Démocratie représentative : Un oxymore ?
L'élection Législative partielle de la 3ème circonscription du Lot et Garonne des 16 et 23 juin est exemplaire des maux dont souffre notre système de représentation politique. La démocratie représentative est à l’agonie dans les pays occidentaux. Les oligarchies, le diktat du « marché » , les experts et technocrates en tout genre ont eu raison des velléités réformistes de nos représentants politiques. La corruption, les pressions des lobbys, détournent à leur profit l’action des hommes politiques. La représentation parlementaire ne représente plus le peuple. Elle est sous le joug des groupes de pressions qui agissent dans l’ombre. ( 1 )
Notre système démocratique a été dévoyé. Le réformer est une impérieuse nécessité pour redonner la parole au citoyen.
L' ÉLECTION DE LA 3ème CIRCONSCRIPTION DU LOT ET GARONNE : EXEMPLAIRE !
Tout d'abord le sortant : Jérome Cahuzac, cumulard, fraudeur, sans vergogne, avec une libido dominandi démesurée ( celle qui procède de la passion de posséder toujours plus et de dominer - D.R. Dufour ), grisé par sa réussite et sa capacité de dissimulation, il s'est pris le pied dans le tapis et a dû démissionné pour les raisons que l'on sait. Sa biographie (2) montre combien on peut trahir et détourner à des fins personnelles la mission que le vote populaire confie et, sans vergogne, tenir un double discours.
Ensuite le gagnant de l'élection du 23 juin, Jean Louis Costes, maire de Fumel et conseiller général, est élu avec 12,5 % des inscrits au premier tour, à la limite du seuil pour se maintenir au 2ème tour, et 24 % des inscrits au 2° tour avec 7,5 % des inscrits qui se sont déplacés pour voter blanc ou nul. Mal élu, il est déjà à Paris pour jouir des privilèges que lui confère son mandat de député.
Les grands perdants se sont encore les électeurs, 45 % de ceux qui se sont déplacés au 1er tour ont "mal voté" puisque leur candidats sont éliminés dès le 16 juin, ensuite si certains se réjouissent de leur choix, certains risquent fort de déchanter rapidement devant l'incapacité de leur nouvel élu de représenter leur opinion à l'assemblée.
Reconnaître tous les choix des votants dans leur ordre d'importance éviterait ce jeu de massacre où on ne vote plus pour des idées, un programme mais contre un homme, contre un système. Le vote pour les candidats du Front National se nourrit de cette attitude de l'électorat.
Pour sortir de ce fiasco électoral, il faut commencer par trouver un meilleur mode de représentation politique. L'histoire, nous révèle qu'il existe d'autres manières de faire. Sortons les de l'oubli pour en débattre.
DE LA DÉMOCRATIE DANS LA GRECE ANTIQUE, DE TOCQUEVILLE A CASTORIADIS.
1° La démocratie chez les Grecs et le tirage au sort.
L’article « La Protodémocratie athénienne » de Bertrand Rouziès-Léonardi paru le 4 janvier 2013 sur le blog de Paul Jorion présente les principes de la démocratie athénienne :
« La protodémocratie athénienne (bien connue en grande partie grâce à Aristote) reposait sur un principe intangible, qu’illustre parfaitement la formule de Lincoln : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Le peuple était toujours à la manœuvre et ne déléguait à l’exécutif que les tâches qu’il ne pouvait effectuer lui-même. Ce principe était garanti par l’isonomia, l’égalité devant la loi, l’isokratia, l’égalité des pouvoirs, et l’isêgoria, l’égalité de la parole. Était citoyen tout homme libre âgé de plus de vingt ans. L’Ekklesia, l’assemblée démocratique, exigeait un quorum de 6.000 citoyens, mais ils pouvaient être plus nombreux. Elle se réunissait tous les neuf jours en moyenne. […] L’Ekklesia n’était pas une pétaudière. Elle suivait un ordre du jour strict élaboré par le Conseil des Cinq-cents (la Boulê). Les cinq cent bouleutes, cinquante par tribu, étaient tirés au sort à l’aide d’une machine, le klêrôtêrion ,parmi les citoyens volontaires ; […] Il y avait une présidence de l’État athénien, qui durait vingt-quatre heures. Le président ou épistate était tiré au sort parmi les cinquante prytanes du groupe tribal entré en fonction (un groupe relayait l’autre tous les trente-six jours). Chaque citoyen était susceptible de devenir un jour président. Les membres du tribunal du peuple, l’Héliée, se recrutaient également par tirage au sort, toujours parmi des volontaires.
Les trois pouvoirs, le pouvoir législatif (l’Ekklesia), le pouvoir exécutif (la Boulê) et le pouvoir judiciaire (l’Héliée), étaient séparés. Montesquieu s’en est souvenu dans L’Esprit des lois (1748). La cooptation de l’un à l’autre était rendue impossible par le tirage au sort […]
La démocratie athénienne encourageait l’amateurisme et se donnait les moyens de le conserver. La procédure de l’ostracisme (d’après le morceau de poterie, l’ostrakon, sur lequel on inscrivait le nom du citoyen à exiler) était lancée dès lors qu’un citoyen soupçonnait un autre citoyen riche et charismatique de vouloir tirer avantage de sa position pour tenter un coup de force.[…]
Ainsi le tirage au sort, parmi les citoyens, de leurs représentants était un des grands principes du mode de représentation en Grèce. Les jurys populaires des tribunaux d'assises sont un exemple de ce mode de représentation par tirage au sort.
2°. Dans "De la démocratie en Amérique", Tocqueville a écrit des lignes formidables sur l'importance pédagogique des jurys populaires tirés au sort :
« Le jury est donc avant tout une institution politique.
J'entends par jury un certain nombre de citoyens pris au hasard et revêtus momentanément du droit de juger.
Le jury, et surtout le jury civil sert à donner une partie des habitudes du juge ; et ces habitudes sont précisément celles qui préparent le mieux le peuple à être libre.Il répand dans toutes les classes le respect pour la chose jugée et l'idée du droit.Ôtez ces deux choses et l'amour de l'indépendance ne sera plus qu'une passion destructive. Il enseigne aux hommes la pratique de l'équité. Chacun, en jugeant son voisin, pense qu'il pourra être jugé à son tour.Le jury apprend à chaque homme à ne pas reculer devant la responsabilité de ses propres actes ; disposition virile, sans laquelle il n'y a pas de vertu politique.
(...)
En forçant les hommes à s'occuper d'autre chose que de leurs propres affaires, il combat l'égoïsme individuel, qui est comme la rouille des sociétés. »
3° La démocratie selon Castoriadis dans « La cité et les lois »
« Il s'agit du pouvoir du peuple et non celui de ses représentants - l'idée de représentation politique, spécifique de la société et de l'aliénation d'aujourd'hui, est là totalement absente ; ensuite, le peuple ne saurait être remplacé par les experts, qui sont certes reconnus comme tels dans leur domaine respectif, mais sans qu’ils puissent prétendre à une expertise politique générale, qui n’existe pas : il n’y a pas de science de la politique ou du gouvernement ; enfin, il s'agit bel et bien de la communauté politique et non d'un État au sens moderne du terme, séparé de la société, qui lui fait face et la gouverne. »
4° . Citons Etienne Chouard, dans un entretien dans « La France Debout » N°2 Déc.2012 :
" Le désengagement civique provient de ce que les citoyens se rendent compte de l'escroquerie : la "démocratie représentative " est un oxymore. (...) Toute élection d'un petit nombre est pour le plus grand nombre un renoncement à la politique et une source d'apathie, qui doit être équilibrée par des assemblées tirées au sort.(...) Lorsque les citoyens sentent enfin que ce qu'ils font est important, ils reprennent goût à la vie politique, comme en 2005. "
Si l'idéal serait la désignation de tous les représentants du peuple par tirage au sort pour un seul mandat, parmi les citoyens également éduqués, on se doit d'envisager des mesures transitoires et urgentes pour redonner la parole au peuple.
QUELQUES MESURES TRANSITOIRES POUR RÉANIMER LA DÉMOCRATIE
On se risque à quelques propositions :
- L'idéal n'étant pas pour demain, il faudrait opter pour un système moins injuste que le vote actuel permettant d'agréger au mieux les préférences individuelles en choix collectifs. Il y a deux siècles déjà, Condorcet avait proposé une méthode compliquée à l'époque mais facilement réalisable aujourd'hui avec l'aide de l'informatique. Le principe est de voter en hiérarchisant les candidats et en attribuant un poids différent à chaque rang. On est capable aujourd'hui de classer les chevaux au tiercé le dimanche et d'avoir les résultats instantanément après la course, pourquoi ne pas inviter le citoyen en lui demandant de préciser ses choix par une réflexion impliquant la hiérarchisation de ses préférences sans exclusion. Enfin il ne serait moins souvent nécessaire d'organiser 2 tours, l'élu étant celui qui obtient le plus de points dès le 1er tour ; avec la pondération il serait plus facile d'obtenir 50 % des points exprimés. Système plus juste, il n' aurait pas permis à Jacques Chirac d'être élu Président de la République avec seulement 19.88 % de partisans parmi les suffrages exprimés, ni à Georges Bush d'être élu avec une minorité de voix au niveau national en 2000. ( 3 )
- Une deuxième mesure à prendre est le respect des principes de non-cumul des mandats et de non-rééligibilité. afin que le débat politique et l'exercice des mandats ne soit pas préempté par un petits nombre qui très vite, une fois installés, sont dans la connivence.
- Enfin il est nécessaire de diminuer le nombre de parlementaires et de représentants dans toutes les assemblées, tout en réservant ou en ajoutant un nombre de sièges proportionnels au nombre de votes blancs qui doivent aussi être pris en compte.
- Tout élu doit pouvoir être révoqué par la justice ou par un référendum d’initiative populaire.
- Le rôle des partis politique est aussi à revoir. Le spectacle affligeant de la guerre des chefs à l’UMP aujourd’hui, hier au P.S., révèle la dégénérescence du combat politique. De débats pour des idées, pour un programme politique on est passé à une guerre des ambitions et des égos pour assurer à soi-même et à son clan les bénéfices et privilèges que le pouvoir apporte. Les grands partis politiques sont réduit à n'être que des machines à élire ceux qu'ils ont bien voulu choisir. Il faudra redonner aux partis politiques leur rôle dans le débat d'idée et ils devront être des forces de proposition, porté ensuite par des candidats tirés au sort dans un collège de partisans.
- Pour en finir avec les connivences et limiter l'action des lobbys, comme mesure transitoire, il faut permettre l’exercice de la vigilance des citoyens en proposant la présence dans chaque institution, comité exécutif, conseil d’administration, conseil de surveillance, commissions parlementaires, etc…d'un nombre de citoyens à établir, désignés par tirage au sort . Par exemple au Conseil Constitutionnel où les anciens Présidents de la République n'ont rien à y faire, au côté des membres désignés par les divers pouvoirs, des citoyens tirés au sort dont le mandat est renouvelé chaque année doivent y avoir leur place. De même dans le conseil d’administration d’une entreprise la présence d’employés tirés au sort permettrait de s’assurer qu’aucun débat ne reste entre soi, dans la connivence des élus.
Ces quelques propositions discutables et à compléter, permettraient de redonner l'envie aux citoyens de participer à la chose publique, de limiter l'emprise des experts sur la politique et la conduite des affaires, de juguler les risques de corruption et d'enrichissement illicite.
Il reste aux citoyens de trouver les moyens de les imposer, face à la caste des élus qui n'abandonneront pas facilement leurs privilèges comme ils l'ont révélé lors du vote de la loi sur le patrimoine des élus, suite à l'affaire Cahuzac.
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( 1) Se souvenir toujours de l'attitude grotesque de Santini , député de la circonscription des cigares, et son " dégagez ! " envers la journaliste Elise Lucet dans l'émission "Cash Investigation" sur la fraude fiscale. C'est du style " casse toi pov'con" du Président de la République des riches.
(2 ) député de 1997 à 2002 puis de 2007 à 2012, Conseiller général de 1998 à 2001, maire et président de la communauté de commune de 2001 à 2012, Président de la commission des finances de 2010 à 2012, Ministre du Budget de mai 2012 à mars 2013. Chirurgien, avec son épouse, il ouvre, en 1990, une clinique d'implants capillaires, il est condamné pour travail dissimulé d' une femme de ménage payé 250€ par mois pour 40 h de travail par semaine. En 1993 il crée un cabinet conseil au service de l'industrie pharmaceutique qu'il le rémunère grassement.Propriétaire d'un vaste appartement (Av. de Breteuil, VII eème Arr. Paris ) Amateur de cigares ( lui aussi ), il collectionne les montres de luxe ( encore un !). Il a des liens avec des amis d'extrême droite du GUD qui ont avec lui des activités financières douteuses. ( Voir l'article du Monde du 3 avril 2013) Il est contraint de démissionner de ses mandats après la révélation de l'existence de comptes à l'étranger. Son frère Antoine Cahuzac, directeur général d'EDF Énergies Nouvelles10 et ancien président du directoire d'HSBC Private Bank France.
( 3) Mesure N° 28 Page 370 de l'annexe " trente mesures d'urgence...." de"L'individu qui vient ... après le libéralisme" - Dany Robert Dufour- Denoël
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