Délinquance financière : Kering et Pinault au-dessus des lois ?
Les caisses de l’État sont vides, expliquent les hommes politiques depuis dix ans. L’évasion fiscale est un fléau, expliquent ces mêmes hommes politiques depuis plus longtemps encore. Les deux constats sont vrais, mais alors comment expliquer que la société Kering – dont le chiffre d’affaires est de 15,4 milliards d’euros en 2017 – continue ses opérations d’évasion fiscale sans être inquiétée ? Malgré les enquêtes de Mediapart et de Cash Investigation ? Pourquoi la justice française se désintéresse d’une affaire qui pèse 2,5 milliards d’euros ?
Il y a la délinquance des voyous et il y a la délinquance en col blanc. La première est condamnée avec fermeté par les pouvoirs publics, la seconde met mal à l’aise les premiers cercles du pouvoir. Et plus on monte, plus le malaise prend la forme d’un aveuglement, ou d’une paralysie. L’affaire Kering-Gucci est symptomatique d’un pouvoir qui se plaint de la fraude fiscale, mais qui ne fait rien pour l’arrêter alors même qu’on lui sert les preuves d’un montage illégal sur un plateau d’argent.
A l’origine, il y a le rachat de Gucci par Kering en 1999. Gucci bénéficiait alors d’un accord fiscal avantageux avec le canton suisse du Tessin qui limitait son taux d’imposition sur les sociétés à 8 %. Une aubaine quand la même fiscalité est de 25 % en Italie ! Un rêve pour Kering, soumis à une imposition française de l’ordre de 33 %. Pour les cols blancs de la famille Pinault, du rêve à la réalité, il n’y a qu’un pas que sont chargés de rendre possible des professionnels des montages fiscaux.
Et le scandale éclate en 2017 (déjà !) lorsque Mediapart et le Consortium européen des journalistes d’investigation découvrent un « travail d’orfèvre » réalisé par la maison de luxe italienne Gucci et sa maison-mère Kering. Les journalistes d’investigation n’ont pas mis la main sur la dernière collection encore secrète. Ils ont trouvé bien mieux : un système de montages financiers destiné à échapper à l’impôt dans plusieurs pays européens. Un montage des plus lucratifs puisque 2,5 milliards d’euros auraient ainsi échappé aux fiscs italien et français depuis 2002.
En vérité, la plateforme située en Suisse est une plaque tournante pour Gucci. Et va devenir le cœur de la logistique et surtout de la facturation des ventes pour une kyrielle de marques de la maison (Saint Laurent, Balenciaga, Bottega Veneta, Stella McCartney, Alexander McQueen). Autant de marques qui font la pluie et le beau temps dans le luxe et qui ont une soudaine attirance pour le Tessin. Luxury Goods International (LGI), la filiale de Kering qui possède bien un entrepôt dans ce paradis pour riches, « est un hub stratégique majeur notamment pour la distribution et la logistique centralisées des marques de Kering », à en croire la direction du groupe. Le problème est que cette société « encaisse aussi les ventes en gros aux magasins et l’écrasante majorité des recettes, donc des profits » nous dit Mediapart.
Alors que fait la justice française ?! Elle prend son temps. Le Parquet national financier (PNF) n’a pas réagi. Aucune enquête n’est en cours officiellement. C’est dommage puisque Eliane Houlette, à la tête du PNF, et ses magistrats de choc comme Jean-Luc Blachon et Ida Chafaï se sont penchés sur plusieurs affaires bien embarrassantes. Dassault, Balkany et même Cahuzac (alors ministre au faîte de sa gloire) n’ont pas résisté aux enquêtes. Pour Kering et Pinault, c’est silence radio. Un silence dont ne peuvent plus se satisfaire les citoyens qui ont décidé d’interpeller le PNF sur les agissements de Kering via une pétition lancée sur change.org il y a quinze jours et qui a déjà reçu plus de 16 000 signatures.
Il faut rappeler quand même que les agissements de Gucci (filiale la plus rentable de Kering) ont été confirmés par une enquête de Cash Investigation diffusée il y a 1 mois à peine. Une émission qui montre que les 600 employés de la plateforme suisse ont une productivité extraordinaire puisqu’ils génèrent 70 % des profits de Kering (soit la bagatelle de 900 millions d’euros). On peut se demander comment travaillent les plus de 26 000 autres employés du groupe qui ne génèrent que 30 % des recettes…
Alors que fait la justice française ?! La justice italienne s’est saisie de l’affaire il y a plusieurs mois et a déjà trouvé que chez Gucci-Kering, les montages ne concernaient pas la seule logistique. Ainsi le patron de Gucci et une vingtaine de dirigeants ont officiellement élu domicile en Suisse, non loin de la frontière italienne. Un lieu de villégiature qui permet au riche patron de Gucci (salaire annuel de huit millions d’euros) de n’être taxé qu’à 4 %. Un salaire versé par une société écran basée au Luxembourg où les cotisations sociales ne dépassent pas 0,5 %...
Décidément, les artificiers de Kering ont pensé à tout. Un détail leur a quand même échappé. Il est bizarre que Marco Bizzarri, le patron de Gucci, soit capable de résider en Suisse tout en travaillant tous les jours à Milan où il dispose d’un fabuleux penthouse. La justice italienne soupçonne fortement une embrouille à la résidence fiscale qui se ferait encore une fois sur le dos du fisc italien.
Alors que fait la justice française ?! La justice fiscale doit exister en France, surtout lorsque ce sont les moins nantis qui se voient exiger les plus gros efforts. La délinquance financière menace la solidarité nationale. Les milliards cachés de Kering feraient beaucoup de bien au budget de l’État. A titre d’exemple : avec 2,5 milliards d'euros, on peut construire pas moins de 12 hôpitaux !
Il est temps que le Parquet se saisisse de cette affaire qui entretient notre défiance à l’égard des élites, et fait perdurer des « privilèges », que la République, à sa création, avait pourtant voulu abolir pour de bon.
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