Décentralisation : l’exemple alsacien
"Je vais taper dans les dotations aux collectivités locales" (M.Lebranchu, 28.01.2013). Mais encore ? Face aux ratés de la décentralisation, regardons de plus près le processus de simplification du feuilleté territorial amorcé en ALSACE.
Les Alsaciens sont différents. Et parfois moqués, que ce soit en raison de leur vote jugé trop "droitier" (1), ou à cause de l'archaïsme concordataire qui écorne, en plein XXIe siècle, la neutralité laïque et l'Etat et entretient une discrimination de fait entre les religions.
Mais cette différence n'est pas résumable au conservatisme. Elle peut aussi être pionnière. La formidable fécondité culturelle de cette terre de carrefours, la proverbiale tradition rhénane du travail bien fait et une appétence viscérale pour l'autonomie (Mulhouse, ville libre jusqu'en 1798) nourrissent un terreau d'innovation et de réforme dont le pays entier a besoin.
L'interminable débat sur la décentralisation en donne une illustration. Amorcé par les lois Deferre (gouvernement Mauroy, 1982), le processus de transfert de certaines compétences de l'Etat aux régions et collectivités locales n'a pas fini sa mue. Trois écueils ont compliqué les choses.
1/ D'une part, une dérive néoféodale, due à un manque généralisé de processus de contrôle par les citoyens, couplé à une "relative concentration du pouvoir dans les mains des élites locales" (2). Résultat : une multiplication des "affaires", contribuant à décrédibiliser la politique. Qu'un Jean-Paul Huchon, pourtant condamné en appel, le 21 novembre 2008 pour "prise illégale d'intérêt", soit aujourd'hui (2013) président du conseil régional d'île-de-France donne la mesure des tristes progrès de cette gangrène, dénoncée en son temps par Arnaud Montebourg dans La machine à trahir (Denoël, 2002).
2/ L'autre fléau en ces temps de diète budgétaire est la complexification coûteuse d'un "feuilleté administratif" de plus en plus inextricable, en dépit des tentatives épisodiques, insuffisamment coordonnées, de simplification. Commune, communautés de commune, conseils généraux, régionaux, préfectures nourrissent conflits de compétence et lourdeurs de gestion. Et que dire du financement des administrations territoriales ! La fiscalité locale étouffe de plus en plus de petits contribuables. Prenons l'exemple d'un département "pauvre", celui de l'Aisne, en Picardie. Quand la part départementale de la taxe foncière augmente de 61% entre 2009 et 2010 (sous l'impulsion du conseil général... socialiste), qui peut justifier socialement une telle extorsion quand le niveau de vie des populations stagne ?
3/ Enfin, qu'on le veuille ou non, les logiques d'harmonisation européenne placent notre pays devant un impératif de cohérence : pour bien travailler avec nos voisins, la clarification des gouvernances locales s'impose, et pas seulement par défaut. Marylise Lebranchu (pourtant excellente politique par ailleurs) affirme sans sourciller que pour compenser la réduction de son budget ministériel, dixit :"je vais taper dans les dotations aux collectivités locales" (3).
Et ces dernières, que vont-elles faire pour compenser ? Sans simplication d'échelle, puisée aux meilleurs modèles européens (Allemagne...), le paresseux processus actuel qui consiste à dégraisser l'Etat central sur le dos de collectivités locales pléthoriques aura toujours, au final, le même résultat : appauvrir le citoyen, qui paie la note des ratés de la décentralisation.
Face à ce constat de crise, saluons d'autant plus le processus alsacien en cours, qui vise à faire évoluer trois collectivités (conseil régional d'Alsace, conseil général du Bas Rhin, conseil général du haut Rhin) vers une seule. Porté notamment par Philippe Richert, élu courageux natif d'Ingwiller (Bas-Rhin), il a pour cap une Collectivité territoriale d'Alsace plus simple, plus efficace et moins coûteuse. Le 7 avril 2013, un référendum populaire aura lieu dans ce sens, suite au vote des trois assemblées du 25 janvier 2013. Un modèle à suivre.
(1) Au premier tour des élections présidentielles 2012, Marine Le Pen, candidate du Front National, a obtenu 17,9% des voix alsaciennes.
(2) Marylise Lebranchu, Aujourd'hui en France, 28 janvier 2013, p.2.
(3) Stéphane Cadiou, "Gouverner à l'ère de la décentralisation", Sciences Humaines, Hors Série n°18, 2010, p.24-25.
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