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Déjeuner DADVSI au ministère de la culture...

Cela a commencé jeudi, avec un certain Thomas Clément qui m’a écrit pour me parler d’un truc "urgent urgent". Je le rappelle, et l’info tombe : je vais être invité par Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, à déjeuner au ministère avec d’autres blogueurs ! Du coup, j’expédie les affaires courantes, et je me replonge dans les affres de DADVSI : en quoi ça me concerne, et ce que je lui reproche. Cela a donné l’ébauche de ce premier billet. J’ai le souvenir d’une première rencontre sur le sujet, où j’avais été pris de court sur le dossier, et où je m’étais promis de ne pas refaire cette erreur (enfin, pas autant ;-).

Ce matin donc, tout excité, j’enfile mon beau costume, celui que j’avais acheté pour passer des entretiens d’embauche au temps pas si lointain où j’étais chômeur, et je me dirige en métro vers le 3 rue de Valois (Palais Royal). Là, nous rencontrons les différents membres du cabinet (je retrouve Marc Hérubel), et des blogueurs, parmi lesquels je retrouve Loïc Le Meur, Cyril Fievet (que je rencontrais pour la première fois, tout comme l’excellent Bertrand Lemaire), ainsi que Thomas Clément, Vincent Glad, et Fafa[1]. Maître Eolas figurait sur la liste mais n’a pas daigné se montrer : pouvoir dire qu’on a osé poser un lapin à un ministre, ça assure ;-) [2]. Le ministre nous rejoint quelques minutes plus tard, et la conversation commence autour de champagne (enfin, un perrier, pour moi), bon enfant. On passe à table, et Loïc et Bertrand Lemaire sortent tous deux leur matériel audio et lancent de concert un : J’enregistre, ça ne dérange personne ?

(NDLR : l’enregistrement audio de Loïc Le Meur est disponible ici au format MP3 sous cette Licence Creative Commons).

Et j’ajoute : De toutes façon, ça sera sur Internet cette après-midi (sur le ton de : Ne vous en faites pas, ça ne sortira pas d’Internet ;-). Flottement dans l’assistance, on s’assoit, et le ministre explique qu’il faudra qu’il se surveille un peu plus, mais que ça ne pose pas de problème. Mais là, on sent bien qu’il vient de "switcher en mode discours", et il part dans une tirade sur le plaisir qu’il a à nous recevoir bla bla bla... Je redoute la langue de bois, mais cela finira par se décontracter pour aborder le vif du sujet, à savoir le projet de loi DADVSI, ou plutôt la réception un peu fraîche d’icelui par les internautes en général, et les blogueurs en particulier.

Mais qu’est-ce qu’on fait là ?

C’est à ce moment précis que je me demande pourquoi nous avons été invités, et pourquoi cette sélection de blogueurs ? Que peut-on faire dans ce projet ? Comment peut-on l’influencer ? En a-t-on les compétences, le temps et l’énergie, ou est-ce seulement une opération de communication, de contrôle de dégâts médiatiques, voire de récupération de la part du ministère, comme me l’ont soufflé ceux à qui j’ai parlé de ce déjeuner avant d’y aller ? C’est sûrement un peu de tout cela, mais cela reste néanmoins très positif. Je m’explique :

Le texte de loi est effroyablement touffu, et demande un investissement en temps et en compétences, pour en saisir le fond et l’esprit, qui dépasse sensiblement le temps que les blogueurs présents peuvent y consacrer. Moi y compris[3]. De fait, il s’agit en grande partie d’une opération de communication, mais ce n’est pas négatif pour autant. Comme Bertrand Lemaire le souligne, il est positif d’avoir une consultation avec la société civile, même si elle est trop tardive.

C’est aussi une bonne chose au-delà des relations publiques, car c’est l’occasion de nouer un dialogue, au plus haut niveau, pour faire avancer le projet de loi dans la bonne direction. Ainsi, Bertrand Lemaire et moi sommes convenus, avec les gens du cabinet, de nous revoir, pour aborder les points précis de la loi, et tenter de trouver une solution.

Pourtant, on pourra regretter l’absence de blogueurs compétents et ayant un avis mesuré sur la question. Je pense en particulier à Formats-Ouverts.org, qui est très impliqué dans les logiciels libres et l’un des spécialistes de l’interopérabilité (outre qu’il est un bon pédagogue), cf. par exemple, sa chronologie de DADVSI. Il n’était pas là. Erreur ou omission ?

Mais de quoi a-t-on parlé ?

Ou plutôt, de quoi ai-je parlé ?Bertrand Lemaire a un long compte rendu et Cyril Fievet aussi : je vous encourage à aller les lire pour voir ce qu’ils ont retenu de cette longue entrevue.

La forme du projet

Le passage en urgence, la veille de Noël. Si ce n’était pas pour faire passer furtivement une loi impopulaire, ça en avait bigrement l’air. Le ministre nous a garanti qu’il n’avait guère le choix du calendrier, la Culture étant souvent considérée comme non prioritaire. J’avoue ma totale incompétence dans ce domaine pour valider les propos du ministre sur ce sujet.

La présence de la FNAC et de Virgin au Palais Bourbon, juste avant les débats, et remettant des bons d’achat aux députés. Très maladroit. Le ministre s’est emporté à cette occasion, fustigeant les saloperies politiques qu’on voulait lui faire subir. Mouais. Il n’en reste pas moins que ces deux acteurs privés ne peuvent montrer qu’une partie du problème. Il aurait fallu que les députés voient comment un CD de marque EMI, avec la nouvelle protection Copy Control, n’est, par exemple, pas lisible sur un iPod via Windows, à cause des DRM... ou comment on ne peut pas lire ses fichiers AAC achetés sur l’iTMS après avoir migré sous Linux (et des centaines d’autres exemples dont j’ai déjà parlé).

Problème de la représentativité du libre, et de la présence des lobbies

J’ai abordé le fait que le législateur, quand il prépare la loi, doit s’entourer de spécialistes du domaine, très souvent issus de l’industrie. En l’occurrence, on a pu voir l’influence tangible des majors du disque et des grands éditeurs de logiciels que je ne nommerai pas[4]. Forcément, ils influencent le législateur directement ou pas (via des associations type BSA ou des cabinets d’avocats). Les enjeux sont phénoménaux, les moyens sont en conséquence, et la tentation est grande. Bref, c’est humain (même si c’est parfois détestable). Pour le législateur, toute la difficulté consiste à réunir des conseillers de tous bords. En particulier, il aurait fallu une présence plus constante et plus forte du côté libre. Malheureusement, la façon dont l’industrie du libre est structurée (en l’occurrence, elle l’est bien peu pour l’instant), et compte tenu de ses moyens financiers, c’est une mission très difficile à assumer. (D’où l’importance d’EUCD.info et des dons qui y sont faits[5]). Le manque de recours aux acteurs du logiciel libre a donné ce texte (au moins dans sa première mouture) dont le libre aurait été victime. Ma première rencontre avec Marc Hérubel est de ce point de vue-là édifiante, compte tenu des difficultés à discuter technique, logiciel libre, intention des auteurs, capacité des logiciels à contourner des mesures techniques. Voir mon compte rendu de réunion à Matignon.

Problème de la lecture des DVD

J’ai parlé du problème de protection des DVD (cette maudite notion de région) qui fait que, quand vous êtes équipé d’un PC sous Linux et d’un DVD acheté légalement, vous ne pouvez pas le lire, à moins d’avoir recours à des contorsions techniques totalement impossibles à réaliser pour le commun des mortels, et qui en outre sont potentiellement illégales. En effet, les DVD sont protégés par un mécanisme de chiffrement appelé CSS, et il faut installer une bibliothèque de décryptage pour lire le DVD dont on est propriétaire ! (Cela a donné lieu à des procès à l’encontre de l’auteur de ce logiciel, DeCSS). Comme je le disais au ministre, un PC qui ne peut pas lire un DVD, c’est un peu comme un très gros presse papier, mais en beaucoup plus cher ;-) (oui, j’avoue avoir été un peu (trop ?) passionné dans mon explication).

L’opinion du ministre

Le ministre a émis des avis intéressants. En voici quelques-uns, de mémoire. Les plus acharnés des lecteurs du Standblog iront chez Bertrand Lemaire télécharger l’enregistrement pour le retranscrire. Pour ma part, non merci, je suis sur le dossier depuis ce matin, soit 18 heures d’affilée :-)

RDDV déclare (lors de l’apéritif, donc pas enregistré) : C’est l’une des premières fois qu’un projet de loi est autant discuté sur Internet. Bertrand Lemaire et moi-même avons rétorqué de conserve que le projet de loi sur les brevets logiciels (certes à un niveau européen et sur un sujet moins concret pour la plupart des gens) avait fait déjà beaucoup de bruit, et avait été l’objet d’une campagne massive des citoyens sur la toile.

RDDV laisse entendre que la licence globale va disparaître. Cela ne m’étonne pas, vu la façon dont elle a été votée, indépendamment de son intérêt et de son éventuelle efficacité.

RDDV déclare qu’il ne souhaite pas tuer, ni même pénaliser le logiciel libre, ce qui me semble exact. L’intention n’était pas manifestée au Ministère. Par contre, vue l’influence de "conseillers" issus de l’industrie ayant un parti pris très net en faveur du logiciel propriétaire, on a obtenu un texte de loi très nocif au logiciel libre sans, encore une fois, que cela soit désiré par le ministère.

Conclusion

La situation est complexe, les influences nombreuses, et les enjeux, énormes. On parle de culture, d’argent des majors, d’argent des éditeurs de logiciels, on parie sur l’avenir de géants des médias. La pression est phénoménale, comme les sommes en jeu. En face, il y a l’accès à la culture pour les Français. Ce n’est pas rien. J’espère pouvoir participer de façon constructive à ces prochaines réunions au ministère, pour travailler concrètement sur le texte et faire avancer les choses dans le bon sens. Je ne suis pas juriste, mais je comprends bien l’informatique, les problèmes de formats et les enjeux de l’intéropérabilité. Je pense être un bon pédagogue. Si cette énergie et ce savoir-faire peuvent être employés à bon escient, alors, cette rencontre n’aura pas été vaine. Sinon, ce déjeuner n’aura été qu’une opération de communication du ministère, et je regretterai d’y être allé. On saura le fin mot de l’histoire quand la loi sera passée. Alors, on pourra juger sur pièce.

Notes

[1] Il y a même des photos pour faire bonne mesure : une et deux et trois. Notons que ces photos ont été réalisées à la demande des blogueurs, et prises par l’attachée de presse du ministre, et non pas par un quelconque photographe officiel à la demande du ministre.

[2] Sérieusement, je comprends que maître Eolas ait pu être retenu à une audience, qui est indéniablement prioritaire sur un déjeuner d’agrément, aussi prestigieux soit-il. Mise à jour : Maître Eolas n’a pas pu être joint directement par téléphone, mais on a espéré jusqu’au dernier moment qu’il viendrait, c’est pour cette raison que son couvert l’attendait, m’informe Thomas Clément.

[3] On notera que Maître Eolas, brillant professionnel s’il en est, dit avoir fait le tour du sujet en 20 minutes. Moi, en 20 minutes, j’ai le temps de désespérer, de prendre deux cachets d’aspirine, et de décider de m’y remettre le lendemain !

[4] Mais pour vous faire plaisir, voici deux indices : "pomme" et "fenêtres".

[5] J’arrête là, ou vous allez croire que j’en veux à votre argent....


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4 réactions à cet article    


  • (---.---.110.55) 8 janvier 2006 15:54

    DANGER - DADVSI [DROITS D’AUTEUR ET DROITS VOISINS DANS LA SOCIETE DE L’INFORMATION]

    PÉTITION

    Pétition demandant le retrait de l’ordre du jour parlementaire du projet de loi DADVSI (Droits d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information)

    Texte de la pétition

    Signer la pétition sur le site

    Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, Le gouvernement a déclaré l’urgence sur le projet de loi DADVSI (Droits d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information - n°1206, http://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/031206.asp), qui devrait transposer la directive EUCD (European Union Copyright Directive - 2001/29CE).

    Ce projet de loi doit être présenté à l’Assemblée Nationale au cours de deux séances de nuit rapprochées, à la fin du mois de décembre 2005. Au vu de l’importance des enjeux de ce texte sur la vie quotidienne de millions de citoyens et d’utilisateurs de données numériques, des conséquences sociales, technologiques, économiques et géo-stratégiques qu’il entraînera, et des conditions de sa rédaction, un tel délai est manifestement insuffisant.

    Depuis près de trois ans les membres de l’initiative EUCD.INFO (http://eucd.info), ainsi que de nombreuses associations, informent, rencontrent et débattent pour expliquer les graves conséquences qui pourraient découler d’une transposition a minima de la directive EUCD en droit français. Or le projet de loi 1206 va bien plus loin que cette directive.

    Par ailleurs, les débats autour de ce texte ont été étouffés sous couvert d’expertise. Les avis contraires aux intérêts des multinationales ont été censurés. Certaines parties comme les PME françaises du secteur des TICS, les auteurs et les utilisateurs de logiciels libres, les internautes ou les bibliothécaires n’ont pas pu contribuer au débat dans les instances de décision. Leurs demandes ont été ignorées et celles soutenues par les représentants d’artistes et les associations de consommateurs ont été rejetées sans réel examen de leur pertinence. Il risque d’en être de même si le projet de loi est examiné en urgence par les parlementaires.

    Par cette pétition, je vous demande donc solennellement de :

    -  retirer le projet de loi n° 1206 sur le droit d’auteur de l’ordre du jour parlementaire ;

    -  organiser un vrai débat entre les parties concernées visant à trouver un réel équilibre, et où les associations d’auteurs et d’utilisateurs de logiciels libres, de bibliothécaires, et d’internautes pourront réellement participer ;

    - faire en sorte que les demandes notamment de l’initiative EUCD.INFO et de l’interassociation des archivistes, bibliothécaires et documentalistes (http://droitauteur.levillage.org) soient prises en compte.

    En signant cette pétition, je m’associe aux nombreuses organisations qui s’opposent clairement aux dispositions de ce projet de loi et aux conditions de son élaboration.

    http://eucd.info/petitions/index.php?petition=2

    -  Source/ LES VERTS : http://lesverts.fr/article.php3?id_article=2514

    Le DADvSI pour les nuls (source : citron Vert) : http://www.framasoft.net/article4243.html


    • (---.---.162.15) 9 janvier 2006 13:56

      Ce dialogue est assurément une bonne chose. Je m’interroge toutefois sur ses chances de réussite tant les deux camps ont des orientations incompatibles.

      D’un côté les logiciels libres affichent la volonté de transparence et de maîtrise possible de son système par quiconque. D’un autre côté les détenteurs de droits d’auteurs veulent contrôler l’utilisation de leurs fichiers et ne peuvent s’appuyer que sur des systèmes fermés et propriétaires cachant hermétiquement les accès à des données qui ne doivent pas être contrôlées par quiconque. D’un côté la transparence, de l’autre le secret cadenassé. Ou transposé, d’un côté la nature libre et offerte à tous, de l’autre les OGM aux semences contrôlées.

      Un compromis ne m’apparaît pas possible. Par contre, si le ministre fait vraiment preuve d’ouverture d’esprit, je vous souhaite de réussir à le convaincre.

      Am.


      • (---.---.162.15) 9 janvier 2006 18:36

        En complément à ce que je viens d’écrire, je vous invite à lire cet article.

        Am.


        • Pat (---.---.196.74) 10 janvier 2006 12:38

          Si seulement ça pouvait leur faire promouvoir autre chose que de la merde ...

          En attendant on se coltine les starac et autre saloperies ...

          Quelqu’un peut il me dire pourquoi n’ya t-il plus de grand groupes mythiques comme les Floyd, Genesis , U2, Supertramp ?

          Simplement parceque la musique, comme pas mal d’autres choses à été sacrifiée par les Majors sur l’autel de la rentabilité maximum.

          Vivement qu ’on ai leur peau, ça fait cinquante ans qu’ils vivent sur le dos des artiste en ponctionant 80 % du prix d’un disque !!! Il y a trente ans ils apportaient un réel plus avec la production du support et la distribution etc, aujourd’hui nous n’avons plus besoin d’eux, il est logique qu’ils meurent et ce le plus vite possible.

          Et le P2P peut nous aider pour cela !

          Les artistes eux, doivent trouver un autre moyen de se faire rénumérer, je sais c’est dur, mais au final ils seront sûrement mieux lotis qu’aujourd’hui...

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