Des conséquences d’une politique extérieure désastreuse
La France avait déjà une politique étrangère agressive, essentiellement depuis cinq ans. Cette politique est maintenant devenue suicidaire. L'ingérence armée de l'Hexagone dans plusieurs pays du Moyen-Orient produit maintenant des remous sur son propre sol. Ces retours de bâton ne sont pourtant pas - a priori - une riposte de ces Etats agressés, mais proviennent de groupes radicaux que la France a, au minimum indirectement, soutenus. Décryptage d'une situation dramatiquement ubuesque pourtant largement prévisible.
La France sarkozyste et hollandaise guerroye...
Sous la Vème République, la France ne s'était jamais engagée aussi massivement dans divers conflits que depuis 2011, où elle prend notamment en marche le train des "Printemps arabes", largement favorisés de l'extérieur, notamment par les Etats-Unis.[1] Si la situation n'a, in fine, pas évolué favorablement de façon spectaculaire en Egypte et en Tunisie, où le tourisme - ressource importante du pays précurseur des Printemps - est en berne, la situation est bien pire qu'avant en Libye et en Syrie. Ces deux pays ont été particulièrement ciblés par la France - précisons d'emblée : ses dirigeants - qui s'y est sentie investie d'une mission quasi-divine : y faire chuter les régimes en place et y instaurer la "démocratie", comme si on importait ce concept comme on expédiait un colis.
Nos dirigeants sont-ils incompétents ou mal conseillés ? Peut-être un peu des deux mais ils ne sont pas idiots : ces belles paroles parées de vertu cachent évidemment des intérêts dits "nationaux", notamment géostatégiques, qui n'ont bien sûr rien à voir avec les intérêts du peuple. Le résultat visible sur place de l'ingérence de la France dans ces deux derniers pays ? Du "bon boulot" de l'aveu de son Ministre des Affaires Etrangères : une Libye en proie au chaos, et une Syrie en guerre civile depuis près de cinq ans. Dans ce dernier pays, épicentre actuel de toutes les attentions, les dirigeants français sont peut-être encore les derniers à vouloir absolument le départ de Bachar El Assad, déclaré mal absolu de l'Elysée et du Quai d'Orsay. Comme ils sont encore les seuls -sans doute pour justifier leur obsession maladive- à clâmer régulièrement avec une arrogante certitude que le Président syrien a "gazé" son peuple, alors que les différents rapports, au mieux ne peuvent se prononcer, au pire incriminent davantage la "rebellion" syrienne... soutenue par la France.
...et commerce avec des alliés bien peu scrupuleux...
Ajoutons à cela que la France va bien au moins dans un domaine : ses ventes d'armes. Elles n'ont jamais été aussi florissantes qu'en 2014, et 2015 s'annonce comme un "cru" encore meilleur. Nos clients ? Les "démocraties"[2] les plus en vues : Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Egypte, qui à eux trois représentaient 65 % de ce "chiffre d'affaire" mortifère en 2014. Le Qatar, autre "chouchou" de la France, n'était évidemment pas loin du podium. Le problème de la majorité de ces Etats, outre le fait qu'en interne ils ne se distinguent pas particulièrement par leur respect des droits de l'homme -et de la vie en général- que le sommet de l'Etat français s'empresse pourtant de défendre, c'est surtout qu'ils sont régulièrement pointés du doigt pour financer le terrorisme international, et juste après les attentats encore par l'ex juge anti-terroriste Marc Trévidic. Ceci au bénéfice évidemment de l'Etat Islamique, puisque tous ces régimes ont aussi comme objectif commun avec la diplomatie française de faire tomber Bachar El Assad.
Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE, le déclarait lui aussi le 03 juillet 2015 :
« Effectivement, pourtant ce n’est pas faute de le répéter : ce que nous appelons « salafisme », en arabe, cela s’appelle « wahhabisme ». Et là nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire, puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste. »
...sans se préoccuper des conséquences
La politique étrangère française emmenée par Laurent Fabius, et malgré une situation largement prévisible, a donc tout faux sur toute la ligne. Mais après tout, en ce sens, celui qui est à la barre du pauvre pays France est fidèle à lui-même : iceberg en vue, il "garde le cap". Le problème c'est qu'il embarque dans son paquebot plus de 65 millions de personnes qui ne savent pas bien, pour la plupart, où on les emmène. Et qui maintenant paient les pots cassés d'une politique étrangère désastreuse : 132 morts et près de trois fois plus de blessés.
Bien sûr, tout ceci choque fortement l'opinion, et c'est bien normal. Mais comme le rappelait fort justement le président syrien, la France vient de vivre ce que "vit la Syrie depuis cinq ans", le terrorisme. Celui-là même que la France supporte, indirectement en commerçant avec des pays qui l'alimentent, mais aussi directement en livrant des armes à des groupes dont on sait bien qu'ils sont perméables les uns avec les autres, les "modérés" avec les "radicaux". En ce sens, le terrorisme qui vise maintenant la France est une conséquence directe des choix stratégiques des dirigeants français. Ils en sont donc responsables.
L'OTAN, contrainte supplémentaire
On ne peut pas analyser de façon exhaustive les choix stratégiques erratiques de la France sans évoquer également l'OTAN. Alors que le Général De Gaulle avait eu le courage de nous évincer du commandement militaire intégré de l'Organisation en 1966 parce qu'il s'en méfiait -à juste titre - comme de la peste, le Président Sarkozy s'était empressé de nous y réintégrer pleinement en 2009. Tandis que De Gaulle nous permettait de conserver notre souveraineté, Sarkozy préfère quant à lui voir la France pieds et poings liés à une organisation agressive qui menace davantage la paix internationale qu'elle ne la défend.[3] Pour un Président qui se réclamait du Gaullisme, c'est sans doute la plus grande trahison qu'il pouvait faire à son prétendu mentor. Nous voici donc de nouveau subordonnés aux caprices des uns et des autres membres, et notamment des Etats-Unis[4], car contraints contractuellement à leur porter assistance lorsqu'ils sont agressés... ou lorsqu'ils se disent agressés. Comme depuis quelques années il est devenu pratique à certains membres de se lancer dans des "guerres préventives" basées sur des menaces fumeuses, voici le pauvre bateau France plus ou moins contraint de suivre la manoeuvre. Ah, qu'il semble déjà loin le temps où la France pouvait dire NON en toute indépendance.
Résumons
- Les dirigeants d'un pays, la France, qui, parce que "les affaires sont les affaires", même s'il s'agit de commercer la mort, font du "business" depuis des années avec des pays qui soutiennent voire financent le terrorisme ou dont le jeu est au minimum extrêmement trouble.
- Ces mêmes dirigeants qui, ensuite et depuis 2011, déstabilisent et s'ingèrent dans les affaires intérieures d'au moins deux pays du Moyen-Orient ou dans sa périphérie immédiate en vue d'en faire changer les régimes, non pas évidemment aux motifs simplistes de l'humanisme annoncé mais à des fins géo-stratégiques, les livrant au chaos, et soutenant une rebellion floue qui inclut des éléments radicaux en leur fournissant des armes.
- Une appartenance de nouveau pleine depuis 2009 à une alliance Atlantique belliqueuse et paranoïaque emmenée par les Etats-Unis et composée de membres qui jouent parfois un bien dangereux double jeu, comme la Turquie.
- Des actes de terrorisme qui s'intensifient et montent en puissance à partir de début 2012 dans l'Hexagone, en réponse directe à ces agressions de la France fort logiquement considérées comme injustifiées de l'autre côté du miroir[5] : affaire Merah, Charlie, et maintenant le 13/11.
Etonnante et imprévisible chronologie ? Non, pas si on regarde en arrière, les mêmes causes produisant généralement les mêmes effets. Le dernier drame français montre au passage à ceux qui en doutaient encore de l'inefficacité flagrante de la Loi sur le Renseignement promulguée en juillet dernier. Si les moyens alloués et les libertés sacrifiées ne permettent pas d'éviter cela, que vont-ils éviter ? Mais nous pouvons déjà entendre le prétexte de l'inertie de la mise en route, bref, que les services de renseignements n'étaient "pas prêts". Indéfendable. Au lieu de se disperser sur toute la population, encore faudrait-il déjà suivre sérieusement les éléments connus. Cruelle mission que de devoir surveiller ceux que notre politique a contribué à façonner.
Alors, que faire ?
La réaction la plus primaire, la moins réfléchie, et la plus susceptible de nous apporter de nouveaux "13 novembre" serait de persister dans la voie choisie jusque là par la Hollandie, c'est à dire ne rien changer : avoir une vision court-termiste, continuer à commercer avec nos alliés infréquentables, poursuivre les ingérences et détruire des pays pour des motifs fallacieux, en omettant le principe basique que toute action entraîne réaction.
Une autre option consiste à changer radicalement de politique étrangère, mais ce changement nécessite une analyse et une projection dans le temps. Bien évidemment, mais c'est là une telle évidence qu'elle est presque superflue, il faut lutter réellement, maintenant, contre l'Etat Islamique, que l'Occident a trop longtemps laissé prospéré, pour ne pas dire créé. Cela nécessite impérativement d'identifier ce "meilleur ennemi", mais surtout ses appuis et financements. Une seule lutte armée contre les exécutants, ce qui était timidement fait jusque là, est vouée à l'échec. |
Mais est-il vraiment possible de faire davantage que cela, de faire plus que semblant ? Comment lutter en profondeur contre une entité dont se servent manifestement certains de nos alliés actuels pour mener leurs guerres par procuration ? Par conséquent les dirigeants français veulent-ils vraiment lutter ? La question parait saugrenue, mais elle revient à se poser la suivante : prioriseront-ils leurs "business" de la mort... ou leur population ? Car concilier les deux n'est plus possible. Au vu de ce que nous avons pu entendre depuis quelques jours, il est permis de douter de la volonté des élites françaises d'inverser la vapeur. Là encore, François Hollande semble dire : gardons le cap, attaquons-nous aux conséquences sans toucher aux causes, agissons à court terme plutôt qu'à long terme. C'est malheureusement le meilleur moyen d'échouer, comme le rappelait encore Alain Chouet :
« On s’épuise à s’attaquer aux exécutants, c’est-à-dire aux effets du salafisme, mais pas à ses causes. Sur 1,5 milliard de musulmans, si 1 sur 1 million pète les plombs, cela fait déjà un réservoir de 1 500 terroristes. Cela, on ne pourra jamais l’empêcher à moins de mettre un flic derrière chaque citoyen. Tout cela est une vaste plaisanterie : on ne fait pas la guerre à la terreur mais à des criminels. »
Autrement dit, les élites françaises choisiront-elles d'éviter d'être éclaboussées en essayant de récolter les gouttes une à une, ou vont-elles se décider à fermer le robinet ?
Quand on voit les résultats de ces changements de régime imposés de l'extérieur, on a envie de dire "à quoi bon ?". Mais quand on sait maintenant que cela s'est fait au nom de faux prétextes humanistes, que des dizaines de milliers de personnes innocentes -plus exactement ici des "non personnes"[6] - ont déjà perdu la vie dans ces pays, on a le devoir de rajouter : "au nom de quoi ?" Au nom de quoi MM. Hollande et Fabius ? Au nom de quoi mêlez-vous votre pays, NOTRE pays, à des guerres que VOUS provoquez, et que NOUS subissons ? Quels y sont les "intérêts" de la France ? Ou plutôt quels y sont VOS intérêts ? Car regardez tout ce que la population française, ces "sans dent" insignifiants pensez-vous, que vous n'écoutez plus depuis longtemps, ont à y gagner : la mort. Dans ce carnage votre responsabilité y est pleine et entière.
D'une politique étrangère criminelle, ce pays France est passé à une politique étrangère suicidaire. Il n'est pas trop tard pour inverser la vapeur. Cela nécessite un véritable courage politique, mais aussi une mise au placard des egos. La vie de vos concitoyens vaut bien quelques sacrifices personnels, n'est-ce pas Monsieur le Président ? N'est-ce pas Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères ?
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Notes :
[1] Voir à ce sujet, notamment, le livre de Ahmed Bensaada, Arabesque$ - enquête sur le rôle des Etats-Unis dans les révoltes Arabes (éd. Investig'Action)
[2] Le terme est à prendre ici évidemment au sens figuré de sa définition réelle, mais au sens propre de la Realpolitik, et signifie : "qui est favorable aux intérêts [des dirigeants] du pays source"
[3] Souvenons-nous aussi du rôle central de l'OTAN dans le scandale des armées secrètes de Gladio pendant la Guerre Froide.
[4] Le commandement de l'OTAN est bicéphale : d'un côté le commandant suprême des forces alliées en Europe, qui est toujours un Général américain ; et de l'autre côté le secrétaire général de l'OTAN qui est un européen. Il s'agit par conséquent d'un système déséquilibré où un seul pays (les Etats-Unis) compte au minimum autant que tous les autres membres.
[5] Comment réagirions-nous, par exemple, si un pays étranger commençait à encourager la subversion voire à nous frapper militairement afin d'installer à la tête de notre pays des dirigeants choisis en fonction des intérêts (militaires, commerciaux, financiers) de ce pays agresseur ? C'est pourtant ce que la diplomatie française fait en Syrie, et non la "chasse à un tyran" dont elle s'est fort bien accommodée jusque là.
[6] Selon la terminologie du philosophe Noam Chomsky. Les "non personnes" sont des populations qui n'ont pas de droit, pas d'utilité même, aux yeux des oppresseurs et des puissants dans le système néo-libéral actuel. Elles peuvent donc être éliminées. Chomsky ajoute que "la plus grande force de la hiérarchie et de l'oppression est de savoir convaincre les non-personnes de considérer leur statut comme naturel." ("L'occident terroriste, d'Hiroshima à la guerre des drones", éd. Ecosociété)
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