Des petits trous, des petits trous... et l’impossible Arolsen (11)
Terrible situation que celle devant laquelle se trouve aujourd’hui Bad Arolsen, accusé pendant plusieurs années de faire dans la rétention de savoir. Pour des raisons parfois techniques, comme on pu l’évoquer : la lutte contre l’irrésistible acidification des documents, ou les moyens à mettre en œuvre pour tout numériser. Mais aussi et en tout premier des raisons politiques, essentiellement dues à l’étrange organisation de l’administration d’après guerre. La France avait connu une épuration assez violente, avec débordements difficilement contrôlables, avec tonte ignominieuse de prostituées notamment, et de certains assassinats ou règlements de comptes déguisés en collaborateurs fusillés, l’Allemagne n’avait pas connu ses soubresauts. En 1945, on n’avait pas très bien compris pourquoi. Quelques années de recul plus tard c’était plus clair : beaucoup d’anciens responsables nazis étaient devenus des membres importants de la nouvelle administration d’Adenauer. Bad Arolsen, pour eux, représentait bien un danger pour leur carrière.

Les premiers à avoir bloqué l’accès étaient bien les allemands en réalité, et ce, juste après leur défaite. Longtemps on cherchera à étouffer un énorme scandale : celui d’Hans Globke, devenu le bras droit de Konrad Adenauer. L’homme avait travaillé avec Wilhelm Frick, essentiellement sur les questions raciales, dont la fameuse loi du sang de Nuremberg. Il avait écrit à cette époque des phrases telles que "The dramatic decline in feeling for the purity of blood in the decades before the radical change [Hitler’s coming to power] appears to urgently demand social intervention.” Ou bien“the Jews must resign themselves to the fact that their influence on the organisation of German life is gone for ever.” Ou avait catégorisé à sa manière les juifs : “the three-eighths Jew, who possesses one full-Jewish and one half-Jewish grandparent, is considered as a half-breed with a full-Jewish grandparent, the five-eighths Jew, with two full-Jewish grandparents and one half-Jewish grandparent, is a half-breed with two full-Jewish grandparents.” La manie de tout catégoriser. Son supérieur, Wilhelm Frick fut condamné à mort à Nuremberg, après avoir dit de lui : “He played an outstanding role in elaborating the laws specified below : a) The Law for the Protection of German Blood and German Honour of 15 September, 1935 ; b) Law for the Protection of the Genetic Health of the German People of 18/10/1935 ; c) the Civil Status of Individuals law of 3/11/1937 ; d) the law concerning the change of surnames and first names.” En résumé, Le bras droit d’Adenauer après guerre était à l’origine de l’Holocauste, tout simplement. Voilà qui démarrait plutôt mal. Bad Arolsen était bien trop dangereux pour lui...son nom y revenait trop souvent. Logique de penser que dès le départ Bad Arolsen naissait... fortement handicapé... de la politique.
Car, selon le centre lui-même, "la fonction probablement la plus connue du SIR consiste à délivrer aux rescapés des camps de concentration des certificats reconnus par le gouvernement allemand et ses administrations. Il s’agit là d’une tâche cruciale, non seulement parce que ces documents permettent aux victimes d’obtenir des réparations morales et matérielles, mais aussi parce qu’ils confèrent un sceau d’authenticité à des témoignages qui sont trop souvent mis en doute". On comprend alors les réticences du Centre d’Arolsen : le terme "reconnu par l’Etat Allemand", où figurait tant d’anciens nazis expllque une bonne partie des blocages, fabriqué par cette même administration allemande qui va toujours se montrer réticente à divulguer ses propres sources, qui accusent la majeure partie de ses cadres !
Ce n’était pas en effet le seul homme au passé douteux recruté par Konrad Adenauer : Hermann Josef Abs, ancien directeur de la Deutsche Bank de 1938 à 1945, membre du conseil d’administration d’IG Farben de 1937 à 1945, qui s’occupa de la reconstruction sous Adenauer, Reinhard Höhn, qui avait rejoint les nazis dès 1933, pour travailler au "SS Security Service" (SD) ancien directeur du magazine "Reich - Volksordnung - Lebensraum. Zeitschrift für völkische Verfassung und Verwaltung" (Reich - national order - living space : Newspaper for the constitution and administration of the Volk"), et qui avait fondé son "“Academy for Senior Economic Personnel,” à Harzbourg. Mais aussi Theodor Maunz, conseiller et avocat d’Hitler, qui avait écrit dans le journal fasciste de Gerhard Frey, tous avaient un passé aussi douteux. Frey sera très lié plus tard à David Irving, un des négationnistes les plus connus, et ce n’est pas un hasard. Toujours le même souci de rendre le nazisme acceptable. On se promène en smoking, mais on songe en même temps aux fours crématoires. Au plus haut de l’état régional ce n’était guère mieux : Kurt-Georg Kiesinger qui fut chancelier fédéral de 1966 à 1969 était membre du NSDAP et un des responsables de la propagande de Goebbels, comme Karl Carstens, membre aussi des NSDAP et des SA (les Chemises Brunes), devenu président lui aussi de région de 1979 à 1984, ou encore Hans Filbinger, dans le Baden-Württemberg, membre de la CDU et ancien lui aussi du NDSAP, qui menait la belle vie semble-t-il, ou enfin Hans Speidel, véritable mercenaire professionnel devenu général de l’armée allemande. L’un des rares comploteurs contre Hitler élargi par la Gestapo, devenu l’organisateur de la Bundeswehr. Tous complétaient un tableau assez apocalyptique de la gouvernance allemande de l’après guerre. Avec un Bundestag remplit à moitié d’anciens nazis, c’était complet !
Jusqu’en 1968, rien ne changera vraiment. Si, lors d’une action d’éclat d’une jeune étudiante : "Le 7 novembre 1968, une jeune Allemande flanque une gifle au chancelier Kurt-Georg Kiesinger, en lui criant Nazi, démissionne ! » C’est Beate Klarsfeld. Aujourd’hui, elle a 69 ans et ne regrette rien : « c’est un geste symbolique. J’ai vu que j’ai réuni autour de moi beaucoup de jeunes Allemands. C’est grâce à eux aussi, que nous avons réussi à changer ce climat politique. C’était la rupture avec l’Allemagne nazie. Pour la première fois en France, mais surtout en Allemagne, le sens critique de la jeunesse s’est révélé et il est resté pour toujours ».
Avec une telle brochette, on comprend mieux pourquoi Bad Arolsen, pour les représentants politiques allemands, constituait un enjeu de taille. Leur nom y figurait, et pas vraiment du bon côté comme celui de Filbinger et son document signé du NSDAP et paraphé par lui-même. Les allemands devront attendre 1994 pour se faire une idée de ce qui s’était passé avec le livre de Norbert Frei "l’Etat Hitlerien Et La Societe Allemande" sur l’imprégnation forte laissée dans leur administration par les bourreaux d’antan, dont aucun n’avait exprimé de véritable repenti. Le procès d’Auschwitz (le second en fait, où beaucoup avaient découvert les SonderKommandos) n’avait eu lieu qu’en 1963 seulement, et dans "Le génocide des juifs" Florent Brayard, l’auteur d’un autre livre fondamental, montre bien cette passivité des administrations allemandes à vouloir s’épurer véritablement. L’Allemagne n’avait pas vécu d’épuration à la française. Un tiers seulement des criminels identifiés furent pourchassés, deux tiers passèrent au travers du filet. C’est énorme. Selon Frei, la société allemande, après guerre, en ne cherchant à condamner nécessairement, en épurant aussi peu, en faisant pression par l’église notamment, cherchait à s’absoudre d’avoir suivi aussi aveuglément Hitler. En disculpant les responsables, le peuple se disculpait lui-même : "But Frei also makes it quite clear that more was at work here than the exigencies of realpolitik. The amnesty and reintegration programs went well beyond what would have been necessary to co-opt the far right. Politicians and church leaders went out of their way to intercede for people convicted of atrocities ; the government paid for their legal defense. In their very unwillingness to allocate individual responsibility for Nazi crimes, Frei suggests, Germans were in fact indirectly acknowledging their ’’entire society’s entanglement in the Nazi enterprise.’’ In absolving others of complicity, they also absolved themselves".
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