De Victor Jara à Guantanamo : la même CIA (14)
Ces dernières années, la pire chose à laquelle a pu participer la CIA est bien entendu Guantanamo. L’organisme américain s’est surtout chargé de deux choses : des tortures, pour lesquelles on s’en doute elle doit avoir quelques compétences, et l’intendance des prisonniers, à savoir leur transport. Car Guantanamo va rester dans les mémoires non pas pour un seul emplacement de détention, mais pour plusieurs, dont parfois même des bateaux de l’US Navy. La CIA a assuré le transport par avion de lieu de rétention en lieu de tortures et inversement. Toute une organisation mise en place pour contourner les droits de l’homme, dont le respect est variable selon le pays visité. Pour mettre en place ces véritables tortures externalisées, la CIA va mettre en place toute une lourde infrastructure d’appareils volants, allant du gros Hercules C-130 au petit Gates Learjet 35, en passant par des appareils européens tel l’ATR 42 ou des petits CASA 212 ou de forts discrets Raytheon B-200C, le fameux Beechcraft King Air universellement connu. Des avions aux numéros et aux compagnies aériennes changeants constamment, inscrits chez des firmes d’aviation en forme de boîtes à lettres dirigées par des prête-noms. Bref, un vaste chaos sciemment organisé, afin de brouiller un maximum de pistes sur ces transferts illégaux. La CIA a toujours servi de paravent à des activités douteuses ; Guantanamo est un véritable aboutissement dans ce sens, tant il est difficile, aujourd’hui encore, de tenter de démêler l’inextricable écheveau de ces vols tortueux, de ces différents appareils et de ces individus transparents. Un long rapport de 51 pages d’Amnesty, datant de 2006, téléchargeable ici, nous en dit pas mal sur le sujet. C’est la base de notre étude du jour.
L’engagement d’Aero Contactors, Ltd, de Caroline du Nord, est allé plus loin encore dans le transport particulier, comme lors du sauvetage de cinq libyens ayant tenté d’assassiner Khadafi (*3). Les firmes privées de mercenaires participent bien aux opérations de déstabilisation d’état orchestrées de loin par la CIA ! Des liens avec la Libye qui parfois fonctionnent inversement, des agents Libyens ayant participé à des interrogatoires en qualité "d’invités" (*4). Le prisonnier Deghayes avait été ainsi pris pour un autre, tout simplement et avait passé pour ça 5 ans à Guantanamo sous le numéro 727 (*5). Son père, un syndicaliste, avait payé de sa vie son opposition à Kadhafi. Omar avait été libéré discrètement le 18 décembre 2007, sans aucune charge reconnue contre lui. Mais après avoir été sévèrement torturé, au point de porter atteinte à sa santé mentale. Les "aveux" qu’on lui avait extorqué étaient entachés de torture, sur lui et ses trois autres compagnons (Hamed Abderrahman Ahmed, Lahcen Ikassrien, and Jamiel Abdul Latif al Banna) (*6).
Chez Aero Contractors, pour masquer les vols et les véritables responsables, on avait une méthode simple : prendre de bons patriotes au hasard, ou presque, et leur demander de signer un papier et d’assister à deux réunions par an prouvant qu’ils "géraient" la compagnie. Leur cible idéale pour ça : des retraités de l’armée ou de la Navy (*7). Le conseil d’administration fantôme, idéal pour une société introuvable ! Tout avait été fait pour brouiller les pistes et éviter les enquêtes et les ennuis futurs. L’avion le plus célèbre d’Aero Contractor, car le plus "spotté" étant le Gulfstream V N379P, celui qui a embarqué Jamil Qasim Saeed Mohammed à Karachi. Huit semaines plus tard, il embarquait en Suède deux égyptiens pour se faire torturer dans leur pays. Un mois plus tard il était à Djakarta pour cueillir Muhammad Saad Iqbal Madni, direction aussi l’Egypte pour les mêmes sévices. Au total, il sera vu et photographié à Islamabad, à Karachi à Riyadh en Arabie Saoudite, à Dubai à Tashkent, en Uzbekistan, à Baghdad, à Kuwait City, à Bakou en Azerbaijan, ou à Rabat, au Maroc. Décollant souvent de Dulles International Airport pour la Jordanie, à Amman, ou vers Francfort, en Allemagne, mais aussi vers Glasglow, en Ecosse, et vers Larnaca à Chypre.... le N379P avait bien mérité son surnom de "the torture jet".
A la CIA, on peut faire autrement encore : mélanger les numéros des avions dans les registres officiels, afin de s’y retrouver encore moins dans les mouvements d’avions. Ainsi le N168 D, un des quatre CN-235 Casa de Devon Holding&Leasing, aperçu aussi bien à Prague qu’en Irak ou en Afghanistan. Le gag, c’est qu’il porte le même numéro qu’un autre avion, un Beechcraft 200, lui, anciennement N391SA, retrouvé abandonné en 2008 en plein champ au Nicaragua avec à bord plus d’une tonne de cocaïne (*8). L’avion avait une particularité : son immatriculation était complètement fausse (*9) !!! Au final, établir la cartographie des changements de noms et d’immatriculation est une véritable prouesse, donc. Idem pour les avions amiraux de la flotte, des 737 cette fois, dont un immatriculé N4476S n’avait comme propriétaire qu’une boîte aux lettres vide, au nom de Keeler and Tate Management, LLC (*10). Une autre coquille vide.
Le système avait été décrit point par point dans un document du Parlement Européen, datant du 1 er juin 2006, intitulé "Commission temporaire sur l’utilisation présumée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers". "Un bon exemple d’opération en jeu de coquille est fourni par l’histoire de Premier Executive. Premier Executive est une société dont l’adresse professionnelle est une boîte postale située en dehors de Washington. Premier possédait deux avions : le Gulfstream V et le Boeing 737, utilisés par la CIA pour des remises extraordinaires. Les deux avions appartenaient à Steven Express, une autre société-écran. La société Steven Express a une adresse professionnelle dans le Tennessee, et cette adresse n’est liée à aucun établissement. Steven Express a été reprise par un avocat, au nom de Devon Holding, une autre société-écran. L’avocat était le seul représentant/employé de Devon Holding. Ce type de jeu de coquille permet aux avions de la CIA de se dissimuler, et donc d’effacer toute trace d’opération illégale liée à l’avion. C’est ce qui s’est passé par exemple en novembre 2004, lorsque The Sunday Times a signalé que les USA louaient le jet Gulfstream V pour le transfert de détenus à Guantanamo et vers d’autres bases militaires américaines. Deux jours plus tard, Premier Executive se débarrassait de l’appareil et le vendait à Bayard Foreign Marketing, une autre société-écran. On n’a jamais trouvé trace du nom de l’administrateur, Leonard Bayard, dans le moindre registre public. L’autre avion, le Boeing 737, a été vendu à Keeler and Tate Management, une autre société-écran sans locaux, sans site web et dont la seule propriété était le Boeing 737.D’autre part, Premier Executive s’est évanoui dans la nature depuis 2005." On ne pouvait être plus clair !
Le rapport, un document exceptionnel, répertoriait aussi les appareils et leurs propriétaires, dont notamment une entreprise de mercenaires bien connue : "Parmi les 51 avions prétendument utilisés par la CIA :
- 26 avions sont enregistrés auprès de sociétés-écran et parfois appuyés par des sociétés d’exploitation.
- 10 sont qualifiés de « transporteurs fréquents de la CIA », ils appartiennent à Blackwater USA, un important « contractant qualifié » de la CIA et de l’armée américaine. Il fournit le personnel, la formation et la logistique avionique. Dans ce cas, aucune société-écran ne joue le rôle d’intermédiaire.
- Les 15 autres avions sont loués occasionnellement à des sociétés privées travaillant avec la CIA ainsi qu’avec d’autres clients. (la liste fournie par le rapport est en (11).
Le Gulfstream crashé fut en fait reconnu plus tard comme participant à une obscure opération des douanes US (*13) Mais pas une seule enquête n’a abouti concernant les sacs et leur contenu... en réalité le coup était bien plus tordu selon les explications officielles survenues bien plus tard (*14). La drogue des paramilitaires, transitait par un baron de la drogue, et moi qui croyait bêtement qu’il n’y avait que les Farcs pour le faire ! Urrego avait effectivement été arrêté au Panama le 21 octobre 2007. L’avion s’était crashé le 26 septembre précédent : à vous d’imaginer si Urrego aurait été ou non arrêté sans ce crash...
Pour les anciens de ce genre d’opérations, ça ne tient pas debout comme explication. Le lot de drogue était bien trop imposant pour servir d’appât seulement. C’était plutôt une livraison sinon, régulière du moins organisée en haut lieu (*15) Non, il s’agissait bien d’une opération de transfert de drogue de la CIA elle-même. Une opération connue du gouvernement US. Car à la table d’administration de la firme d’Ethanol brésilienne siégeait aussi de drôles de personnages, dont un dénommé Neil Singer, président de Cornerstone Companies mouillé jusqu’au cou avec les USA et la CIA (*16). Sur l’un de ces CV, on trouvait une belle perle (*17) "L’homme avait un passe de sécurité trans-frontalier" : le document idéal pour trafiquer, qui vous évite d’avoir à sortir votre passeport aux autorités !
En 2004, on retrouvait un avion d’Aero Contractors (*18) mêlé à un opération de la CIA en pleine vallée du Panshir : le bien connu Twin Otter numéroté N6161Q déjà vu moult fois à Glasgow, Francfort, ou à Duchanbé, la capitale du Tadjikistan,... ou en plein désert du Nevada... Sur un aéroport bien connu des français... C’est à Duchanbé qu’arrivait en 1999 l’argent de la CIA pour Massoud : 200 000 dollars/mois, annonçait le Washington Post dans un article ravageur du 23 févier 2004 (*19). Des billets verts frais débarqués d’hélicoptères.... russes, ayant des pilotes... américains (nous y reviendrons un peu plus loin). La CIA a eu maille à partir aussi avec Massoud, pas toujours aussi commode qu’on voudrait le dire (*20). Il souhaitait des hélicoptères, il en eût...un seul, mais ses hommes n’en n’avaient pas la connaissance véritable, malgré des bricolages assez géniaux, comme d’avoir monté des moteurs de Hind sur un Mi-17.... : Georges Tenet s’était résolu à en équiper la CIA, plutôt (*21). Nous verrons plus loin comment exactement.
Un grand classique donc que cet avion Twin Otter... facilement repérable en raison de la floraison d’antennes sur le dessus de son fuselage. Tout ce qu’il faut pour rester en communication satellitaire constante. Il avait été "spotté" le 2 aout 2005 en train d’atterrir à Alexandrie, en Egypte. Selon les registres, l’appareil est un avion... maltais. Le 8 août, il était à Shannon, en Ireland, déclaré comme appartenant à "AVIATION SPECIALTIES INC", une société dont l’adresse était à Washington... à deux pas de la Maison Blanche, et le 9, il atterrissait à Narsarsuag, au Danemark, en partance pour Reykjavik, direction Goose Bay au Canada. Un petit avion au comportement bien étrange, qui change de propriétaire à chaque remplissage de réservoirs, pour de si grandes étapes..... aperçu à Toronto par un journaliste un peu trop curieux, à qui on avait fermement intimé de ne pas chercher à en savoir trop... (*22). En fait, des N6161Q, on en compte aujourd’hui une bonne demi-douzaines dans le monde en réalité (*23) !!! A Washington, il ne décolle pas du terminal normal de Dulles mais de celui de Landmark Aviation, ancien Garrett Aviation, beaucoup plus discret... la liste des décollages à partir de cet endroit est plus qu’éloquente !!! La liste des avions de Guantanamao étant ici.... Landmark, comme par hasard, est la propriété... du groupe Carlyle ! Enfin l’était : le 3 avril 2007, le site a été vendu à l’émirat de Dubaï via Dubai Aerospace Enterprise Ltd. Carlyle ayant lui-même déménagé ses bureaux à Dubaï également... Ce qui ne cesse, bien sûr de questionner davantage encore, car cela rappelle d’autres compagnies.. et le même problème depuis le début.. auquel on revient à chaque fois (*24).
(11) SOCIÉTÉS IMPLIQUÉES
Sociétés-écran :
- CROWELL AVIATION TECHNOLOGIES, INC
- PATH CORPORATION
- RAPID AIR TRANS, INC.
- STEVENS EXPRESS LEASING, INC
- AVIATION SPECIALTIES, INC
- DEVON HOLDING AND LEASING, INC
- BAYARD FOREIGN MARKETING, LLC.
- KEELER & TATE MANAGEMENT, LLC
-Les deux dernières sociétés de la liste ont remplacé Premier Executive Transport Services, inc., lorsque Premier a vendu les avions Boeing 737 et Gulfstream V à Bayard et à Keeler. Ensuite, Premier a disparu.
Sociétés d’exploitation
-AERO CONTRACTORS, LTD. (CAROLINE DU NORD)
Aero Contractors fut fondée en 1979 par Jim Rhyne, ex-pilote d’Air America, société utilisée par la CIA pendant la guerre du Vietnam. Les pilotes d’Aero Contractors, d’après le New York Times, « sont les chauffeurs de bus discrets de la bataille contre le terrorisme, régulièrement envoyés en mission secrète à Bagdad, au Caire, àTashkent et à Kaboul ». Et le New York Times d’ajouter : « Aero Contractors est en fait une importante plaque tournante domestique des services secrets aériens de la CIA ». En effet, d’après les informations de la FAA, Aero Contractors loue ses avions à Premier Executive Transport (société-écran), à savoir des Boeing 737 (N 4476S, ex N313P). Aero Contractor n’a pas de site web et ne fait pas la publicité de ses activités. Toutes les ressources proviennent de la CIA, de l’armée américaine et d’autres agences gouvernementales. Cependant, Aero Contractors reste une société bien réelle, équipée de locaux et dotée de quatre-vingt membres du personnel. Aero Contractors est la société d’exploitation des sociétés-écran suivantes :
-STEVENS EXPRESS LEASING, INC
-PREMIER EXECUTIVE TRANSPORT SERVICE
-AVIATION SPECIALTIES, INC
-DEVON HOLDING AND LEASING, INC
- PEGASUS TECHNOLOGIES, INC
Pegasus Technologies travaille à l’avionique (électronique de l’aviation), aux capteurs et aux systèmes électriques des avions de la CIA. Ceci inclut probablement des systèmes d’encryptage top-secret des communications et des systèmes de vision de nuit.
-TEPPER AVIATION
Tepper Aviation est une société contrôlée par ou liée d’une manière ou d’une autre à la CIA. Selon le rapport d’Amnesty International, Tepper Aviation serait impliqué dans des opérations de remise par le biais d’un ou plusieurs de ses avions. La société opère à partir de l’aéroport de Bob Sikes, en Floride. La base européenne est Rhein-Main, en Allemagne. Tepper utilise trois avions appartenant à la société-écran Rapid Air Trans : le Lockheeds N2189M, le N4557C le N8183J.
-RICHMOR AVIATION
Philip H. Morse, propriétaire du jet Gulfstream IV (et partenaire du Boston Red Sox), a confirmé au journal Globe and Tribune que son jet privé a été loué à plusieurs reprises à la CIA D’après les informations de la FAA, l’avion appartient à Assembly Pointe Aviation Inc., dont M.Morse est le seul employé. La société de location est Richmor Aviation et est basée dans l’Hudson. Le numéro d’enregistrement du jet est N85VM, ensuite modifié en N227SV (enlèvement de Abu Omar). M.Morse déclare que Richmor Aviation a loué son avion à la CIA pendant environ trois ans.
- FILIALES DE BLACKWATER USA
Cette société est un contractant important de la CIA et de l’armée américaine. Elle fournit du personnel et de la formation ainsi que des services d’aviation à travers ses deux filiales :
-AVIATION WORLDWIDE SERVICES, INC. (FLORIDE)
- PRESIDENTIAL AIRWAYS (FLORIDE)
Les deux sociétés volent sur le gros-porteur passager/cargo CASA C-212. Elles transportent des troupes de paracommandos et des cargaisons surdimensionnées et peuvent opérer à partir de pistes courtes et non améliorées. En Europe, c’est Malte qui sert de base à ces avions.
(20) The CIA first sent Massoud aid in 1984. But their relations were undermined by the CIA’s heavy dependence on Pakistan during the war against the Soviets. The Pakistani intelligence service despised Massoud because he had waged a long and brutal campaign against Pakistan’s main Islamic radical client, the warlord Gulbuddin Hekmatyar. As the war against the Soviets ended, Pakistani intelligence sought to exclude Massoud from the victory, and the CIA mainly went along. But under pressure from the State Department and members of Congress, the agency eventually reopened its private channels to Massoud. In 1990 the CIA’s secret relationship with Massoud soured because of a dispute over a $500,000 payment. Gary Schroen, a CIA officer then working from Islamabad, Pakistan, had delivered the cash to Massoud’s brother in exchange for assurances that Massoud would attack Afghan communist forces along a key artery, the Salang Highway. But Massoud’s forces never moved, so far as the CIA could tell. Schroen and other officers believed they had been ripped off for half a million dollars".
(21) T"he agency sent out a team of mechanics knowledgeable about Russian helicopters. When Massoud’s men opened up one of the Mi-17s, the mechanics were stunned : They had patched an engine originally made for a Hind attack helicopter into the bay of the Mi-17 transport. It was a flying miracle. Afterward Tenet signed off on a compromise : The CIA would secretly buy its own airworthy Mi-17 helicopter, maintain it properly in Tashkent, Uzbekistan, and use CIA pilots to fly clandestine teams into the Panjshir."
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