Déportation homosexuelle : l’occultation reconduite (2)
Les réactions à l’article que j’ai publié le 16 février sur Agora Vox m’ont surpris, à plus d’un titre ; elles m’obligent à apporter certaines précisions.
Premier étonnement : que ces réactions aient immédiatement excédé le cadre de mon propos. Je le rappelle ici : il s’agissait de réfuter, non pas les déclarations de Monsieur Vanneste, mais celles de Monsieur Klarsfeld (Serge, et non Arno, ma source d’information était fautive).
Monsieur Klarsfeld, en effet, a affirmé que les personnes homosexuelles déportées l’ont été pour un motif autre que leur orientation sexuelle (résistants, juifs, communistes, droits communs…). Le sort de Pierre Seel et de 61 autres Français, ainsi que celui de 10 à 15000 Allemands, infirment ce propos. Les publications sur le sujet abondent.
Pour rappel et pour exemple : peu avant la guerre, Pierre Seel, adolescent, se fait voler sa montre sur un lieu de drague homosexuelle, à Mulhouse. Naïvement, il va porter plainte au commissariat central. Sans l’en informer, l’officier de police l’enregistre comme pratiquant des lieux homosexuels. Les Allemands, après l’annexion de l’Alsace-Lorraine, s’emparent des registres de police de la ville. Pierre Seel est arrêté, c’est l’unique raison qui lui est donnée, ainsi qu’à ses parents, pour homosexualité (Schweinhund !). Il est déporté à Schirmeck de mai à octobre 1941, il en ressort avec les ravages physiques et psychologiques qui sont ceux infligés à tout déporté. Un an plus tard, en octobre 42, à peu près remis physiquement, il est enrôlé de force dans l’armée allemande.
La déportation pour le seul motif d’homosexualité a bel et bien existé.
Autre étonnement : cette focalisation sur le statut des populations du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, après l’annexion de ces trois départements par le Reich. Je la trouve étrange : c’est comme si l’annexion de l’Alsace-Lorraine avait suffi à défaire de leur identité française nos compatriotes de l’Est. En déportant des homosexuels alsaciens et lorrains, les nazis ne s’en seraient pas pris à des Français... Un anschluss rétrospectivement entériné par homophobie ?
Troisième cause de perplexité : de voir à quel point ce débat est piégé par le contexte politique actuel – car il est évident que les déclarations de Monsieur Vanneste s’inscrivaient dans le cadre de la campagne des présidentielles, dans le but d’appuyer sur les clivages politiques et communautaires. Ces enjeux contaminent le débat, j’en trouve la trace jusque dans les réactions à mon article.
Il m’est impossible de reprendre un à un les arguments des commentateurs. Mais ils me semblent pour beaucoup relever d’une polémique que je croyais dépassée, pour la raison que certains auteurs, dont moi, leur avaient déjà répondu. Je me trompais. Pour répéter mes réponses, je me bornerai donc à citer quelques extraits du livre « Aux hommes tués deux fois », que j’ai publié en mai 2010. (Si les chiffres indiqués diffèrent légèrement de ceux des publications plus récentes, c’est que les recherches continuent.)
Ces extraits montreront, je l’espère, que l’on peut être homosexuel et plus soucieux de vérité que de compétition des mémoires, ou de revendication communautaire. Ceux qui douteront de la sincérité de mes propos en trouveront aisément la confirmation dans le livre.
Je conclurai sur l’événement déclencheur de cette polémique, et face auquel je ne voudrais pas donner l’impression de me dérober : les déclarations de Monsieur Vanneste et son exclusion de l’UMP.
1) Oui, homosexuel moi-même, je tiens Monsieur Vanneste pour homophobe.
Fin 2004, il déclarait que l’homosexualité serait inférieure à l’hétérosexualité, et, si on la poussait à l’extrême, dangereuse pour l’humanité. Cette déclaration m’avait stupéfié. Monsieur Vanneste, en effet, semble considérer que la visibilité des homosexuels, et l’égalité de leurs droits avec ceux des hétérosexuels, propagerait l’homosexualité. En d’autres termes, l’orientation sexuelle serait contagieuse, et l’homosexualité s’attraperait comme une grippe !
Entendre pareilles sottises, les oreilles vous en tombent avec les bras !
2) Monsieur Vanneste a le droit de ne pas aimer les homosexuels, ni l’homosexualité. Il a le droit de les juger inférieurs, et de le dire. Et j’ai, moi, le droit de lui répondre que ses représentations sont tout simplement délirantes.
Faut-il, pour ses propos sur la déportation, l’exclure de l’UMP ? Je ne vote pas de ce côté, ce n’est pas mon affaire. Sur un plan général, je me bornerai à indiquer que, par tempérament, mais surtout par attachement viscéral à la liberté d’expression, donc de conscience – oui, dans cet ordre –, je suis toujours enclin à préférer la confrontation, si nécessaire vive, des points de vue aux mesures d’exclusion ou de censure.
Extraits de « Aux hommes tués deux fois »
« En 2009, le décompte établi par les historiens donne de la réalité une tout autre image : sous l’Allemagne nazie, entre 100 000 et 150 000 homosexuels furent arrêtés ou raflés, 60 000 furent jetés en prison, 10 à 15 000 expédiés dans les camps – dont près des deux tiers ne revinrent pas. Les personnes déportées pour cause d’homosexualité n’auront donc représenté « que », à peu près, 0,25% de l’ensemble de la population des camps.
L’écart numérique est considérable, et la conclusion s’impose : ces chiffres, à défaut de le ruiner dans son entier, entament grandement le reproche d’occultation un temps fait aux associations de déportés. Nombre de leurs membres qui affirmèrent n’avoir jamais croisé d’homosexuels dans les camps n’étaient que sincères. C’est en toute bonne foi qu’ils contestaient un fait cependant incontestable – quand bien même, sur un plan strictement quantitatif, très minoritaire. »
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« Demeure donc, seule preuve tangible et incontestable de la haine meurtrière des nazis envers les amants des hommes, cette infime fraction de déportés au sein de l’horreur concentrationnaire, cette « flaque d’âmes » dans la mer de la déportation. »
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« Il est évidemment impossible d’apporter cet ensemble de corrections et de précisions sans que se trouve à nouveau posée la question du statut, au cœur du fait concentrationnaire, de la déportation homosexuelle.
Cette question taraudait Pierre Seel, et ce pour deux raisons. L’une tenait à l’angoisse que lui causait le fait d’être, en France, la seule personne officiellement reconnue en tant que déporté pour cause d’homosexualité. Il redoutait que cette unicité fragilisât son témoignage au point qu’il pût être mis en doute. L’autre tenait au sentiment d’appartenance profonde qui le liait à la « famille » des déportés. Il me l’a souvent répété, sa fraternité première était là, bien plus forte que le lien avec toute autre communauté, fût-elle homosexuelle. »
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« André, je te le demande à toi qui ne crois en aucun dieu. Je te le demande parce que je sais que, si tu le promets, tu le feras. Ces pédés parisiens, eux, ne le feront pas. (Pierre savait avoir la dent aussi dure – et parfois passablement injuste – que souriante.) Tu diras bien que je suis mort fidèle à mon baptême. Tu l’écriras. Je te demande ta parole sur ce point. »
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« Je voudrais ajouter une chose importante. Il se peut que vous soyez choqué par l’évocation du « peuple des Débiles » – plus de cent mille handicapés physiques et mentaux gazés ou transformés en cobayes dans les laboratoires, eux à proprement parler déments, des camps. Ce mot de Débile est à prendre ici dans son acception étymologique de personne « faible », « amoindrie », et donc à protéger. Il n’a rien d’insultant puisqu’il énonce une réalité indissociablement liée à la nécessité de compassion vigilante qu’elle implique. Peut-être me comprendront vraiment seuls ceux qui, comme moi, ont grandi dans l’intimité d’un handicapé mental profond. »
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