Démographisme...

Alors que la démographie devrait de fait être considérée comme une science dure, elle est paradoxalement devenue, et le sera probablement de plus en plus, un sujet de controverse particulièrement conflictuel. La teneur des analyses du démographe, pour peu qu'elles fassent référence aux origines ethniques, aboutit souvent à ranger celui-ci sans appel possible parmi les intellectuels de droite, politisés, subjectifs et donc peu dignes de foi.
Le constat est indéniable, il est patent que le libéralisme économique défend sans relâche l'idée de l'absolue nécessité d'une forte démographie permettant de faciliter l'embauche d'une main d'oeuvre peu qualifiée et bon marché. C'est ainsi que la démographie doit pouvoir pallier au vieillissement de la population, elle est avant tout devenue un enjeu majeur pour la croissance, un avantage compétitif. Il se trouve que cet "économisme" cynique recoupe parfaitement l'affichage idéologique des intellectuels de gauche qui se fonde sur l'héritage des Lumières, l'universalisme, l'égalité et la solidarité. Au passage, ils font peu de cas du respect dû aux anciens, l'homme moderne n'a pas de temps à consacrer à cette tâche improductive. La classe dominante n'a aucune raison de remettre en cause cette fièvre reproductive, cette loi d'airain jugée indispensable pour donner de la cohérence intellectuelle à une certaine conception de l'économie qui continue de prêcher, même si les certitudes s'émoussent, le mythe d'une croissance perpétuelle dans un monde pourtant aux ressources déclinantes. L'anthropologue Claude Lévi-Strauss, à l'instar de l'actuelle doctrine de la deep ecology, s'inquiétait déjà de la démographie galopante et des ravages de la pollution de notre civilisation pris dans un système néolibéral qui n'intègre ni les coûts induits de la destruction de la biosphère, ni les effets de la pollution sur la santé humaine. C'est ainsi que le terme "malthusianisme" popularisé par Proudhon et faisant référence à la restriction démographique condamne celui qui l'utilise à la vindicte de l'élite. Le "démographisme" a vaincu le malthusianisme.
Même s'il s'agit d'un poncif, il semble tout à fait pertinent d'employer le terme "élite" pour qualifier les classes éduquées usant sans arrière pensée de népotisme. Ce mot regroupe indistinctement d'un côté, l'intellectuel de gauche bobo dont la vie tranquille du VIème arrondissement ne l'incite pas à remettre en question ses convictions humanistes et universalistes et, d'un autre côté, le bourgeois de droite, richement installé dans une situation économique aisée et qui considère les idées d'Adam Smith et de Mandeville comme des lois naturelles qui l'exonèrent de tout sentiment de culpabilité. Ces élites n'ont pas eu besoin de faire alliance, leur différence est dans la teinte du vernis, elles habitent les mêmes quartiers, fréquentent les mêmes dîners en ville et leurs enfants usent leur fond de pantalon sur les mêmes bancs du lycée Henri IV ou Louis le Grand. Cette élite s'est constituée en une grande famille fondée sur une idéologie taillée sur mesure qui participe de leur prospérité. On le constate depuis la révolution française comme l'exprime Jacques Rancière « Les Pères fondateurs n'ont pas fondé la démocratie puisque ce qu'ils ont cherché à faire c'était précisément une constitution pour limiter le pouvoir du peuple... ». Il serait absurde de penser qu'ils puissent remettre tout cela en question, la politique économique libérale est selon eux la seule envisageable, en corollaire, la démocratie directe est totalement impensable. Autour d'eux, à plusieurs encablures de l'ile de la cité, loin du VIème arrondissement, ne parlons même pas des contrées au delà du périphérique car il n'est pas question de s'y aventurer sans un escadron de CRS, se développe là une plèbe sauvage, sans éducation, souvent menaçante et de plus en plus violente. Cette population laissée pour compte est souvent sensible aux thèses identitaires, qu'elles soient "nationaliste française", nationaliste étrangères (employons plutôt le terme communautaire) ou fondées sur des principes ethno-religieux. Les communautés s'agglomèrent par affinités liées aux origines culturelles et permettent finalement d'exposer de façon explicite le fractionnement nationale sur la base duquel il serait aventureux d'imaginer pouvoir fonder ou refonder une quelconque cohérence nationale. En effet, les principes du multiculturalisme ne s'y prêtent guère. L'anthropologie est têtue et guère malléable. L'humain nécessite de se conformer aux exigences de ce qu'il considère comme constituant les principes vitaux de la vie en société. Les "siens" forment un groupe essentiellement constitué d'une poignée d'individus de sa famille et de sa tribu. L'humain est complexe et composite, au delà de son cercle de proches, un autre cercle d'empathie culturel peut se structurer, en supplément. Il s'agira par exemple d'un sentiment d'appartenance à une communauté nationale qui partage le même héritage linguistique et culturel. Une liaison empathique naît de ce lien cognitif impalpable qui relie à ceux que l'on reconnaît comme cohéritiers. Selon moi, ce cohéritier peut être d'une autre couleur ou d'une autre nationalité, cela n'a guère d'importance, l'essentiel est qu'il chérisse ce que je chéris car comment faire communautée sans affect commun ?
En revanche, l'idéologie du multiculturalisme, pas plus que celle de l'universalisme, ne me semble comporter en soi une once d'empathie pour ce qui constitue un "même". Dans ce cadre idéologique, il est essentiellement question de respect pour l'autre voire du fond d'humanité qui porte la jeunesse inexpérimentée vers l'autre, d'une appétence gratuite portée par la raison. La vie se charge souvent de ramener aux vrais "siens" et d'évincer ceux qui s'avèrent incompatibles avec nos valeurs et notre empathie.
Les intellectuels sont divisés, ils pensent la paix sociale des sociétés modernes multi-ethniques de deux façons opposées, les uns veulent croire au multiculturalisme heureux, les autres à l'intégration voire à l'assimilation. Les premiers se fondent sans se l'avouer explicitement sur le principe d'une communauté majoritaire dont l'enseignement de la langue est constitutionnalisé. Mais les arguments de ceux-ci, de même que ceux des partisans de l'assimilation, seront à terme balayés par les forces démographiques. La philosophie politique aura ainsi pu prendre une position définitive entre les tenants de la délibération prônée par Jürgen Habermas et ceux qui, comme moi, considère que l'on n'abouti au consensus qu'en dénouant les divergences au terme d'une lutte souvent violente. Cette vision agonistique du combat politique reprend les principes notamment posés par Carl Schmidt et repris par Chantal Mouffe.
Si l'on examine les thèses de Michel Onfray avec"Décadence" et de Michel Houellebecq avec "Soumission" on comprend que la posture agonistique permettrait seule de donner une chance à la culture française historique. On constate qu'elle n'oppose pourtant guère de résistance car sa réalité repose sur une tolérance désespérément asymétrique. Tout n'est peut-être pas perdu, cette asymétrie constitue peut-être la principale force de désagrégation de l'universalisme qui, une fois décomposé, fera probablement place à des forces agonistiques qui permettront peut-être une reconquête culturelle... à moins qu'elles ne constituent qu'un dernier soubresaut d'une espèce qui ne dispose plus des ressources cognitives à même d'empêcher sa disparition. Nous verrons bien, l'échéance est proche.
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