Dernier discours et dernière mise en garde de Jean Jaurès
Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès était assassiné à Paris. Pratiquement une semaine avant, il avait prononcé le 25 juillet, à Lyon-Vaise, ce qui devait être son dernier discours. Le député du Tarn dressait alors un tableau aussi réaliste qu'alarmiste de la situation en Europe. 99 ans plus tard, ce n'est plus la guerre qui menace le vieux continent mais un effacement des valeurs, une érosion des mémoires et le retour de vieux démons qui se nourrissent d'une crise économique majeure et d'un chômage de masse qui atteint des niveaux sans précédent.

Après avoir détaillé les rouages infernaux, le fondateur et directeur du journal l'Humanité appelait à la veille de la guerre les peuples au sursaut.
"Eh bien ! citoyens, dans l'obscurité qui nous environne, dans l'incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j'espère encore malgré tout qu'en raison même de l'énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n'aurons pas à frémir d'horreur à la pensée du cataclysme qu'entraînerait aujourd'hui pour les hommes une guerre européenne.
Vous avez vu la guerre des Balkans ; une armée presque entière a succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d'hôpitaux, une armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d'hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.
Songez à ce que serait le désastre pour l'Europe : ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d'hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie ! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l'orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s'il nous reste quelque chose, s'il nous reste quelques heures, nous redoublerons d'efforts pour prévenir la catastrophe. Déjà, dans le Vorwaerts, nos camarades socialistes d'Allemagne s'élèvent avec indignation contre la note de l'Autriche et je crois que notre bureau socialiste international est convoqué.
Quoi qu'il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n'y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu'une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d'hommes de s'unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l'horrible cauchemar.
J'aurais honte de moi-même, citoyens, s'il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d'une victoire électorale, si précieuse qu'elle puisse être, le drame des événements. Mais j'ai le droit de vous dire que c'est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l'orage, la seule promesse d'une possibilité de paix ou d'un rétablissement de la paix".
Que reste-t-il un quasi siècle plus tard de ces propos prophétiques ? Pas grand-chose. La réponse internationale aux égoïsmes nationaux n'a non seulement pas vu le jour mais elle a surtout été captée, récupérée par les puissances financières qui ont construit une mondialisation à leur main, basée sur la mise en concurrence des peuples entre eux et l'affranchissement de tout contrôle par les Etats.
Les barils de poudre aujourd'hui n'ont pas pour nom ceux de quelques territoires des Balkans mais chômage, déficits et austérité. Loin d'être le bouclier attendu et espéré, l'Europe de 2013 se limite à une union de républiques marchandes sans plus d'objectifs politique que de reconstituer une sorte de nouvelle ligue hanséatique élargie. Pourtant le grand Jaurès dans son dernier discours nous rappelle que la clé du progrès passe par la capacité à créer des passerelles au dessus des frontières. Un beau défi pour ceux qui dans ce XXIème siècle cherchent à leur vie un sens autre que mercantilisme, consumérisme et cupidité.
Illustration : Exposition Jean Jaurès, le pacifique - Jean Jaurès, photographié par Henri Manuel © Ville de Castres - Musée Jean Jaurès
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