Déicides
Il est la seule espèce qui, dès qu’il en a été intellectuellement capable, a honoré ses morts d ’une façon absolument unique dans l’ Histoire de la vie en créant des rituels spécifiques pour ses défunts. Jamais auparavant, un animal n’avait enterré, immergé ou incinéré ses proches disparus.
Il est également la seule espèce a avoir codifié, tout au long de son histoire, les rites et traditions de ce concept à la fois philosophique et métaphysique que l’on nomme la religion.
Ce concept a connu, tout au long de l’histoire humaine, des formes différentes qui toutes cependant se retrouvent dans une structure commune : d’un côté, les officiants et de l’autre, les pratiquants.
Nous allons voir dans un premier temps ce qui a poussé à la création de la religion. Nous verrons également les formes prises par ce concept. Nous nous demanderons en même temps pourquoi certains hommes placent la religion par dessus toute chose, et finalement, ce qui en découle.
Mais en premier lieu, revenons quelques 450 000 ans en arrière.
A cette époque, Homo Erectus, une espèce d’hominidés de qui découlera des milliers d’années plus tard Homo Sapiens, vit en Afrique, ainsi qu’en Eurasie, colonisant également ce qui est aujourd’hui l’Indonésie. Cet être est encore frustre. Son larynx ne lui permet pas de parler autrement que par grognements. Son cerveau était un tiers moins gros que le nôtre. Mais cela lui a suffit pour créer les premier outils. Et surtout, à domestiquer le feu, ce qui lui permet d’améliorer son arsenal défensif et de chasse.
Erectus et sa première arme : un baton dont la pointe est durcie au feu.
Son environnement est tout ce qu’il y a de sauvage. Sans polluant moderne, il n’a cependant pas le loisir de jouir en paix d’un monde 100 % biologique : Erectus n’est pas au sommet de la chaîne alimentaire. Le monde compte des prédateurs plus dangereux qu’il ne l’est, et plus d’un Homo a fini ses jours sous les crocs de tigres, de lions ou d’ours. Il doit aussi affronter les éléments. La pluie qui provoque les inondations, les feux de forêts, les tremblements de terre, les brutales éruptions volcaniques. Toute chose qui existent de façon naturelle mais qu’il est incapable d’appréhender correctement, voir même de prévoir.
Si l’individu ne jouit en moyenne que d’une longévité sans doute limitée à 25 30 ans, l’espèce survit, prospère même. Elle évolue, donnant naissance à deux groupes qui vont cohabiter quelques dizaines de milliers d’années : une lignée qui va donner naissance à l’ Homme de Néanderthal, et une seconde qui aboutit à nous. Néanderthal va disparaître, pour une raison encore inconnue, vers 29 000 avant notre ère. Mais c’est dans ce groupe que l’on va retrouver les traces les plus anciennes d’un rite qui n’était jusque là jamais apparu sur Terre : l’inhumation volontaire de ses morts.
Dès 100 000 ans avant notre ère, on retrouve au Proche Orient des tombes creusées, garnies d’un seul squelette, recouverts la plupart du temps d’une dalle de pierre. On retrouve à côté et sous le défunt les pollens des plantes placées exprès dans la fosse.
Néanderthal nous a t-il laissé quelques gènes en héritage lors d’hybridations ? Possible, mais peu probable selon les scientifiques. Des études récentes montreraient qu’un gène responsable du dévellopement du cerveau, et un autre codant la couleur rousse des cheveux, en feraient dès lors partie.
C’est un saut important dans l’Histoire de l’Humanité. Chaque être possède, à un certain niveau, une conscience de soi. Le développement de l’intelligence provoque une conscience accrue mais elle a un corollaire : si l’être frustre ne possède qu’un instinct de conservation automatique, l’être intelligent sait qu’il va mourir, à un moment ou à un autre. Cette conscience de sa propre mortalité est peut-être ce qui va pousser Néanderthal à s’occuper de ses morts.
A ce jour, on ignore encore POURQUOI Néanderthal a un jour décidé qu’il ne laisserait plus ses morts abandonnés dans la nature : rite de passage pour le défunt, rite d’ acceptation et d’oubli pour celui qui reste... En tout cas, ce rite va se perpétuer, évoluer vers plus de complexité. On va retrouver dans les tombes plus récentes non seulement des pollens, mais aussi des restes d’armes, ou d’amoncellements de coquillages. Sapiens, qui vit à ses cotés, va aussi adopter ce rite, selon les mêmes codes, sans que l’on sache s’il s’agit d’imitation ou s’il a aussi choisi de s’occuper de ses morts de son côté. Parfois, le mort est placé dans une position spécifique, parfois non. Parfois, le squelette est le reste d’un infirme mort adulte alors que son handicap remonte à l’enfance : c’est la preuve que cet individu n’a pas été rejeté ou lâché par son groupe d’origine, au mépris des lois naturelles qui laisse à son sort rapidement funeste l’ être qui a le malheur de ne plus pouvoir suivre sa harde.
Ce rite de l’inhumation apparaît quand l’ Homme fait alors montre d’une plus grande intelligence : il a développé son outillage, qui est mieux conçu, plus solide, plus spécifique aussi.
De même, il a commencé à parer ses habits d’éléments décoratifs : dents, griffes, coquilles qui ne sont d’aucune utilité pratique. Il a aussi commencé à orner des grottes de dessins plus ou moins symboliques, plus ou moins bien exécutés : c’est la naissance de l’ Art.
Non, ce n’est pas la dernière collection JP Gaultier. Quoique...
Une seule chose n’a pas changé : il est toujours aussi démuni face aux colères de la Nature. Mais son cerveau, plus complexe, plus évolué, lui permet plus facilement de faire des extrapolations que sa gorge peut transmettre avec plus de nuances. Il sait ce qu’est la pluie, mais il ignore encore le cycle de l’eau. Il sait user du feu avec grand talent, mais il ignore le concept du triangle de l’ignition.
Il sait que parfois la Terre tremble, mais il est à 30 000 ans du théorème de la tectonique des plaques. Il sait juste que cela arrive de façon totalement aléatoire. Et parce que ces événements sont parfois mortels, il va essayer de s’en prémunir. Il ne sait pas ce qui provoque tout cela, mais il est assez intelligent pour savoir que tout procède d’une causalité qui est hors de sa portée. Comme il ne peut agir physiquement, il va user de sa seconde arme, sa réflexion.
Comment cela s’est-il passé ?
Nul ne le sait, et sans doute que nul ne le saura jamais. On peut imaginer que pour lui si ces événements n’ont pas de cause visible, alors le remède doit aussi appartenir au monde de l’invisible. Par la parole, invisible aussi, il aura peut-être procédé à ce que l’on pourrait appeler la première prière. Pour que la Terre ne bouge plus violemment. Pour que plus de monts ne se mettent à cracher de cette eau rouge mortelle. Pour que la horde de bisons donne assez de viande pour passer l’hiver qui vient.
Qu’elles marchent ou non, ces invocations donnent à l’Humanité une chose qu’elle n’avait pas avant : l’impression d ’influer sur la marche du monde. C’est peut-être pour cela que malgré le fait que parfois une catastrophe climatique ou physique va s’abattre tout de même sur le groupe, les invocations vont continuer à être faites, quel que soit le groupe humain, sur toute la surface de la Terre.
Rapidement, un individu du groupe va se démarquer. Il va se vêtir d’une façon différente et exécuter des rituels qu’il sera le seul à effectuer, pendant que le reste du groupe se joindra a lui de façon variée mais différente, par le silence, par la danse, par le chant. Le premier Shaman invoque les Puissances Supérieures. Nul ne sait ou et quand cette fonction est née. Mais si on se base sur notre expérience du shamanisme actuel, on peut imaginer que dès cette époque, le Shaman guérit les plaies de toutes natures. Spirituelles tout autant que physiques. Pour dépasser sa nature et essayer de mettre son esprit au niveau des Puissances Supérieures, le Shaman va user d’alcool, issu de la macération de fruits sucrés, ou de psychotropes naturels contenus dans certains champignons. Des générations de Shaman vont se succéder, et la pharmacopée va se développer en parallèle : c’est aussi la naissance des premiers médecins.
Les traces les plus anciennes de shamanismes sont identifiées en Sibérie. Avec les mouvements de population, le concept va se répandre en Asie puis en Amérique ou le shamanisme va perdurer jusqu’à nos jours dans les population amérindiennes d’Amérique du Nord.
L’ Europe elle ne redécouvrira culturellement le shamanisme qu’ au XVIIè siècle, avec les premiers écrits de Petrovich, un religieux russe exilé par le Tsar.
La figure du shaman continue d’inspirer les auteurs actuels.
En ces temps préhistoriques, il n’existe pas d’écriture. La tradition se transmet de façon orale, appuyée peut-être par les fresques pariétales. C’est à cette époque que datent les premières sculptures : elles représentent des corps féminins aux atours exagérés, les membres et le visage étant absents ou simplement schématisés. Ces Vénus de l’ Age de Pierre étaient-elles des représentations d’un idéal féminin ? Des ex-voto appelant à la fécondité de l’épouse ? Une première représentation et personnification de la Terre Nourricière ? Nul ne le saura jamais avec certitude. Mais il est interessant de voir que les premières oeuvres sculptées à vocation artistique représentent des femmes.
En un sens, c’est logique : la Femme possède sur l’Homme un avantage insurmontable : elle seule porte la génération future. Elle est la clé de la longévité humaine. Il n’est pas incongru en sachant cela de penser que les premières personnifications des Forces Surnaturelles l’aient été sous des traits féminins.
La célèbre Vénus de Willendorf. Représentation divine, sentimentale, ou coquine ?
L’ évolution va suivre son court. Néanderthal disparaît, et Sapiens demeure la seule espèce humaine évoluée en vie sur Terre. Il se montre de plus en plus doué et habile. Sa population augmente lentement et il se répand sur toute la surface du globe, ou il élimine (volontairement ?) les derniers Erectus qui ont subsisté ça et là : l’ Homme de Florès disparaît ainsi 18 000 ans avant notre ère. Il va plus loin que son ancêtre car à la faveur d’une glaciation, il peut franchir l’ isthme de Béring et se répandre en Amérique. Sur les terres ou il est plus anciennement établi en revanche, une Révolution va avoir lieu : la sédentarisation, et l’invention de l’agriculture.
Pouvant désormais subsister toute l’année sur un même territoire qu’il commence à exploiter, l’Homme fonde des fermes, qui deviennent villages, puis de véritables villes. Il y a 9 000 ans, Catal Huyuk ( en Turquie actuelle) rassemble 5 000 personnes sur 13 hectares. Les peintures murales qui y ont été retrouvées semblent indiquer que la Femme y est toujours importante : accouchant ou simplement enceinte, elle orne les murs des maisons dont les fondations contiennent les os des ancêtres de la famille.
C’est dans la zone du Croissant Fertile, entre Tigre et Euphrate, que se mettent en place les premiers Etats. La naissance de l’écriture, 3 400 ans avec notre ère, fait basculer l’ Homme dans l’Histoire proprement dite. Les premiers écrits, retrouvés et déchiffrés, nous renseignent autant, sinon plus, que les tessons de céramiques et les ruines de bâtiments dont les archéologues devaient se contenter. Les écrits nous donnent enfin accès aux noms que les hommes de cette époque avaient donné aux êtres censés les protéger et les diriger. L’ Ere des Dieux peut commencer.
Partout ou l’Homme entre dans la période historique, il le fait en compagnie d’ un panthéon. Il est frappant de constater que malgré l’isolement géographique des grandes civilisations, partout la religion met en place un système polythéiste. En Mésopotamie, en Egypte, en Chine et en Inde, et même aux Amériques, 5 000 ans avant maintenant, les Dieux règnent et régissent tout et toute chose.
La Mésopotamie était scindée en une multitude de cités-Etats, qui se rattachaient cependant selon leurs ascendance Sumérienne ou Akkadienne. Chaque cité avait ses Dieux, mais un tronc commun existait entre elles : Anu (la terre), Enlil (le ciel), Ea (l’ abîme). Le rôle des hommes était de servir ces Dieux par leur travail et leur dévotion. Le Roi était un élu des Dieux et il était chargé de la bonne marche de la société. Tout et toute chose avait son Dieu. Chaque profession était régie par une divinité. Quand Babylone, au cours des siècles, prendra l’ascendant sur ces terres, il adoptera ces Dieux en les fusionnant avec ses divinités propres. Les religions mésopotamiennes s’éteindront quelques siècles avant l’ an 0, quand les empires locaux seront passés sous la coupe des puissances grecques, puis romaines. Le christianisme, puis l’Islam en éteindront les derniers feux. Ou presque...
Dès le départ egalement, l’ Egypte fut une terre de divinités multiples. La seule différence avec la Mésopotamie est qu’en Egypte, le panthéon divin fut rapidement organisé et resta en l’ état jusqu’à ce que la Rome devenue chrétienne interdise les cultes païens. Chaque Dieu y était à sa place, et était vénéré selon son rang, mais aussi son importance rituelle pour telle ou telle région de l’empire. Osiris resta sur son trône durant plus de 3 000 ans, ne voyant passer la tentative d’ Akhénaton pour imposer Aton (le disque solaire) comme seul Dieu d’importance (et non pas unique comme on le croit à tort) que du coin de l’oeil.
Enlil. Le Seigneur des Vents sera détroné plus tard par Marduk, quand Babylone prendra possession de la Mésopotamie.
Toutes ces religions, ainsi que les autres religions polythéistes, ont une mythologie commune. Les Dieux sont nés des éléments primordiaux. Après une période de lutte, un groupe divin se dégage. Ces Dieux sont tout-puissants, mais ils ont besoin d’êtres inférieurs pour subsister via leurs sacrifices et leurs services. C’est pourquoi ils créent des êtres imparfaits, fragiles, mortels, mais suffisamment intelligents pour les servir comme il se doit. L’ Homme nait dans ces régions de la glaise. Ce n’est pas étonnant : à cette époque, l’argile est le matériau de construction le plus facile et le plus abondant. Il est aussi très bien adapté aux conditions climatiques.
Les relations difficiles entre les Etats sur le plan des communication fait que les sociétés divines ne se pénètrent que peu. Les groupes plus éloignés sont inconnus. On peut dire qu’a cette époque, quatre grandes zones de civilisation se dégagent : le proche-orient (Egypte incluse), l’Inde, la Chine, les Amériques. Si les religions indiennes et chinoises évoluent suffisamment au point de résister au choc culturel que constitue le premier contact avec l’Occident, les religions américaines s’effondrent au XVè siècle. Les chutes des empires aztèques et inca sonnent le glas de leurs panthéons. Les prêtres sont massacrés, les livres sacrés détruits en grand nombre. Les monuments sont mis à bas et remplacés par des églises catholiques. Des missionnaires achèvent de répandre le christianisme en Amérique Latine. Seules quelques fêtes et quelques rituels andins rappellent la gloire passée de Huitzillopolochi, Viracocha, Pachacamac dans un sous-continent désormais chrétien.
Sous l’influence mésopotamienne et indo-européenne, la Grèce développe à son tour un panthéon. Comme au proche-orient, la péninsule est divisée en cités-Etats. Chacune d’entre elle est sous la protection d’un des Dieux de l’Olympe. Athéna a obtenue la bonne garde d’ Athènes au détriment de Poséidon.
Il est frappant de constater là encore que les Dieux Grecs ne sont pas les créateurs du monde. Ils ont eux même été engendrés par des puissances primaires ( Chaos, Gaia, Eros). La aussi, une mythologie se met en place et une histoire explique comment Zeus est devenu le Dieu des Dieux, après avoir sauvé sa fratrie du ventre paternel auquel il était aussi destiné initialement. Tout puissants aussi, ils ont également besoins d’êtres imparfaits pour leur service. La différence essentielle avec les panthéons mésopotamiens et égyptiens, est que plus qu’un groupe, les Olympiens forment une famille, et restent entre eux : Héra, la femme de Zeus, est également sa soeur. Il place ses deux frères Poseidon et Hadès aux commandes des océans et des Enfers. De son autre soeur Perséphone, Zeus a une fille qui va épouser son oncle Hadès. Oedipe, ce n’était rien à côté...
Le panthéon grec subsiste avec la conquête Romaine. Ils vont simplement fusionner avec le panthéon du vainqueur, qui s’est largement inspiré de la Grèce pour l’élaboration de ses propres divinités : Zeus devient Jupiter, Poseidon devient Neptune, Hermès se nomme désormais Mercure...
Il faut souligner qu’en matière de religion, Rome était très tolérante. A la base, le romain primitif est à la limite de l’animisme : pour lui, tout objet possède une âme ou un principe qui s’y rattache. Dès lors, il lui incombe d’honorer ces principes. Quand Rome étends son empire en Grèce, il rattache les olympiens à son panthéon. En Egypte, les romains assimilent les dieux locaux aux leurs, même si pour la population locale les Dieux gardent leurs noms d’origine. Mithra, Cybèle, Esculape s’implantent sans difficulté dans la rue romaine. Le judaisme est lui toléré, mais les empereurs gardent un oeil dessus. Fait exceptionnel, le druidisme lui est pourchassé.
Les religions grecques, romaines et égyptiennes vont cependant disparaître aux alentours du IVè et du Vè siècle de notre ère. Si les religions hindoues et chinoises polythéistes subsistent, les religions européennes vont elles être victimes d’une révolution religieuse sans pareille : de multiples, les Dieux vont devenir Un et indivisible.
Yah était un dieu mineur. Il a sans doute fusionné avec Yahweh, pour devenir YHWH.
Dans la Bible, c’est à leur sortie d’Egypte, vers 1200 avant JC, que les Hébreux se voient révélé la véritable nature divine : Yahvé est unique et ne doit pas être représenté d’une quelconque façon. Il s’ensuit toute une série de péripéties ou au final, le peuple élu, purgé des éléments qui voulaient revenir à l’idolatrie, se voient attribuer une terre fertile à perpétuité par son Dieu.
La réalité historique est bien différente. La découverte en 1928 des ruines de la ville de Ougarit a livré aux archéologues des documents retraçant une histoire bien différente. Les tablettes d’écritures cunéiformes révèlent qu’un peuple local, sous l’influence à la fois de la religion mésopotamienne et de la religion égyptienne, a commencé à honorer le Dieu Yah (ou Yahweh) de façon plus intense que les autres Dieux. Yah est une divinité très ancienne. A Sumer, il était honoré sous le nom de Enki. Son nom et ses attributs se sont modifiés au cours du temps pour devenir Ea, puis Yah, Yahweh vers 1300 avant notre ère. 400 ans après, on trouve les premières traces du tétragramme YHWH, le véritable nom de Dieu selon les Juifs.
Le changement de nom s’est accompagné d’un changement rituel. D’un polythéisme, le peuple hébreux est passé au fil des siècles à une monolatrie ( service et prière au service d’un seul Dieu, tout en reconnaissant les autres ), puis au monothéisme, Yah ayant « absorbé » les autres divinités, la société considérant les anciens Dieux comme non pas étant faux, mais étant de simples varations, parties ou émanations de YHWH. Un hindouiste, à ce stade, parlerait d’avatars.
Dès lors, au IXè siècle, YHWH devient Seul et Unique. De plus, contrairement aux autres Dieux, il se suffit à lui-même : il est sa propre création, il est son tout. Il n’est pas né du chaos originel, il était ce chaos.
Le peuple hébreux va dès lors diffuser ce changement dans la région, au cours de longues guerres de conquêtes.
Il est très difficile de comprendre pourquoi et comment un tel changement a eu lieu. Selon Freud, le monothéisme est une philosophie qui pousse le croyant à réfréner des pensées ou des pulsions qu’il s’autorisait du temps du polythéisme. Ce qui est plausible, car tous les panthéons précédents avaient des divinités incarnant des aspects moins reluisants à nos yeux modernes : Bacchus et Kâma en font foi...
Faut-il y voir un désir profond de changement de société ? Un épiphénomène qui aurait tout aussi bien pu échouer et disparaître si une bataille s’était déroulée différemment ? Un mouvement de fond qui aurait ressurgi autrement et ailleurs ?
Nul ne le saura jamais. La seule chose certaine est que le peuple Juif impose sa vision de Dieu sur tout le proche-orient. La conquête romaine sera pour eux un moment plus que difficile, qui sera suivi par bien d’autres.
Il faut aussi garder à l’esprit que malgré une apparente unité, le peuple Juif présente en réalité de grandes disparités. Chaque Etat, chaque cité est un rival de son voisin. Sur le plan religieux, il existe de nombreux courants. La découverte en 1949 à Qumram des Manuscrits de la Mer Morte a permis de mettre en lumière une communauté, les Esseniens, qui par bien des aspects rappelle une autre secte qui un siècle plus tard fera beaucoup parler d’elle : le christianisme.
Deux mille ans durant, ces jarres vont garder en plutôt bon état des textes qui éclairent de façon nouvelle le judaïsme pré-chrétien.
Une encyclopédie ne suffirait pas à répertorier tout ce que l’on sait (ou croit savoir) au sujet de Jésus de Nazareth. Sa volonté de réformer un judaïsme qu’il estimait aller sur une fausse piste ne se termine pas avec sa mort aux alentours de l’an 33. Ses disciples poursuivent son oeuvre auprès des Juifs, mais Paul, un des apôtres, estime que la diffusion de la doctrine ne doit pas se limiter aux seuls Juifs. Il participe dès lors à la diffusion de l’enseignement de Jésus au sein des peuples barbares. L’ Empire Romain, qui n’est pas adversaire de nouvelles religions, s’oppose cependant à sa diffusion. Il faut dire que l’empereur ne goute pas le monothéisme exclusif professé : dès lors qu’un chrétien refuse de sacrifier aux Dieux romains ou à l’empereur, il est considéré comme nuisible à la société et dangereux pour la survie de l’Etat. Trois siècles de persécutions plus ou moins suivies et intenses vont s’ensuivre. La fragilisation de l’Empire face aux poussées barbares, la faiblesse du pouvoir impérial, incapable de stopper ou presque un cycle de morts violentes qui n’assurent pas une politique étrangère stable, et la lente diffusion au sein de la population du christianisme poussent finalement l’empereur Théodose à proclamer cette dernière religion d’Etat en 380.
Dès lors, et malgré les différentes crises et schismes qui vont avoir lieu par le suite, le christianisme se répand sur la Terre entière. Contrairement au Judaïsme, qui n’est pas expansionniste par nature, les chrétiens estiment de leur devoir de porter la Vraie Foi aux quatre coins du monde. Et de l’y imposer, fut-ce à coups de canons et de bûchers. Que ne ferait-on pas pour Dieu, qui est amour...
Ce n’est pas une première. Dans l’Antiquité déjà, une guerre perdue était fatale au panthéon local. Il se voyait détruit parfois, mais le plus souvent absorbé par le panthéon vainqueur. Les religions Inca et Aztèques en feront les frais. L’ Hindouisme et les religions chinoises elles peuvent compter sur un Etat fort, et/ou un sentiment national très puissant qui va pérenniser leurs religions malgré la colonisation britannique du XIXè siècle.
La seconde partie du premier millénaire voit enfin naître la troisième et dernière grande religion monothéiste. Au VIIè siècle, l’Islam ( qui signifie : soumission (à Dieu)) fait son apparition en Arabie.
Ce territoire, et surtout la ville de La Mecque, est à cette époque un centre de commerce important entre le proche-orient, l’occident et l’orient. La Mecque abrite le centre de caravanes le plus important du pays. Le brassage des populations impose une tolérance religieuse à toute épreuve. Le bien du commerce exige qu’aucune religion ne soit exclue. Les habitants y croisent donc des chrétiens, des juifs, des zoroastriens, ainsi bien entendu que les adeptes des Dieux locaux. A ce moment de son histoire, l’Arabie est largement polythéiste.
Le croissant de Lune rappelle selon certains l’importance de cet astre dans la détermination du calendrier musulman. Mais la Lune était aussi honorée comme divinité dans l’Arabie préislamique.
Mahomet, qui va fonder la religion musulmane (musulman signifie : celui qui se soumet), est issu d’une famille de commerçants. Il a donc été en contact avec un grand brassage de religions et de philosophies, d’autant plus qu’il a énormément voyagé en compagnie de son oncle. La tradition musulmane date la fondation de cette religion à l’an 610, année de la première manifestation de Gabriel.
L’islam trouve ses bases dans le judaïsme et le catholicisme : les Anciens et Nouveau Testaments sont considérés comme étant des livres saints, mais au message brouillé et falsifié par des siècles de copies mauvaises. Les prophètes et messies y sont reconnus (parfois sous un nom différent : Abraham devient Ibrahim pour les musulmans), mais Jésus y perd son statut de fils de Dieu. Cela empêche tout rapprochement avec le christianisme. Sa reconnaissance en tant que messie empêche lui le rapprochement avec le judaïsme. Les versets sont d’abord répandus oralement, puis mis par écrits vingt ans après la mort de Mahomet. Afin de ne pas renouveler les erreurs du passé, le Coran et les prières sont censés être écrits et prononcés en arabe uniquement, afin de ne rien changer au texte lors de la traduction. Dans la pratique, seule la prière l’est effectivement pour les plus croyants. Pour s’assurer une bonne diffusion dans la population locale, l’ Islam professe à ses croyants une promesse de justice sociale et divine. Cela ne peut que séduire les populations les plus pauvres, qui voient là un moyen d’échapper à la misère, si ce n’est dans la vie, du moins dans la mort. Six cent ans auparavant, les premiers missionnaires chrétiens avaient usé de la même méthode. Quand une méthode marche, pourquoi se priver ?
Mahomet est expulsé de la Mecque en 620, année 0 du calendrier musulman. Les marchands craignaient que l’exclusivité religieuse de l’Islam ne nuise au commerce à long terme. La ville sera reprise en 632.
Les élites arabes, et les peuples polythéistes, eux sont séduits par l’enseignement proposé : l’Islam institutionnalise une grande partie des pratiques sociales rituelles qui ont cours à cette époque. L’ Islam partage trois points communs avec le christianisme : une exclusivité totale du Dieu professé, une volonté expansionniste. L’empire musulman s’étend rapidement sur le proche-orient, se heurtant à l’est à l’Inde et à l’ouest à l’Atlantique, puis aux royaumes francs. L’âge d’or de l’empire se termine au IXè siècle quand les califats et émirats se proclament indépendants les uns des autres. La scission politique ne fait qu’illustrer la scission religieuse : l’émergence du sunnisme et du chiisme met fin à l’idée d’universalité de la religion musulmane. D’autres scissions interviendront au cours des siècles.
Le dernier point commun entre christianisme et islam, est le refus de donner un nom à son Dieu. Allah signifie simplement « Dieu » en langue arabe. Cette dépersonnalisation achève de donner une grandeur incommensurable à la divinité, qui est trop grande, trop puissante, trop différente de l’ Humanité pour avoir un nom compréhensible. Si dans la tradition arabe il est dit que Allah possède 99 noms, il s’agit en fait de paraphrases, illustrant un attribut divin. Les spécialistes y voient aussi un reliquat des divinités préislamiques qui subsistent dans ce flot d’épithètes.
Qu’une religion soit monothéiste ou polythéiste, elles ont toutes un point commun. Toutes nécessitent des lieux spécifiques et des personnes déterminées pour l’accomplissement des rites usuels ou extraordinaires. Temples et prêtres existent depuis l’origine, quel que soient les noms alors portés. Ces lieux sont établis par l’autorité religieuse du lieu. Leur mise en place nécessite cependant souvent un accord des autorités politiques. Cela tombe bien, car dès l’origine la religion a noué des liens très étroits avec le système dirigeant de chaque Etat.
Les premières sociétés organisées sont très liées à la religion, quel que soit le Dieu prié. Il n’y a pas de trace de ce que nous pourrions considérer comme étant des principes laïcs. Toute personne, toute famille prie. La religion est à ce moment un facteur de cohésion important : n’oublions pas que 3 000 ans avant notre ère, les connaissances scientifiques sont plus que fragmentaires. Rien ou presque ne permet d’expliquer tout ce qui est alors inconnu, et par là terrifiant. La prière, le recours à la protection divine est le seul recours. S’il a existé des incroyants, l’ Histoire n’en a pas gardé la trace : il est plus que probable que pour une civilisation qui croyait que sa survie dépendait du bon vouloir des Dieux et surtout de leur aptitude à bien les servir, le mécréant était une sérieuse menace pour le groupe. Son isolement, ou son élimination devenait nécessaire pour le bien-être du groupe. C’est pour cette raison que durant les trois premiers siècles de notre ère, le christianisme était pourchassé et découragé au sein de l’Empire Romain. Une religion qui rejetait les autres divinités n’était pas acceptable au sein de la société. Les défaites militaires contre les barbares, les mauvaises récoltes qui provoquaient les famines, les épidémies, tout cela était interprété comme étant une colère olympienne quand à la présence de ces dangereux adorateurs d’un Dieu unique.
Le roi, ou l’empereur, est alors légitimé par le fait que son pouvoir obéi aux volontés divines. Son pouvoir et son prestige étaient constamment menacés par une défaite contre une armée étrangère. C’est pour la population le signe que leur Dieu les abandonne, vexé pour telle ou telle raison. S’il n’y prends pas garde, le roi peut rapidement perdre sa couronne, voire sa vie.
Si le roi est alors le garant de la bienveillance divine, il n’est en général rien de plus. Exception notable, le pharaon, censé être une incarnation divine présente sur Terre. Son statut lui donne en plus du pouvoir politique le pouvoir religieux suprême. Il est censé être la seule personne à pouvoir effectuer les rites. Pour des raisons pratiques, il ne le fait qu’en de rares occasions, car il a la possibilité de déléguer cette possibilité à sa caste de prêtres.
Pendant presque toute l’histoire humaine, sur toute la planète, le religieux va être proche du politique, dans une relation symbiotique et équilibrée. Le chef dirige le peuple avec le secours du clergé, qui en retour bénéficie de largesses fiscales et monétaires pour l’entretien et la construction des temples, et la rémunération du clergé. Le chef politique fait attention à ce que le religieux n’empiète pas sur son terrain mais en retour, le religieux garde la haute main sur l’influence qu’il possède que le peuple. Cet équilibre qui semble précaire est en fait à tout épreuve. Et rarement mis à mal. L’Eglise tentera bien de mettre la main sur la moitié de l’Europe mais de nombreuses maladresses (comme la Donation de Constantin) lui feront admettre de ne pouvoir diriger effectivement qu’une bande de territoires au centre de l’Italie. Le Vatican, plus petit Etat du monde, en représente l’ultime vestige après l’unification de l’Italie au XIXè siècle.
Richelieu était destiné à une carrière militaire. Son frère entrant au monastère, il doit entrer à son tour dans les ordres pour garder un riche évêché au sein de la famille qui en tirait ses revenus principaux.
Cette imbrication entre le politique et le religieux est telle que dans les religions monothéistes, la dissidence religieuse est associée de fait à la dissidence politique. La naissance du protestantisme n’est appréciée ni par Rome, qui voit une menace sur son hégémonie des esprits, ni de la plupart des princes régnants. Qu’est ce qui pourrait empêcher celui qui s’avise de contester l’autorité du Pape de contester ensuite l’autorité du Roi ? Le XVIè siècle est le temps des premières grandes persécutions religieuses. Les grand royaumes occidentaux restent fidèles à Rome et pourchassent les réformés. Ces derniers ne peuvent que trouver asile au sein des principautés dont les princes se sont eux-même convertis aux thèses de Luther. Pour les récalcitrants, la Saint Barthélémy montre jusque ou le pouvoir royal est prêt à aller. L’arrivée imprévue et inopinée de Henri IV, prince protestant reconverti au catholicisme, calmera un temps les esprits.
L’influence religieuse sur le politique se fera sentir avec plus ou moins de force jusqu’en 1905, année ou en France les lois de séparation entre l’Eglise et l’ Etat est votée.
Privé de l’ éducation et de l’enseignement des jeunes, que l’Etat prends en charge, l’ Eglise perd sa principale zone d’influence. Dès lors, lentement mais surement, la pratique religieuse va baisser en France. Le nombre de croyants également, de façon drastique.
Cette sécularisation de la société est aussi provoquée par le développement scientifique. Les grands mystères de l’univers trouvent une explication rationnelle, et montrent en même temps que les explications bibliques ne tiennent pas debout. Voyant que le Livre Sacré se trompe manifestement sur bien des faits, le reste du Livre souffre dès lors d’un phénomène de méfiance, de rejet. Le zèle pontifical à entraver les découvertes scientifiques ne jouent pas non plus en sa faveur. L’exécution de Giordano Bruno, le procès fait à Galilée ont fait autant, voire plus de mal à l’Eglise que les lois de 1905. Le zèle actuel des créationnistes, chrétiens comme musulmans, ne peut que rebuter le croyant sincère.
On peut se demander alors pourquoi la religion reste aussi important pour bon nombre de personnes.
Un début de réponse peut se deviner si on se rappelle le fait qu’aucun scientifique, encore, n’est capable de répondre à la question la plus angoissante que se pose l’animal intelligent que nous sommes : y a-t-il quelque chose après la mort ? Et si oui, quoi ?
La peur de cette grande inconnue qu’est la mort reste le plus grand moteur qui pousse certains à continuer à aller dans un lieu de culte quelconque.
La longue Histoire déjà vécue par l’Humanité nous a au moins appris une chose : bien des religions qui ont existé, et qui en théorie étaient la condition même de notre existence, se sont effondrées. Leurs Dieux ont disparus, ou ils ont été fusionnés, récupérés, modifiés dans leurs noms et attributions. Pourtant, l’ Homme a toujours continué d’exister.
On peut donc en déduire que jusqu’ici, ces Dieux étaient faux. Les théologies enseignées erronées. Nul ne prie plus Zeus, Thor, Mercure, Isthar. Enki, lui, seul demeure. Les Hommes ont changé son nom en Ea, en Yah, puis en Yahweh, puis en YHWH. Puis simplement en Dieu, ou Allah. Il n’est cepedant pas seul en lice car nombreux sont ceux qui implorent Shiva. Ou Bouddah, Confucius. Sans parler des religions animistes ou totémiques.
Qui peut démontrer qu’une de ces entité soit la Vraie ? Ou une autre, inconnue encore ?
La chute des Dieux antique n’a pas signé la fin de l’Homme ou du monde. Comment dès lors être certain (ou ne pas l’être) que la chute de Dieu ou d’ Allah n’aura pas plus de répercussions que cela ?
Peut-on véritablement se baser sur les textes sacrés quand on sait que tous ont été porté à l’écrit parfois des siècles après leur Révélation, qui relève du mythique et non de l’historique ?
L’ Ancien testament est censé avoir commencé à être rédigé au VIIè siècle avant notre ère. Mais on sait que de larges pans sont en fait connus et écrits depuis Sumer : le livre de Noé n’est qu’une reprise d’ une partie de l’épopée de Gilgamesh.
Le Nouveau Testament est lui rédigé au mieux 60 ans après la mort de Jésus, qui n’a laissé aucun écrit. Et ce sont les Hommes, et personne d’autre, qui ont déterminé quels textes en faisaient partie.
La recension du Coran a débuté vingt ans après la mort de Mahomet. Pourquoi n’a-t-il pas lui-même rédigé ou fait rédiger les nouveaux commandements divins au fur et à mesure qu’ils lui parvenaient ? Pourquoi aussi le Coran est il présenté comme étant uniquement Vérité alors que nombres de sourates présentent des erreurs scientifiques flagrantes ? Ce reproche peu d’ailleurs aussi être fait à la Bible.
Selon le Coran, les montagnes sont immobiles. Pourtant la tectonique des plaques les meut de façon lente, mais certaine. Sans parler de l’érosion qui rabote inexorablement les plus hauts monts en petites collines.
Ces exemples sont parlants.
Ils montrent l’influence grandement, uniquement humaine sur ce qui est censé procéder du divin.
La seule chose qui soit certaine en ce monde, est que partout ou on regarde le sacré, on y voit au final la main de l’ Homme.
C’est l’ Homme qui définit un nom, qui édifie le temple. C’est l’Homme qui rejette, ou change, ou fait évoluer son ou ses Dieux. C’est l’ Homme qui détruit le temple rival, et qui met à bas les statues et les sanctuaires.
Dieu existe car l’ Homme l’a créé pour répondre à sa peur de la mort.
Et uniquement pour cela.
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