Dinko Sakic, le commandant de l’« Auschwitz croate », enterré dans son uniforme oustachi
Mardi dernier quelque 300 personnes ont assisté à Zagreb à l’enterrement de Dinko Sakic, un ancien commandant du camp de concentration de Jasenovac, l’un de ceux développés par le régime oustachi d’Ante Pavelic allié aux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, autrement connu comme l’"Auschwitz croate".
Au-delà du fait que la présence d’autant de monde à la cérémonie de mise en terre d’un tel personnage plus de 60 ans après la fin de la guerre soit assez dérangeante en soi, celui que Sakic (prononcez Shakitch) ait été enterré dans son uniforme oustachi est assurément choquant et les propos tenus par le prêtre catholique ayant officié proprement scandaleux.
Le discours de ce dernier, à défaut de provoquer la réaction des Serbes, les principales victimes de Jasenovac, probablement restés discrets parce qu’encore en partie tétanisés par l’opprobre dont on les a revêtus à l’occasion du drame yougoslave et trop occupés par la saga de la remise de l’ancien chef politique des Bosno-Serbes Radovan Karadzic au tribunal de La Haye, ne manqua pas cependant de faire réagir la communauté juive de Croatie et le Centre Simon Wiesenthal en Israël.
Condamnant « les circonstances honteuses ayant accompagné l’enterrement de Sakic », qu’ils considèrent être « la plus profonde insulte à la piété des victimes du régime criminel oustachi », les juifs de Croatie dénoncèrent également le fait que le prêtre Vjekoslav Lasic ait affirmé que le régime oustachi croate de l’époque « constituait une base de la Croatie d’aujourd’hui » et que « tous les Croates honnêtes devraient être fiers de Dinko Sakic. »
Efraim Zuroff, qui dirige le Centre Simon Wiesenthal à Jérusalem, adressa une lettre au président croate Stjepan Mesic dans laquelle il écrit : "L’idée que l’ancien commandant de Jasenovac, incontestablement l’un des plus terribles camps de concentration en Europe à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, dans lequel ont été systématiquement assassinés de nombreux Serbes, Juifs, Croates antifascistes et Roms innocents, puisse être enterré dans son uniforme oustachi, et que ce faisant le prêtre le loue comme exemple pour tous les Croates, est une lourde injure à tous ceux qui ont été victimes des Oustachis, de même que pour les personnes de par le monde qui ont une conscience."
Réagissant à la lettre de Zuroff, la présidence croate émit un communiqué rappelant que Mesic a régulièrement, et de façon non équivoque, déploré tous les crimes commis par le régime oustachi, qu’il qualifie de criminel. Elle ajouta qu’il demanda "à toutes les institutions concernées de faire le nécessaire pour que l’enterrement de Dinko Sakic, impudemment utilisé pour la réhabilitation du régime oustachi, ne porte pas atteinte à la réputation mondiale de la Croatie", et ne produise un effet dommageable à long terme sur certains jeunes désorientés. Sur ce dernier point, il faisait peut-être allusion aux gamins beuglant « tue, tue le Serbe » il y a deux mois au concert donné en plein cœur de Zagreb par Marko Perkovic, alias Thompson, dont l’apologie du régime d’Ante Pavelic est l’une des marques de fabrique.
C’est tout jeune lui aussi, à l’âge de 21 ans, que Sakic arriva à Jasenovac en 1942 et parvint ensuite à grimper l’échelle hiérarchique jusqu’au poste de commandant qu’il occupa pendant sept mois en 1944. Petit protégé du responsable de tous les camps de concentration croates, Vjekoslav Luburic, il en épousa la sœur Nada (signifiant Espoir en serbe), qui elle-même débuta une carrière de garde à la section des femmes du camp de Stara Gradiska à l’âge de 16 ans.
La guerre perdue, Sakic et son épouse se réfugièrent en Argentine, où ils arrivèrent comme Ante Pavelic grâce au réseau d’exfiltration mis en place par le Vatican. C’est sous son vrai nom qu’il y vécut au grand jour pendant plus d’un demi-siècle avec sa femme, désormais rebaptisée Esperanza, tout en menant une affaire de textile. Dans les années 90, il donna même des interviews à des journaux croates et affirma en 1994 à la revue Magazin, à l’occasion de la visite d’Etat du président croate Franjo Tudjman à Buenos Aires, qu’il était fier de qu’il avait fait et le ferait à nouveau, tout en déplorant qu’il n’y ait pas eu davantage de Serbes à mourir à Jasenovac.
« Déniché » par le chasseur de nazis Zuroff, il fut renvoyé en 1998 en Croatie où, reconnu coupable de la mort d’au moins 2 000 détenus entre mai et novembre 1944, il fut condamné à vingt ans de prison l’année suivante pour crimes contre l’humanité. Il décéda le 21 juillet dernier à l’âge de 86 ans dans un hôpital de Zagreb où il avait été transféré parce que souffrant d’une « grave maladie » dont la nature ne fut jamais révélée, mais que beaucoup soupçonnent de s’appeler vieillesse. Certains médias croates rapportèrent qu’à son enterrement le père Lasic estima que « la cour qui condamna Dinko Sakic condamna également la Croatie et le peuple croate ».
A défaut de condamner les fréquents excès de glorification d’un passé fasciste, l’Union européenne, que la Croatie se prépare à rejoindre, n’est pas des plus disertes en matière de remontrances dont elle n’est pourtant pas avare vis-à-vis de sa voisine la Serbie, chez qui la moindre expression patriotique est immédiatement dénoncée comme celle d’un nationalisme des plus odieux. S’agit-il là de simple négligence ou faut-il y voir la marque d’une éventuelle mansuétude envers la renaissance manifeste d’un certain état d’esprit d’avant-guerre ?
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