Dédommagement de l’esclavage : qui devrait payer ?
L'esclavage est une abomination. Mais cela ne suffit pas de le dire. La pratique est ancienne et répandue, elle semble avoir fait partie de l’humanité. Comment des êtres humains ont-ils été si malheureusement inspirés et capables d’imposer cela à leurs pairs ? Et peut-on réparer un tel crime ?

4 février, 27 avril, 10 mai
Hier 10 mai la France commémorait l’abolition de l’esclavage. Cette date n’est pas celle de l’abolition. Le décret d’abolition date du 27 avril 1848 et non du 10 mai. On pourrait aussi prendre en compte le 4 février en souvenir de la première abolition décrétée par la Convention pendant les années de la révolution française (même si Napoléon Bonaparte l’avait rétabli quelques années plus tard). Le 10 mai ne correspond pas aux dates célébrées dans les anciens territoires coloniaux. C’est en réalité la date de l’adoption de la loi instituant un jour de commémoration : le 10 mai 2001. On peut dire d’une certaine manière que les français ne commémorent pas l’esclavage lui-même par une date symbolique forte ; en fait ils célèbrent la loi Taubira du 10 mai (une loi discriminante) et non l’abolition.
« ... après de multiples réflexions qui ne furent pas sans susciter des polémiques, c’est le 10 mai qui fut retenu : 10 mai pour 10 mai 2001, jour de l’adoption en dernière lecture au Sénat de la loi Taubira. »
L’esclavage est un statut variable avec des bases identiques pour toutes ses déclinaisons. Un esclave n’est pas libre de ses mouvements, il est attaché à une maison ou à un maître qui est son propriétaire, il peut être vendu ou acheté, il ne décide pas de son contrat. Ce statut illustre de manière claire les rapports de domination-soumission entre les humains.
Un esclave avait cependant des droits, le maître des limites, et il pouvait être affranchi. Selon Wiki : « Ces règles fixent notamment les conditions par lesquelles on devient esclave ou on cesse de l'être, quelles limitations s'imposent au maître, quelles marges de liberté et protection légale l'esclave conserve, quelle humanité (quelle âme, sur le plan religieux) on lui reconnaît, etc. L'affranchissement d'un esclave (par son maître ou par l'autorité d'un haut placé) fait de lui un affranchi, qui a un statut proche de celui de l'individu ordinaire. »
L’Afrique
L’esclavage s’est transformé en servage. Dans une société rurale à 90% les serfs étaient des paysans, attachés à la terre d’un propriétaire, avec la liberté d’en changer moyennant une contrepartie. C’est ici la notion de contrat qui s’élabore, celle qui est aujourd’hui en cours. Un contrat est signé selon accord deux parties, sans domination de l’une sur l’autre.
Les esclaves étaient souvent des criminels ou des prisonniers de guerre ou de razzias. Le statut était héréditaire. Lors d’une bataille les vainqueurs tuaient souvent les hommes et gardait les femmes et les enfants. Des dettes pouvaient aussi conduire à l’esclavage : « La servitude pour dette résulte d'une procédure, parfois encadrée juridiquement, qui consistait à s'acquitter d'une créance par l'abandon de la propriété de soi à son créancier. »
Des décisions judiciaires validaient le statut :
« Le code d'Hammourabi mentionne pour la Mésopotamie des sanctions juridiques conduisant à l'esclavage comme, par exemple, la répudiation de ses parents par un enfant adopté9. Sous la République romaine, certaines infractions entraînent la déchéance des droits civiques (capitis deminutio maxima) : les déserteurs et les citoyens qui se sont dérobés au cens peuvent ainsi être vendus comme esclave par un magistrat, en dehors de Rome toutefois10. Sous l'Empire romain, la condamnation aux mines (ad metalla) est l'une des peines les plus redoutées. Aux États-Unis, les Noirs libres peuvent être condamnés à l'esclavage pour un ensemble d'infractions juridiques assez larges : l'accueil d'un esclave fugitif, le fait de rester sur le territoire de certains États, telle la Virginie, un an après son émancipation. »
L’Afrique a payé un très lourd tribut pendant les siècles qui ont précédé l’abolition. Cet esclavage massif, le plus récent historiquement, tend à éclipser les autres. Il est plus documenté et plus proche, et a été pratiqué de manière industrielle.
Le premier esclavage a été le fait d’africains entre eux. Selon des historiens elle remonte au XIe siècle, voire au VIIe siècle ; soit bien avant la traite arabo-musulmane et la traite occidentale. Elle est difficilement chiffrable mais le nombre de 14 millions d’esclaves est avancé.
« La traite et l’esclavage existent en Afrique, bien avant l’arrivée des européens (au moins depuis le XIe siècle). La traite infra-africaine est la moins bien renseignée, faute de sources. Les esclaves, en Afrique, sont les prisonniers de guerres de conquête entre tribus africaines, de razzias, de dettes, de tributs ; ou bien le sont de naissance. Ainsi, lorsque les Portugais arrivent, les chefs africains continuent simplement leurs pratiques ancestrales. Ils échangent des esclaves, comme n’importe quelle autre marchandise, contre des armes, des tissus, des métaux, des chevaux entres autres. Les rabatteurs d'esclaves sont essentiellement africains (notamment métis), et seuls 2% des esclaves ont été capturés par des négriers, sur les côtes. (...) La traite occidentale aurait déporté 11 millions de personnes. La traite intra-africaine : 14 millions. Enfin, la traite orientale, qui est aussi la plus importante et la plus ancienne : 17 millions… »
L'exemple du Dahomey (actuel Bénin)
Les traites orientales, moins visibles parce que intégrée au continent africain, furent les plus massives : « Ces traites sont mal connues. C'est l'historien américain Ralph Austen le meilleur spécialiste de la question, qui nous fournit les données les plus solides sur le sujet. Selon lui, 17 millions de personnes auraient été déportées par les négriers musulmans entre 650 et 1920. Au total, à elles seules, les traites orientales seraient donc à l'origine d'un peu plus de 40 % des 42 millions de personnes déportées par l'ensemble des traites négrières. Elles constitueraient ainsi le plus grand commerce négrier de l'histoire ». Elles ne cessèrent que récemment : 1980 en Mauritanie, et au Maroc le dernier marché d’esclaves a été fermé en 1920.
En occident on parle surtout de la traite occidentale et très peu de l’orientale et de l’intra-africaine. Ce biais historique est aujourd’hui repris par les mouvements officiels anti-racistes, qui font un déni du réel en évitant de mentionner les deux traites les plus massives : l’arabo-musulmane et l’intra-africaine. De cette dernière, des historiens ont cependant pu démontrer qu’elle avait enrichi les premiers négriers, qui étaient originaires d’Afrique. Les rois de l’ancien Dahomey (le Bénin), parmi d’autres, se sont fortement enrichis par le commerce d’esclaves.
« Dès la formation du royaume au XVIIe siècle jusqu’à la conquête française des années 1890, les rois du Dahomey occupaient une place prépondérante dans la société. La traite des esclaves fut pour eux le moyen d’affirmer leur autorité et de remplir les fonctions que leur attribuaient la religion et le peuple ».
Le Dahomey, colonisé en 1890 - soit après l'abolition de l'esclavage en Europe - continue cependant ce commerce et pratique la razzia régulièrement pour se fournir en chair humaine :
« À l'orée de la guerre de conquête coloniale française, alors que la traite des Noirs était déjà abolie depuis fort longtemps, c'est encore sur ce commerce qu'allait compter Béhanzin pour son effort de guerre. (...) La culture de razzia organisée de main de maître et avec une subtilité inégalée a assuré au royaume du Danhomè sa prospérité et sa puissance. (...) La vérité est que le but de l'armée danhoméenne n’était pas de vaincre mais de créer la zizanie sur son passage, d’effrayer ses ennemis et de capturer le maximum d'esclaves possible. Ainsi, l'armée revenait à Abomey et, à défaut de victoire, exhibait fièrement ses trophées en vies humaines, en crânes d'ennemis décapités, en objets de valeur saisis et surtout en esclaves par dizaines, voire par centaines. »
Dédommagement ?
On apprend aujourd’hui en France que le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) a assigné en justice le baron Antoine-Ernest Seillière de Laborde, ancien patron du Medef. Il s’agit d’une « ... assignation pour crime contre l’humanité et recel de crime contre l’humanité. (...) Les descendants des esclavagistes ne sont pas coupables mais ils sont bénéficiaires et leur fortune est faite de biens mal acquis, a-t-il souligné. Et en refusant toute réparation, ils deviennent solidaires de fait du crime dont ils essaient de se démarquer en vain. »
Le principe de réparation financière est appliqué dans de nombreux crimes, y compris les réparations de guerres. Mais peut-il s’appliquer ici ? Cette assignation va faire cogiter les juristes. D’abord, le CRAN est-il légitimé pour une telle action ? Ensuite on voudrait faire faire condamner les descendants des négriers. Mais imaginez que l’on vous condamne parce que votre grand-père a commis un crime : ce n’est ni logique ni juste.
À qui demander une réparation financière ? À qui nommément devrait-elle être payée ? Les négriers européens ont développé un commerce avec les africains vendeurs d’humains. Ils ont payé ces esclaves. Ne faut-il pas plutôt assigner et demander réparation aux descendants d’africains, c’est-à-dire à ceux qui sont à l’origine de la traite négrière : les africains eux-mêmes ?
Cela ne se fera pas : les anti-racistes ne veulent pas reconnaître le fait que le racisme et ses dérives était pratiqué à une telle échelle et un tel degré de responsabilité par ceux qu’ils prétendent défendre. Ainsi il est politiquement correct de maintenir les africains dans un état de victime durable et unique, même ceux qui n’ont jamais eu à subir de discrimination. C’est l’autre racisme, silencieux, presque invisible. Celui qui condamne les africains à la double peine : celle d’avoir subit cette abomination, et celle d’être considérés comme des irresponsables.
Des dédommagements éventuels devraient répondre à trois critères : l’un est que l’on trouve les descendants des esclavagistes africains en vue de leur demander des comptes. Les peuples d’Afrique ont le droit de savoir qui étaient les tortionnaires noirs qui ont piétiné leur culture et vendu leurs ancêtres. L’autre est qu' il faudrait fixer une limite dans le passé pour les demandes de réparations historiques, sans quoi des français pourraient assigner l'État italien pour l'occupation romaine. Enfin il faut traiter la question avec l’ensemble des acteurs mêlés à la traite : arabo-musulmans, descendants de négriers africains, européens, et ne pas seulement incriminer ces derniers.
Si aujourd'hui l'on assigne en justice pour demander réparation, il faudrait peut-être assigner les descendants des premiers négriers responsables, qui étaient africains.
Images : 1, Révolte d’esclaves, sur le bateau "La Amistad" en route pour les Etats-Unis, en 1839, Hale Woodruff. 2, esclaves juives dans la traite orientale. 3, famille royale du Dahomey, XIXe siècle. 4, Le marché aux esclaves à Alexandrie, Hector Horeau.
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON