Derrière l’iPad, Mister Dobberpuhl
Bon, ça y est, c’est comme d’hab’ à chaque fois qu’Apple sort un bidule, les aigris sortent du bois, ceux qui ont chez eux un PC sous Windows qui ne leur a jamais donné entièrement satisfaction, ou les nostalgiques du tout clavier, qui n’osent même pas toucher un mulot de peur de sombrer dans le blasphème de l’utilisation de la souris. On vient de tous les avoir en post dans l’article précédent, ces dinosaures ou ces haineux, voire ses blaireaux complets, on ne va pas s’apesantir et plutôt se poser la question de ce produit, déjà abondamment présenté comme ’imparfait’ : ’pas de caméra intégrée« , »pas de multitâche", etc. Mais revenons d’abord sur ses glorieux ou moins glorieux ancêtres, car ce chaînon manquant de l’évolution informatique, ça fait une bonne paire d’années qu’on lui court après.. en résumé, si ça ne s’est pas fait avant, c’est avant tout faute de processeur adéquat, d’une interface intuitive et d’une espèce d’utilisateurs incontournables qui s’appellent des journalistes. Voui mossieu, ceux qui font la pluie, le beau temps et le buzz. Explications.

Dans un site à recommander, qui indique déjà que la tablette "n’est pas une révolution mais présente des promesses", des petits malins avaient retrouvé dans l’archéologie Apple les prémices de cet appareil (pour d’autres c’en est une !). On ne revient pas sur le Newton, que Jobs avait jeté dès son retour dans la boîte : l’engin était assez exceptionnel pour l’époque, mais sa taille et son poids avaient constitué les deux éléments essentiels pour sa mise au rebut (chez moi il ne rentre pas dans mon tiroir à Palms et autres fariboles). Sans oublier ses cartes de communication pas prêtes et sa reconnaissance de caractères, un four mémorable qui ne reconnaissait rien !!! Ce qui a permis aux Simpsons d’en faire un sketch mémorable, remarquez (à mourir de rire !). L’autre objet d’archéologie était l’EMate 300, un bidule pour les scolaires d’une laideur sans nom, entrevu à Paris lors d’une Apple Expo, avec clavier et stylet.
La particularité de tous ses machins était leur processeur, un ARM (pour Advanced Risc Machine,) ou un StrongARM, d’origine... anglaise (c’était une subdivision de la société Acorn), spécaliste des processeurs RISC à faible consommation. Aujourd’hui encore, c’est un ARM qui est au cœur de l’Iphone ou de l’ITouch, par exemple ; fabriqué par Samsung. Avec son ARM, Acorn fabriquera en 1987 l’Archimedes, qui à l’époque enfonçait allégrement les Atari Falcon ou autres Commodore Amiga présentés comme des "bombes" pourtant. On trouvait la puce également dans une console de jeux de chez Panasonic, la 3DO. L’idée du processeur dédié orienté basse consommation est fondamental dans cette puce : si les récents processeurs signés Intel qui veulent tout faire, y compris la vidéo, sont moins gourmands, ils le sont nettement plus que les ARMs.
C’est bien ce qu’a compris Apple en se lançant tardivement dans la course, et en laissant s’épuiser le mouvement EEPC, fort prometteur sous Linux et déjà tué par Microsoft qui y a imposé son XP vieilli, faute de pouvoir y fourguer un Vista poussif ou un Système 7 gourmand et lié exclusivement à une puce Intel. Non, pour une tablette efficace, il faut deux choses ; un processeur dédié et un système qui l’attaque au mieux. Résultat, exit OS X, dans l’état actuel, dont certains avaient équipé hâtivement la tablette mythique préfigurée. Non, Apple l’a joué beaucoup plus subtil. En y allant par un chemin détourné, que peu d’observateurs ont vu venir.
Si on doit en effet un jour retenir la date de naissance exacte de l’iPad, ce sera celle du 23 avril 2008. Ce jour-là, en effet, Apple, fort de ses liquidités et de son incroyable (et insolent) matelas de dollars, a racheté au prix fort (278 millions de dollars) Palo Alto Semiconductor, devenue P.A. Semi et fondée par un sacré personnage, P.A. Semi Daniel W. Dobberpuhl, un vieux de la vieille, ayant beaucoup écrit notamment sur les VLSI en 1985, et sur son dada, le processeur RISC. . En 1996, il sortait "The design of a high performance low power microprocessor" qui résume parfaitement toutes ses recherches ou même la moitié de sa vie. En 1994, il était chargé du labo des processeurs à haute performance chez Digital et du développement de la puce phare de la boîte, l’Alpha. Il avait aussi sorti le MicroVAX-II en 1976 ! En 1998 , en quittant Compaq, il avait fondé SiByte, racheté en 2000 par Broadcom : le 12 juin 2000, SiByte avait étonné le monde en annonçant une puce de 64 MIPS, délivrant 1 ghz de puissance à seulement 2,5 watts, de consommation. Le nom de la puce : Mercurian (hommage à la deuxième planète la plus chaude du système solaire, un joli pied de nez à l’effet inverse recherché !). Auprès de Dan Dobberpuhl comme fondateur on trouvait Amarjit Gill et Leo Joseph. Chez SiByte, on trouvait aussi Peter Bannon (" Mr. Tanglewood") et Jim Keller, comme ingénieurs : or tous avaient travaillé sur le DEC Alpha, le processeur le plus rapide du marché des années 90, que j’ai longtemps croisé dans ma carrière dans les RIPs de flashage : une terreur de calcul ! C’est comme par hasard Samsung qui avait racheté la firme en déconfiture, en 1996.
Son choix s’imposait donc chez Apple ; mais aussi pour une autre raison : des petits malins avaient calculé le prix de la tablette équipée d’un processeur ATOM de chez Intel et d’un disque dur de 4200 tours en 1,8 pouces. Ils étaient arrivés à 340 dollars de coût de revient. En choisissant la puce ARM, Apple gagnait 50 dollars. Le prix supplémentaire à mettre pour avoir de la mémoire NAND à la place d’un disque dur, jugé pas assez fiable dans un appareil en mouvement... Apple ayant raflé tous les stocks de mémoire de ce type les deux dernières années, le hold-up parfait était prêt. Les autres pourront toujours s’accrocher. Oui, ceux-là (c’était quoi le troisième produit de chez HP, un clone complet ?).
Le processeur, capable d’en contrôler d’autres, était entre temps devenu le chouchou des plus grosses firmes de défense US : Lockheed Martin and Raytheon notamment. Fusées, missiles, ordinateurs de bord des "jets", voilà le marché de P.A. Semi ces dernières années ! Les militaires préfèrent le PowerPC comme puce, car il calcule plus vite et est moins sensible aux radiations. Le G4 PowerPC, on le trouve partout sur le Hornet, par exemple, ou dans les simulateurs de jets ou encore chez Thales. Au lancement du G4, Apple avait fait allusion avec humour à son usage intensif aux armées. Lors de l’affaire de l’Orion P-3 accroché par un avion chinois, lors de son atterrissage, les chinois découvriront à bord comme ordinateurs gérant ses radars du Power PC G4., à bord, uniquement du G3 et du G4. Logique, tout cela, donc : en 1967, Dobberpuhl avait commencé sa carrière en restant quatre ans au département de la défense ! Il travaillait au Pentagone ! En 1973, il bossait pour le GE Integrated Circuits Lab de Syracuse à New York. Chez NEC, la puce est aujourd’hui introduite dans les unités de stockage, car sa grande spécialité est aussi la communication rapide de données. A la place de ses Intel Xeon, consommant encore trop dans ses ECO CENTER. Nec est très en avance sur le front de la consommation des processeurs, s’attaquant à la fois au chipset d’économie d’énergie, mais aussi aux cartes NAND pour remplacer les disques durs gourmands en consommation... logique, dans ce cas, que la puce de PA Semi ait fortement intéressé Steve Jobs : elle possède tous les avantages requis : échanges rapides, faible consommation et donc faible échauffement.
Fort logiquement en effet, la tablette contient donc un processeur P.A. Semi, rebaptisé "A4" en fait c’est un ARM Cortex-A9, qui présente une autre particularité, celle d’avoir à bord une unité graphique, la GPU ARM Mali, (qu’on retrouve ailleurs) qui a montré ses capacités exceptionnelles d’affichage hier : si l’engin est rapide (les pages feuilletées sont exceptionnelles !), ce que tous les utilisateurs reconnaissent c’est grâce donc à trois choses. Le processeur P.A. Semi, son unité dédiée images à bord et le fait d’aller chercher des données sur une barrette flash NAND et non sur un disque dur. En cela, l’engin est assez révolutionnaire en effet., et toute comparaison avec un PC et sa carte graphique une totale ineptie.
Chez Apple, une personne s’occupe entièrement de la division ARM, c’est Wei-Han Lien, ancien responsable de chez P.A. Semiconductor bien entendu. En revenant à une puce spécifique, autre que Intel, Apple revient à ses amours : la gamme des G3-G4-G5 était en mode RISC et non en CISC comme les puces Intel, et la firme a déjà démontré qu’elle pouvait basculer de type de processeur sans trop de heurts (merci Rosetta, le traducteur à la volée !).
Apple a mis à bord de sa gamme de produits "légers" une véritable bombe, à laquelle beaucoup de gens aujourd’hui s’intéressent dont NVidia, avec ses Tegra : Intel va pouvoir se faire des cheveux blancs.... Et il est à nouveau capable de faire un bras d’honneur à Intel, comme il l’a fait à Motorola et à IBM. Apple, en 2008, s’est aussi acheté son indépendance : les futurs portables sortiront progressivement sans puces Intel, sans nul doute (pas les prochains, la génération suivante certainement). La société a en effet déjà sorti en 2006 son PA6T-1682M. Un processeur double noyau (dual-core chip) en 64-bits, en PowerPC processors, Altivec à bord, deux contrôleurs de mémoire, 2 Mo de L2 cache plus en interne des contrôleurs PCI-E (8 !), et Ethernet... l’engin rêvé pour un portable : à 2 GHZ il consomme 7 watts contre 21 à 25 chez Intel ! Indépendance et... blocage possible : en rachetant la firme qui fournit les meilleures puces pour portables, pensez bien que les priorités ne seront pas d’aller équiper avec le Zune ou autre concurrent. Apple peut se réserver la faveur de la sortie de cet élément essentiel, désormais !
Selon la petite histoire, Dobberpuhl avait été furieux à l’annonce de l’orientation d’Apple vers les puces Intel : il pensait pouvoir faire tourner toute la gamme avec son PA6T-1682M. Selon la petite histoire aussi, le vieux et talentueux chercheur est allé signé l’accord d’achat de sa société dans la maison familiale de Steve Jobs, ce que personne n’avait fait à ce jour. Derrière la tablette, il y a bien une stratégie qui vient de se mettre en place, celle d’une échappatoire à Intel et de la maîtrise du marché des portables, téléphones ou tablettes, voire ordinateurs. Pour ce qui est des communications, pas de problème : Dobberpuhl est aussi président de Diablo Research Corp, spécialisé dans les hautes fréquences et la WIFI. Son produit phare, le "Whisper" est un émetteur à très faible consommation travaillant dans la gamme des 902-928 MHz.
Reste l’apparence et le design. Apple, à vrai dire, avait proposé dès 1979 une "tablette" : mais ce n’était qu’une palette graphique pour Apple II. Le Projet WALT (pour Wizzy Active Lifestyle Telephone) était beaucoup plus intéressant : l’engin envoyait et recevait des Faxs ! Le PenLite, l’était encore davantage. C’était un mini-PowerBook Duo, à l’époque déjà parmi les ordinateurs les plus légers. C’est le designer allemand Hartmut Essligner de chez Frog qui a révélé les prototypes sur lesquels Apple a bossé parfois pendant des années. Evidemment les engins de l’époque étaient bien plus gros, les batteries étant leur handicap.. et très souvent aussi on les prévoyait déjà avec clavier de saisie supplémentaire. Le gag, c’est la taille du combiné téléphonique adjoint ! On notera que le proto (sans aucune électronique, c’est la coque extérieure seulement) présente comme pointeur... un stylet, incontournable à ce moment là, avant que l’on n’invente l’écran tactile.
Les engins ont donc existé, mais n’ont pas été commercialisés faute de batterie conséquente ou faute de marché suffisant à l’époque, ou de coûts de revient à fabriquer. Et tous avaient déjà un nom de code. Pour celui du dernier avatar de la firme, c’est trop drôle à raconter (non, pas l’histoire des blaireaux avec leurs allusions douteuses). Pour le nom, en effet, il y a toujours des sous doués en informatique : pour ça, Fujitsu tiens la rampe aujourd’hui : elle avait bel et bien déposé le mot iPad, qu’elle avait réservé depuis mars 2003, mais elle ne l’a jamais utilisé ! Résultat, en en avril 2009, l’US Patent and Trademark Office l’a déclaré très officiellement "abandonné". La firme japonaise n’ayant même pas répondu à ces courriers de relance ! On suppose que c’est pour cette seule raison que le mot iSlate avait aussi été déposé par Apple, et que l’annonce de la sortie de l’iPad a été choisie avec minutie : c’était le dernier jour où Fujitsu pouvait encore émettre un recours, sans qu’elle n’ait aucune chance de le récupérer d’ailleurs ! J’ai comme d’avis qu’il doit y avoir quelque part un japonais qui vient de se faire hara-kiri, là... chez Fujitsu ! Ceux-là sont bons pour replier des claviers, sans plus (quel gag ce truc !). Voyez-donc ici leur version d’une tablette...Leur mini-pc fait penser aux PCs pour enfants, vous savez, les VTech qui prennent la place d’un 17 pouces avec au milieu un écran de Game Boy noir et blanc....
Bon, avec toutes ces histoires de puces, je ne vous ai pas parlé des journalistes et de leurs appareils favoris. On verra ça demain si vous le voulez bien. Pour une fois, ce sont eux qui attendront. Et qui comme ça parleront peut-être un peu plus demain de ce génie des temps modernes qu’est Dan Dobberpuhl, de la veine d’un Douglas Engelbart. L’inventeur de la souris.
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