les matins de France Culture une chronique où la personne invitée rappelait que Freud se considérait, en Autriche, comme un Juif assimilé. Je pense également qu’aux Etats-Unis nombre de Juifs se considèrent comme assimilés. Cela ne veut nullement dire qu’ils ne se considèrent plus Juifs, mais simplement qu’ils différencient, en termes d’identité, leur appartenance au peuple Juif de toute considération nationale ou politique. Pour aller plus loin dans cette direction, j’aimerais rappeler qu’il existe en France des juifs dits libéraux qui autorisent les conversions aux judaïsme, conversions évidemment interdites par les courants Juifs Orthodoxes. En résumé, le raccourci opéré dans l’article de Yann Moix (critique d’Israël -> critique des Juifs -> Antisémitisme) illustre les dérives d’une confusion sur l’identité : d’un côté l’identité Nationale incarnée par l’Etat d’Israël, et de l’autre l’identité du peuple Juif, qui elle est beaucoup plus diffuse et éparse.
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