Ce court essai raconte la destinée de la colonisation, qui peut prendre deux visages très différents, selon la nature de la visite...
En juillet 1885, Jules Ferry, franc-maçon et homme de gauche, déclare, à l'Assemblée nationale : "Les races supérieures ont des droits sur les races inférieures".
N'est-ce pas un peu raciste ?..
Il affirme ainsi ce que doit être la politique de colonisation : C'est aux colons d'apporter la civilisation aux peuples "arriérés", en les dirigeant comme des enfants, parce qu'ils n'ont pas de maturité politique et culturelle. Et c'est ainsi, en effet, que s'est déroulée la colonisation française.
Cela dit, les arrières-petits-fils des colonisés, qui viennent verser des larmes de crocodiles (car eux ne souffrent de rien) sur l'asservissement de leurs ancêtres, devraient plutôt se féliciter du fait que, bien que la souveraineté fût en ce temps-là (comme aujourd'hui, d'ailleurs) aux mains des francs-maçons, les contingents de civils et de militaires chargés de les côtoyer au quotidien étaient, eux, presque tous catholiques : Comme tels, ils ne s'octroyaient ni droit de cuissage (nous ne parlons pas des abus individuels, toujours possibles, mais de l'approche générale d'un peuple par un autre peuple), ni droit d'esclavage, ni droit de vie et de mort, et n'ont pas non plus exercé, envers les indigènes, la cruauté dont l'histoire des Anglo-Saxons est jalonnée (tel le major Sheridan proclamant : "Un bon Indien, c'est un indien mort !").
Pourtant, nous pouvons comprendre la rancune qu'éprouvent, à la fin de l'époque coloniale, les peuples asservis, puisqu'ils ont été effectivement traités comme des enfants, leur territoire étant en partie approprié et administré par une colonie d'étrangers, leur destin pris en main par un peuple étranger, et leur culture rejetée dans une sphère privée honteuse dont elle ne devait pas sortir, les rythmes de la vie publique et mondaine étant calqués sur ceux de la métropole.
Nous voyons ici le poids détestable de la colonisation : Malgré tous les bienfaits que le colonisateur peut prétendre avoir prodigués au peuple colonisé, il n'en restera pas moins qu'aux yeux de de l'indigène, il s'est conduit en oppresseur et en pilleur de richesses. C'est pourquoi, partout, la colonisation a pris fin, car il ne s'est pas trouvé un seul peuple pour dire : "S'il vous plaît, continuez à nous diriger !". Tous les peuples ont voulu retrouver leur liberté.
C'est pourquoi il est important de souligner que la colonisation est très différente de l'accueil de l'étranger, car les deux phénomènes relèvent chacun d'une psychologie à part, induisant deux destinées parfaitement distinctes.
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. L'étranger que l'on accueille arrive seul, ou avec sa famille, d'un pays lointain, dont il a fui la famine ou la tyrannie : La société d'accueil est libre de l'accueillir ou de le rejeter. Généralement, elle prend pitié de ce pauvre étranger et lui fait bien volontiers la petite place qu'il implore, et il va s'efforcer de s'y insérer du mieux qu'il peut, envoyant ses enfants à l'école avec l'injonction de s'appliquer de toutes leurs forces et de respecter leurs professeurs qui sont, dit-il à ses enfants, "les bienfaiteurs de votre avenir".
. Le colon n'arrive pas seul : il est accompagné de tout un contingent d'individus voulant prendre des places de choix dans la société d'accueil. Il constate que les moeurs des indigènes ne sont pas les siennes, et décide donc de les réformer pour, à tout le moins, permettre à ses coutumes de s'exprimer ouvertement dans la société d'accueil. Il moralise fréquemment le peuple d'accueil, l'accusant de ne pas respecter les lois de l'hospitalité, profitant de cette accusation pour prélever une "dîme" sur le travail des autochtones, avec laquelle il pourra faire vivre bien des membres de sa colonie sans qu'ils aient besoin de travailler.
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. L'étranger dit à ses enfants d'oublier leur langue maternelle, car elle freinera leur adaptation à leur nouvelle vie : "Nous avons changé, leur dit-il, désormais nous sommes français et devons nous comporter comme tels : Mon fils, tu dois exceller dans la maîtrise de cette langue, grâce à quoi les Français t'accepteront pleinement comme l'un des leurs, car la langue est la première chose qui forme un peuple".
. Le colon considère la langue indigène comme inférieure, il ne l'apprend donc pas avec amour, d'où il vient que même ses meilleurs éléments restent maladroits et imparfaits dans l'usage de cette langue, qu'il rêve de remplacer par la sienne : Petit à petit, il exige que les actes publics soient rédigés dans la langue de la métropole, que les bâtiments publics soient nommés dans cette langue, que cette langue soit utilisée dans les communications culturelles, et il veille à ce que, à défaut de pouvoir éteindre l'idiome du colonisé, de nombreux vocables passent de la langue du colon dans celle de l'indigène.
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. L'étranger exige de ses enfants qu'ils obéissent à la loi car, dit-il, ce pays nous a sauvé la vie en nous permettant d'échapper à une mort certaine, soit par la famine, soit par les armes de la tyrannie que nous avons fuie : Il a agi envers nous en protecteur, comme un père envers ses enfants, nous devons donc le respecter comme un père, en obéissant à ses lois.
. Le colon n'a que mépris pour la loi du pays : Il exige constamment qu'elle soit réformée pour reproduire autant que possible celle de son pays d'origine. Il n'a pas de mots assez durs pour fustiger de nombreuses lois qu'il trouve stupides et insultantes pour sa communauté : Sous couvert d'insultes, il cherche en fait à établir le glissement progressif du pays colonisé vers sa propre coutume.
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. L'étranger se convertit à la religion des autochtones : Il a demandé à être leur frère, il veut donc partager leur destin, et il procède à cette conversion de bon coeur et sans arrière-pensée, car il dit à ses enfants : "Si ces gens vivent entre eux de façon si douce et civilisée, n'ayant pas à craindre chaque matin pour leur vie, c'est que leur religion est meilleure que la nôtre, qui nous pousse à juger et condamner sans cesse tous ceux qui nous entourent, de près ou de loin. En nous convertissant, nous faisons nôtre la bonté de ce peuple à notre égard, et ainsi nous pourrons fièrement lui rendre ce qu'il nous a donné".
. Le colon n'a que mépris pour la religion du pays qu'il a envahi, et n'a qu'une hâte : Faire bâtir, aux frais des autochtones, des édifices religieux pour pratiquer dans ce pays lointain le culte de son pays d'origine. Il veut que lesdits édifices soient nombreux, de plus en plus hauts, et invitera ensuite les indigènes à se convertir à sa religion exotique.
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. L'étranger ne sait que faire pour se rendre utile : En toute chose, il s'applique du mieux qu'il peut, et cherche à se faire des amis dans son pays d'accueil pour s'y intégrer naturellement. Ses enfants y parviennent rapidement et sans peine : Partageant la langue et la religion du pays d'accueil, il leur reste en plus le charme exotique de leurs souvenirs d'un pays lointain qui, même s'il fut dur envers eux et les amena à fuir, reste avec nostalgie celui de leurs ancêtres, et ils garderont de ce pays un souvenir éternel pétri d'émotions fortes : Devenus grands, ils pourront servir d'interprètes ou d'ambassadeurs, tentant toujours dans ce rôle de servir au mieux les intérêts des deux nations, sans jamais, toutefois, trahir leur pays d'accueil, car c'est lui désormais qui est leur vraie patrie.
. Le colon n'a que faire des autochtones : Ce qu'il veut, c'est qu'ils lui servent à quelque chose. Il n'a jamais de mots assez durs pour leur reprocher de ne pas lui avoir donné ce qu'il n'a pas encore. Il estime que les richesses et les honneurs doivent lui échoir en premier lieu, car il garde au fond de lui un secret mépris pour le peuple indigène.
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. L'étranger, après deux ou trois générations, n'a plus que le souvenir de sa patrie d'origine : "Mon grand-père était russe", dit-il, " ce qui explique mon nom. Mais je ne parle pas le russe et je n'ai jamais mis les pieds en Russie. Mes parents ont gardé quelques coutumes de là-bas, quelques mots et quelques chansons aussi, mais c'est tout ce qu'il me reste de ce pays. Pourtant j'aimerais bien m'y rendre un jour pour contempler la terre de mes ancêtres".
. Le colon, après deux ou trois générations, est plus vindicatif que jamais avec l'indigène : Maintenant qu'il connaît bien ses coutumes, pour les avoir non pas suivies, mais épiées, il sait lui reprocher ses points faibles pour l'assaillir sans cesse avec de nouvelles exigences, par lesquelles il entend bien recevoir de nouveaux subsides, ou de nouveaux avantages en postes de fonctionnaires, en logements gratuits... Il poursuit désormais l'ambition de faire grandir de plus en plus la communauté des colons, en faisant venir sans cesse de nouveaux compatriotes, dont il exigera que l'indigène les loge et les nourrisse à ses frais, afin d'arriver un jour à submerger par le nombre la communauté originelle, pour la soumettre définitivement et totalement à la loi de la terre lointaine du colon.
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Mais, face à cette ambition démesurée, le peuple colonisé finit par se révolter, malgré tout l'enrichissement que le colon se vante de lui avoir apporté ; il constate en effet, qu'en fait d'enrichissement, c'est plutôt cette communauté de colons bien nourris qui s'est enrichie sans grand effort sur une terre qui, à l'origine, n'était pas la sienne, et dont elle n'a pas voulu épouser les coutumes.
Le colon a beau rétorquer qu'il est là maintenant depuis plusieurs générations, et que par conséquent c'est ici chez lui et qu'il n'en bougera pas, l'indigène est finalement exaspéré par cette arrogance pleine de morgue et de mauvaise foi qui pèse sur lui depuis maintenant plusieurs générations :
Alors, l'indigène se révolte et décide de retrouver sa terre, qui est celle de son peuple depuis toujours, pour y vivre pleinement en tant que nation, et non pour y partager la vie d'un peuple intrus qui le hait ou le méprise, et menace à terme jusqu'à son existence.
Alors, c'est la guerre civile, et comme la justice finit toujours par triompher, le colonisateur doit finalement partir, la queue entre les jambes.
C'est ainsi que prend fin la colonisation...
Michel Brasparts