Des discours et des réalités
La grogne, progressivement, monte en France. Cette grogne n’est pas tant liée aux personnes ciblées par les « réformes » que part une situation globale qui ne change pas, et bien au contraire se dégrade. Cette photographie que je propose à cet instant a simplement pour but de démystifier une action résolument orientée sur l’illusion de l’agitation plutôt que sur la résolution des problèmes structurels de fond.
Par ailleurs, plus encore que de critiquer un gouvernement - si tant est qu’il puisse exister dans un régime présidentiel de fait - il s’agit plus globalement de tirer le constat d’une défaillance globale d’une caste politique arrimée au pouvoir en France depuis plus de 30 ans et qui n’a, ni su s’adapter, ni su laisser la place à une pluralité de visions. L’ouverture par le débauchage ne change rien : de droite comme de gauche, l’incapacité à agir sur le fond est génétiquement ancrée dans les modes de faire.
Dans l’impasse qui s’annonce à court terme, il faudra pourtant s’attaquer aux vrais problèmes, ceux qui disparaissent des comptes rendus pour ne pas heurter ou pour ne pas être désignés boucs émissaires, ceux qui sont difficiles à entendre, et pourtant ceux qui changent tout.
1. Une réforme institutionnelle d’un autre temps
La France est structurellement à bout de souffle.
La commission « Balladur » a produit ce pour quoi son « leader » avait été désigné : un blanc-seing institutionnel pour servir l’autorité du chef de l’Etat, ce même chef de l’Etat qui va « tout leur rendre ».
A défaut de corriger les déséquilibres flagrants entre un Parlement « chambre d’enregistrement » et un gouvernement tout faisant, d’introduire une dose de proportionnelle significative (50%), de proposer une structuration forte des échelons territoriaux, d’architecturer les relations des administrations entre elles (etc.), cette commission a accouché de propositions minimalistes, augmentant certes le rôle du Parlement mais de manière bien moindre comparé à celui du chef de l’Etat : on creuse encore les déséquilibres de la Ve république.
Cette commission de « sages » a été aussi improductive que sclérosée, démontrant avec brio que sa vision des choses était résolument obsolète.
Les structures craquent, les financements manquent, l’argent coulent toujours à flots au somment de l’édifice, pour un temps encore.
2. Des finances publiques qui sombrent
Le creusement de la dette est à croissance proportionnelle à l’incapacité au prises de décisions structurantes.
Le vote d’un budget en déficit pur de fonctionnement est aussi risible que la hausse du revenu net d’épargne et à vie du chef de l’Etat. La découverte de financements occultes et de caisses noires de l’UIMM ou du MEDEF en passant par les primes « Euro-incompatibles » aux pêcheurs démontre les défaillances profondent d’un système qui n’est jamais parvenu à gérer sainement des finances publiques, et plus encore, à faire d’un Etat fort financièrement un Etat fort dans des prises décisions dimensionnantes.
Concentration des profits, mutualisation des pertes, état de droit à vitesses variables, fermeté pour les faibles, laxisme pour les forts, les finances publiques sont la traduction chiffrées de la faiblesse de vision stratégique d’une strate au pouvoir.
Le rapport de force de la médiocrité sombrant dans la complaisance, la cooptation et les pots-de-vin a pris le dessus sur les défenseurs d’une République forte, indépendante et responsable. La République a glissé vers un régime de cour au service d’un monarque, oubliant que l’argent provenant de l’Etat est le fruit de l’effort de tous, consécration de l’effort collectif auquel on devrait accorder la plus haute importance.
Les représentants de l’Etat ont oublié d’où ils venaient. Déconnectés du terrain, bercés par les hautes sphères, ivres du pouvoir, la crise est aujourd’hui comme il y a 30 ans, politique. La lecture des réalités, la vision des « problèmes » est aujourd’hui trop dépendantes de « dires d’experts » : à ne plus voir soi-même les problèmes de terrain, on n’est plus capable d’agir en connaissance de cause.
La caste politique sait pertinemment qu’elle n’a plus la main sur bon nombre de dimensions de la société et illusionne la plèbe par mots et merveilles. A l’inverse, lorsqu’il s’agit d’agir sur des prérogatives propres, tels que la fiscalité et l’articulation des institutions, deux volets de la responsabilité unique de l’Etat, il n’y a plus personne.
3. Le spectacle de la superficialité
Pour distraire le chaland et occuper les esprits il a alors été inventé la communication.
Plus glamour que les réformes sur le fond, on a préféré vendre du rêve, du beau, du compréhensible.
De la découverte de notre passion commune - mais temporaire - pour le Rugby en passant par les discours « shows » qui cachent dans chaque interligne un terme ambiguë, on nous vend de la diversion intellectuelle. On prend des journalistes en caméra embarquée, on vend du discours et on oublie de les confronter au réel. L’application n’en est que plus difficile, surtout lorsque le discours est incompatible avec les réalités (indépendance du Tchad, Commission européenne, etc.).
Pendant ce temps-là on vote en catimini des lois déséquilibrés sans intérêt global et encore moins général, on « attend » l’après-municipales, on rafistole par-là, on déséquilibre par-ici, bref on amuse la galerie sans ne rien changer.
Pourvu que l’on puisse durer encore un an, un mois, un jour.
L’actualité d’hier est chassée par celle d’aujourd’hui, de discours en discours, de promesses toujours partiellement réalisées en promesses intenables. M. Sarkozy fait ce qu’il a dit, plus exactement il affiche le « titrage » de ce qu’il a dit.
Derrière le titre, le désert intellectuel, la faiblesse du recul, l’absence de connaissance du fond.
Cette eau est propre en surface, elle est donc propre. Sauf que dessous, c’est la décharge sauvage.
4. L’échec du Grenelle de l’environnement
Parlons-en justement de l’environnement.
Pour le commun des mortels : le Grenelle de l’environnement marque une prise de conscience pour les questions d’écologie et de développement maîtrisé.
Oui, cette prise de conscience, la société y est prête depuis plus longtemps qu’on ne le croit : il suffisait juste d’être le premier à se saisir de la question.
Le Grenelle de l’environnement a donc eu lieu... avec des résultats à minima.
S’il fallait encore le démontrer, il fallait savoir lire entre les lignes, du moratoire sur les autoroutes « sauf intérêt local » au pas de nouveaux sites nucléaires (les nouveaux réacteurs seront sur les mêmes sites), aucune prise de décision fondamentalement forte.
L’ADEME fait de la publicité sur les déchets : c’est bien, mais l’usager a-t-il réellement le choix de ses emballages ? Quels circuits et incitations pour le tri ?
Le baril flambe à 100$, compensé par la faiblesse du dollar, et aucune nouvelle disposition forte sur la pondération des énergies renouvelables. Une vignette sur les grosses cylindrées ? N’en parlez même pas.
Une action internationale pour limiter la coupe des forêts équatoriales ou l’exploitation de gisements pétroliers en milieux sensibles ? Même pas évoquée.
Oui, ce Grenelle de l’environnement marque un échec cuisant. L’occasion est ratée, mais pouvions-nous en attendre autrement ?
5. La politique de la réussite par l’argent et du misérabilisme social
Pas de réformes sur le fond, mais beaucoup de mise en avant de « Success Story ». Aujourd’hui il faut réussir, il faut être dans le top et surtout gagner beaucoup d’argent.
La réussite est uniquement vue sous la lorgnette pécuniaire. Pas de réussite dans l’accomplissement de soi, dans l’associatif ou le culturel, dans la recherche ou l’innovation. La réussite, quitte à détester ce que l’on fait, doit chiffrer.
Alors on nous vend de la réussite à foison. Mais pas n’importe laquelle.
On nous vend du « Bernard Laporte » , du « Johnny » de la « Star Ac’ », on ne nous vend pas les petites réussites de chaque jour dans les quartiers, dans l’innovation universitaire ou dans le pilotage de projets. Non, il faut du visible, de l’instantané, du déjanté.
Parallèlement, il faut niveler par le bas l’équité « sociale », en alignant sur le moins disant, en montrant du doigt le privilège du voisin dans une société du tous contre tous assimilant de manière malsaine les sentiments de jalousie, d’ambition et de comparaison. On joue aussi sur les mots comme sur les « franchises médicales » dont on ne s’affranchira pas. La réussite collective est rangée au placard sous la proéminence de la réussite individuelle : on ne gagne plus ensemble, on veut gagner seul contre l’autre.
Et puis il y a les questions tabous, le fond des problèmes que l’on ensevelit sous des phrases pompeuses comme la « communauté internationale » (laquelle ?) ou la simplification à l’extrême « le traité simplifié européen » (simple ?).
On oublierait presque qu’il y a d’autres pays et que les relations internationales sont plus des rapports de forces d’intérêts qu’une instance de convergence d’idées de progrès.
Et puis il y a les « questions sociales » vulgarisées au point de déplacer les problèmes :
Il ne faut pas dire que la question de l’allongement des durées de cotisations est plus rejetée par l’aspect des décotes que sur l’alignement à l’espérance de vie. Il ne faut pas dire que les agents EDF et GDF manifestent aussi du fait de la privatisation sauvage qui s’annonce et se traduit par une dégradation de la qualité de travail dans les entreprises. Il ne faut pas dire non plus pour les fonctionnaires que la désorganisation latente et la féodalité pèsent plus sur le morale des troupes qu’autre chose, ainsi que sur le fait que les rémunérations stagnent du fait d’une politique RH à côté de la plaque (recrutements aveugles, management 0). Il ne faut pas dire que le regroupement des tribunaux éloigne la justice du terrain et ne répond pas au besoin de regroupement des activités de la justice sur les mêmes sites. Il ne faut pas dire que le système carcéral est au bord de l’explosion alors que le métier de policier/gendarme est en quête de sens dans un malaise récurrent. Il ne faut pas dire que dans le privé, derrière les apparences, la recherche de rentabilité se fait au détriment des bas salariés.
Surtout ne rien dire sur la maladie de l’université qui réceptionne toutes les erreurs précédentes du primaire au lycée avec des moyens et des contenus inadaptés. Quant au malaise des banlieues qui ne voient toujours rien venir - et encore moins le président ou ses ministres - rien.
Enfin, au sujet des statistiques de l’expulsion pour faire du « chiffre », là encore, pas un mot sur les méthodes et les objectifs de dispositifs peu glorieux pour le pays.
Non, tout va bien madame la marquise.
Les profits pour certains explosent. Pour d’autres la galère se poursuit.
Au milieu, les écarts se creusent, les réalités divergent, le dialogue n’est plus possible.
6. Pour un changement sur le fond, vraiment sur le fond
Pendant longtemps, les Français, désabusés, ont souhaité se taire. Certains préfèrent voter extrême, d’autres ne votent plus depuis longtemps.
Pendant longtemps la caste dirigeante a profité de cette faiblesse inhérente de contre-pouvoirs pour s’asseoir sur ses positions, voire ses propres ambitions, et laisser les mesures dimensionnantes à d’autres. UMP, UDF, PS, Verts, PC peu importe : leurs échecs sont communs et à responsabilité croissante suivant le nombre d’années aux manettes.
L’absence de continuité des actions, la superposition des mesures, le décalage du droit avec l’application sur le terrain, le foisonnement des dispositifs qui seuls sont sympathiques, mais combinés, dévastateurs, la sédimentation des structures : c’est la convergence de ces facteurs qui induit aujourd’hui une paralysie tant politique que technique à pouvoir changer efficacement le fond. La dégradation des repères n’est pas innocente par ailleurs : à force de casser les repères de la société en la baignant nuit et jour dans un bain d’information en décalage avec le quotidien, on surexpose un fragment de réalité comme étant une vérité générale.
Les gens qui ne « partent de rien » me font bien rire : rares sont ceux qui partent de très bas.
Entre mauvaises rédactions de lois et mauvaise foi, le pays n’a pas voulu assumer ses responsabilités et regarder les réalités en face. En octroyant trop de pouvoirs à des personnes sur « titres » et non sur « actes », nous avons laissé filer une chance de construire une société plus juste et plus forte.
Cette fuite en avant, aujourd’hui, il faut en payer la facture. Qu’on le veuille ou non, il faudra un jour passer à la caisse car la dérégulation croissante de la société ne peut être compatible avec une stabilité à terme : les écarts sont trop grands et les règles du jeu trop inégales pour assurer un projet durable de société.
Alors oui, je « rêve » de voir se construire un projet de société qui permettra à la société française et aux sociétés européennes de trouver un autre horizon que celui, purement matérialiste, d’une société d’inégalités croissantes. Une société efficace, et de justice croissante, une société où la démocratie n’est pas un vain mot, où le citoyen n’est pas seulement la cible d’une communication de tous les instants, mais considéré comme conscient et responsable, une société où l’État n’est pas seul, mais entouré de partenaires actifs et légitimes (entreprises, associations, collectivités, familles, etc.). Une société où le système de valeurs privilégie l’éducation, la formation, la recherche, l’épanouissement de l’individu, le pluralisme, la diversité, la constitution de l’individu sur des repères sains.
Une société qui affronte le réel plus qu’elle ne cherche à fuir la réalité.
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