Depuis de nombreuses semaines, la frange active de ceux qui dénoncent ce projet de loi, pour le moins étonnant et détonnant, s’attache à mettre en avant un objectif dissimulé, à savoir le filtrage généralisé de l’internet à des fins de contrôle de l’opinion.
S’il ne fait aucun doute que le filtrage est une volonté manifeste d’orientation de l’HADOPI, on pourrait néanmoins imaginer que le but final ne soit pas celui envisagé initialement.
Lors de mon précédent article, je m’attardais sur la première hypothèse. Je vais essayer, dans celui-là, d’en mettre en avant une seconde, moins polémique et paranoïaque. La question m’ayant mené à la recherche de cette seconde hypothèse est la suivante :
Pourquoi un projet de loi, dont l’ambition cachée ne serait, ni plus ni moins, que la restriction ne nos droits les plus fondamentaux par filtrage (vie privée, liberté d’opinion, liberté d’information …) est-il rédigé d’une manière aussi légère, avec aussi peu de soin apporté aux détails, notamment, au niveau de la mise en œuvre ?
Quelle que soit notre opinion sur le pouvoir en place, nous pouvons quand même imaginer que pour l’initiation d’un tel projet, il l’aurait préparé dans un environnement bien plus feutré, avec des personnalités bien plus crédibles et compétentes, de manière moins médiatique et à une période plus propice à un passage dans l’indifférence générale. Les sherpas et autres conseils dans l’ombre du pouvoir maîtrisent suffisamment bien ces données pour ne pas se fourvoyer de la sorte. Alors, où se situe le hic, le truc qui nous échappe et qui, pourtant, est là, devant nos yeux, sachant que la protection de la création est disqualifiée depuis longtemps ?
Une orientation sur la réponse vient de deux articles du projet de loi, passés inaperçus ou presque, et que j’avais peut-être mal interprété dans mon précédent sujet :
- La mise en place d’une labélisation de sites commerciaux privés possédant une offre légale, avec une obligation faite aux moteurs de recherche de mettre en avant ces sites labélisés au détriment de ceux qui ne le sont pas. En clair, une autorité administrative (sous contrôle total de l’état) se voit attribué le pouvoir de promotionner des entreprises privées (selon des critères, bien sûr, inconnus) en leur offrant une visibilité accrue et gratuite sur les moteurs de recherche, qui sont les sites les plus visités sur internet et ceux apportant le plus de trafic aux sites de e-commerce (et, accessoirement, réalisant des profits gigantesques).
- La possibilité pour les industries du divertissement de saisir un juge afin de faire cesser une atteinte à un droit d’auteur par une mesure à l’encontre de toute personne susceptible d’y remédier. Alors que la LCEN dédouanait les hébergeurs et les FAI en cas de contenu illicite, HADOPI semble mettre tous les acteurs dans le même panier et désigner, de fait, celui qui sera le plus facilement identifiable et le plus efficace, à savoir le FAI qui peut limiter voire bloquer l’accès à ces contenus pour tous ses abonnés d’un seul coup. On peut même penser que le fameux « spyware » sera aussi utilisé pour bloquer l’accès de la ligne à ces même contenus.
Une fois réunis, ces deux articles aboutissent à un constat frappant : la volonté manifeste de modifier l’ordre et de rééquilibrer le pouvoir dans le combat économique majeur qui réuni les industries des télécoms, les acteurs du e-commerce (avec au premier plan les industries du divertissement) et les acteurs incontournables du net (les moteurs de recherche). Ce ne serait, d’ailleurs, pas la première fois qu’une telle tentative d’interventionnisme verrait le jour sous l’ère Sarkozy : la suppression de la publicité sur France Télévision est aussi une volonté d’intervenir sur la répartition des profits dans un secteur économique, tout comme la fusion GDF-Suez.
En ces temps de crise économique profonde, durant lesquels le e-commerce représente une source réelle de croissance et d’emplois, cet arbitrage n’est pas anodin. Il marque la volonté de l’état de faire bouger les lignes en permettant aux acteurs commerciaux institutionnels (certains étant des proches du chef de l’état) de reprendre une partie du retard qu’ils ont concédé aux acteurs alternatifs issus du développement des NTIC.
Nous voici bien loin des desseins (que je dénonçais aussi) prêtés au gouvernement de mettre la main sur notre opinion (même si des petits cavaliers, par-ci par-là dans cette loi, peuvent le laisser penser). Il semblerait qu’il cherche, avant tout et une fois de plus, à la mettre sur notre porte-monnaie !
Dans ce cadre, la légèreté dénoncée dans la rédaction de ce projet de loi semble bien plus logique et accrédite cette hypothèse. Le coté approximatif du gouvernement (dans le choix des hommes et la rédaction) est beaucoup plus habituel lorsqu’il exprime sa volonté d’intervenir dans un secteur économique (un beau précédent avec l’affaire Perol/Natexis) que lorsqu’il s’attaque à nos libertés (EDVIGE par exemple).
Il n’empêche au final que, quelle que soit la volonté réelle cachée derrière l’HADOPI, les seuls qui ne semblent absolument intéressés soient bien les créateurs et les artistes ! Ils risquent fort d’être les véritables dindons de la farce (les consommateurs l’étant déjà depuis longtemps) dans un jeu dont ils ne sont qu’un maillon anodin et interchangeable !