Diplomatie française en Syrie : la trahison historique
Depuis 2007 et l'élection de Nicolas Sarkozy, on ne comprend plus grand chose à la diplomatie française. Quel objectif poursuit la France ? Quelle est la cohérence historique de la position française en Syrie ? A quelles influences sommes nous soumis ?
En décembre 2010 en Tunisie, débutait ce qu’on appela par la suite le « printemps arabe », conjonction de mouvements populaires insurrectionnels ayant pour point commun la contestation des régimes autoritaires en place dans les pays arabes. Des mouvements similaires bien que parfois différents dans leurs causes, eurent alors lieu dans de nombreux pays de la sphère arabe, Egypte, Yémen, Libye, Bahreïn, Algérie, Maroc, Jordanie, et Syrie pour ne citer que les principaux. Si le résultat de ces mouvements fut un renversement du gouvernement en place pour la Tunisie, la Libye et l’Egypte, ce ne fut pas le cas pour les autres pays, parfois par les concessions, comme au Maroc ou en Jordanie, par la fermeté, comme en Algérie, ou par une intervention militaire extérieure, comme ce fut cas au Bahreïn. La Syrie, elle, vit un destin bien singulier, puisque le mouvement de contestation démarré en mars 2011 s’est transformé en une guerre civile sanglante et destructrice toujours en cours en septembre 2013, ayant résulté en des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés, une situation humanitaire désastreuse et des centaines de sites archéologiques inestimables détruits.
Face à ce malheur, le gouvernement français, adopta une position tranchée consistant à condamner le gouvernement syrien et à soutenir les opposants. Cette position, certes dans la continuité de l’engagement français en Libye, ne fut pas toujours aussi tranchée dans le cas des révoltes arabes, tant en Tunisie, dont on se rappelle les atermoiements de la diplomatie française, qu’au Bahreïn, où la répression des révoltés par les troupes saoudiennes ne déclencha aucun toussement du côté du quai d’Orsay. Toutefois, au-delà des positions de principe, la situation syrienne est bien spécifique, tant dans la complexité de sa dimension historico-culturelle, que dans l’implication de nombreuses puissances régionales et internationales. Il est donc légitime de se poser la question de la position française, tant au niveau de ses fondements que de son efficacité et d’en analyser les phrases et prises de position clefs, souvent reprises en cœur et sans discernements par les principaux medias
La révolte syrienne, un soulèvement du peuple contre un régime tyrannique ?
A l’instar de nombreux pays arabes, le régime syrien est un régime autoritaire, dans lequel une opposition muselée ou interdite ne permet pas une vie démocratique au sens où nous l’entendons dans les pays occidentaux. Ceci est indéniable, et peut expliquer le soulèvement d’une partie de la population syrienne ; toutefois, si des contestations eurent lieu initialement dans des universités, on observe que la révolution démarra souvent dans des lieux économiquement pauvres, comme la province de Deraa, ou encore certaines banlieues de Damas ou de Homs, ce qui plaide plutôt pour une contestation sociale d’une mauvaise répartition des richesses et de la croissance des dernières années. En outre, si le régime est autoritaire, l’adjectif tyrannique ne semble pas s’appliquer à lui. La Syrie est un pays où les libertés culturelles, religieuses et économiques sont respectées, et où la femme connait un bien meilleur sort que dans nombre de pays arabes. Il suffit pour s’en rendre compte de comparer le style vestimentaire d’une journaliste de la télévision syrienne, à celui d’une journaliste de la télévision saoudienne. Quel régime enfin n’est pas autoritaire, à part peut-être le Liban et la Turquie, dans une région où plusieurs Etats sont encore dirigés par des monarchies plus ou moins absolues.
Le peuple syrien ne s’est pas révolté comme un seul homme, et loin de là. D’une part géographiquement, on observe que des zones entières comme la côte alaouite, Raqqa, le nord-est, le djebel druze ou encore Alep n’ont été que très peu touchées dans les premiers mois de contestation ; d’autre part les sunnites, groupe majoritaire (près de 70%) mais en fait très hétérogène, n’ont pas tous suivi la rébellion, toute une partie de la bourgeoisie sunnite des grandes villes défendant même vigoureusement Bachar-Al-Assad, tandis que les kurdes, sunnites mais de langue indo-européenne, essayaient de se tenir à l’écart du conflit. Quant aux autres minorités, chrétiens, druzes, ismaélites, et surtout alaouites, ils ont souvent essayé de garder une neutralité, mais au fur et à mesure que la guerre exacerbait les tensions, ils ont soutenu de plus en plus ouvertement Bachar-Al-Assad, qu’ils voient comme un rempart au chaos et à l’extrémisme religieux de certains rebelles.
On voit donc bien que, outre que le gouvernement syrien est autoritaire mais pas tyrannique, la révolte syrienne ne s’est pas faite par le soulèvement d’un peuple entier, mais par celui d’une partie de la population, pour des raisons essentiellement sociales dans un premier temps, puis dans un second temps avec une confessionnalisation du conflit, résultat logique d’une guerre dans laquelle la neutralité ne peut être tenue.
Le régime syrien réprime son peuple dans le sang ?
L’argument principal des chancelleries occidentales face au régime de Bachar-Al-Assad est que ce régime réprimerait les opposants dans le sang, les bombardant sans discernement et utilisant à tout-va son aviation. Dès lors, un gouvernement qui bombarde et qui tue son peuple perd toute légitimité. C’est David contre Goliath, et il faut évidemment aider David.
Cet argumentaire qui n’est pas nouveau puisqu’il a déjà été employé en Libye pour justifier l’intervention de l’Otan, ne résiste pas non plus à un examen attentif de la situation en Syrie depuis le début du soulèvement. Dans un premier temps, et dès le 17 février 2011 ; le gouvernement tenta d’apaiser la situation par des mesures d’urgence : baisse de taxes sur les produits alimentaires, report des hausses de prix, renvoi de fonctionnaires corrompus, recrutement de fonctionnaires, .. Malgré cela, le mois de mars 2011 vit une amplification de la contestation avec des manifestations de masse et l’attaque de bâtiments publics, en particulier à Deraa. Le gouvernement alterna alors répression musclée, propositions de dialogue et libération de prisonniers politiques, allant même jusqu’à abroger l’état d’urgence le 21 avril ; le 5 avril 2011, la fédération internationale des ligues des droits de l’homme recensa 123 personnes tuées entre le 18 mars et le 1er avril 2011, ce qui, compte tenu des dizaines de milliers de manifestants dans tout le pays et de l’ambiance insurrectionnelle, démontre une certaine retenue dans la répression. L’armée, elle, n’est employée qu’à compter de fin avril 2011 dans certaines villes contrôlées par les manifestants. Le conflit s’est ensuite militarisé, avec la désertion de nombreux soldats de l’armée régulière et la constitution de l’armée syrienne libre. A cette évolution, l’armée syrienne répondit par une escalade de ses moyens militaires, et commença en particulier à bombarder les zones tenues par l’ASL ou d’autres groupes insurrectionnels. L’aviation fut progressivement employée contre les zones tenues par les insurgés, ce qui provoqua des victimes militaires et civiles, bien qu’il soit particulièrement difficile étant donné l’implication d’un côté ou de l’autre des médias et des organismes comme l’OSDH (Office Syrien des Droits de l’Homme), pro-rébellion et largement repris dans les médias occidentaux, de faire la part entre les victimes rebelles armées et les simples civils. Il est aussi fait état de l’utilisation par le gouvernement de missiles longue portée (scud), mais ceci n’a pas été prouvé, seuls des rapports de l’opposition en faisant état.
Au final, on observe une escalade progressive des moyens de répression et des moyens militaires du gouvernement syrien face à une opposition qui a elle-même augmenté ses moyens d’action et ses effectifs, ce qui est compréhensible d’un point de vue militaire, un gouvernement ne pouvant pas se défendre à fleurets mouchetés face à une insurrection armée et approvisionnée par des puissances régionales (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar).
L’autre argument : les armes chimiques
Face à ce qui est une vraie guerre civile, avec son lot d’atrocités, il reste ce que la « communauté internationale », en fait l’occident, a appelé une ligne rouge, à savoir l’utilisation d’armes chimiques. Le débat actuel faisant suite à l’attaque présumée du 21 aout 2013 porte plus sur la responsabilité des attaques que sur l’emploi des armes chimiques elles-mêmes, car celles-ci ont déjà été reportées sur le champ de bataille, de manière isolée, mais sans qu’une preuve juridique formelle (c’est-à-dire acceptée par un organisme international tel que l’ONU) fût apportée. On se rappelle – ainsi plus tôt cette année de la « preuve » apportée par les journalistes du monde – de l’utilisation d’armes chimiques, et des déclarations françaises sur l’existence de ces preuves, mais on se souvient aussi du procureur du Tribunal pénal international, Carla Del Ponte, déclarant que ces armes chimiques avaient été utilisées par l’opposition, ou de l’arrestation à la frontière turque, de membres du front Al Nusra (opposition djihadiste) en possession de gaz sarin.
En matière d’arme chimique, les cartes sont donc brouillées, et s’il y a eu utilisation de gaz chimique, il est difficile d’établir les responsabilités réelles.
Comment expliquer la position française ?
La position française apparait contradictoire à plusieurs niveaux :
Du point de vue de l’histoire
La France a toujours eu une influence importante au Levant, depuis les croisades, dont les effectifs étaient largement constitués de Français, jusqu’au mandat français sur la Syrie au XXè siècle, ou encore les interventions au Liban des années 1980. Si les croisades se justifiaient pas un objectif divin, celui de libérer les lieux saints, il s’agissait aussi de protéger les chrétiens de ces lieux face aux « infidèles ». Au XIXè siècle et au début du XXè siècle, la France a toujours été du côté des minorités religieuses ou ethniques, qu’elles soient chrétiennes comme au Liban, ou alaouites, qui virent leur statut de dominé en Syrie changer complètement lors du mandat français. Plus récemment, et jusqu’au milieu des années 2000, la France avait une voix originale et écoutée au Moyen Orient, marquée par la volonté de se démarquer de l’axe américano-israélien en Palestine, et par le souci de faire coexister les communautés au Liban. Cette originalité éclairée de la France connut son point culminant lors de la crise irakienne en 2003 et du refus de Jacques Chirac de s’engager dans une guerre punitive et illégitime en Irak.
L’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir rompit avec cette diplomatie indépendante, en alignant la France sur les Etats-Unis : Retour dans l’OTAN, position sur l’Iran, intervention en Libye, position sur la Syrie, opposition à la Russie,.. François Hollande et Laurent Fabius ont alors repris en 2012 le même positionnement.
Du point de vue des droits de l’homme
Si la France a toujours revendiqué son attachement aux principes de défense des droits de l’homme, on peut douter, dans le cas des printemps arabes, que ce critère soit déterminant. Certes, les régimes combattus pas la France (Libye, Syrie) ne sont pas des modèles de respect des droits de l’homme, mais ils sont loin d’avoir le monopole des violations des droits humains, les situations au Barhein, au Yemen ou en Arabie Saoudite, n’étant pas meilleure et même bien pires du point de vue du droit des femmes. De même, certains groupes rebelles en Syrie sont les auteurs d’exactions (exécutions sommaires, décapitations, et même un cas d’anthropophagie), et instaurent dans les zones qu’ils gouvernent de véritables califats islamiques dans lesquels le seul droit est celui de la charia. La France ne peut donc pas invoquer le principe de respect des droits de l’homme pour intervenir en Syrie, à moins d’intervenir aussi dans la plupart des pays de cette région.
Du point de vue de la lutte contre le terrorisme
Si la France est intervenue en Afghanistan, ou au Mali, c’était au nom du principe de lutte contre le terrorisme international, et en particulier du terrorisme fondamentaliste musulman, auteur des attaques du 11 septembre 2001. Il est donc bien étonnant de voir la position française en Syrie, alors que les terroristes djihadistes (et en particulier le Jabhat al Nusra et l’état islamique en Irak et au Cham), sont justement ceux contre qui lutte le gouvernement syrien. La France soutient donc en Syrie ceux qu’elle a combattus au Mali et en Afghanistan.
Alignement sur les Etats-Unis et Pétro-dollars
En réalité, la politique extérieure de la France au proche et Moyen orient ne peut se comprendre que par deux éléments :
L’alignement aveuglé à la diplomatie américaine depuis que Nicolas Sarkozy a abandonné la position indépendante et originale de la France, ce qu’on a appelé en particulier la politique arabe de la France, et qui a été marqué par un suivisme prégnant sur les dossiers arabes et iraniens.
L’influence grandissante des pétromonarchies, et en particulier, en ce qui concerne la France, du Qatar, dont les opérations de mécénat, investissement et lobbying ne se comptent plus dans l’hexagone, et qui a ouvertement arrosé de pétrodollars nombre de nos responsables politiques, mais aussi intellectuels et sportifs. Or, le Qatar est, on le sait, le principal soutien des frères musulmans, actuellement en lutte en Egypte. Le Qatar soutient donc en Syrie les mouvements affiliés aux frères musulmans, mais est aussi bienveillant envers les groupes fondamentalistes cités plus haut. On avait d’ailleurs vu le Qatar passablement énervé de l’intervention française au Mali, qui se faisait contre ses protégés islamistes.
La France a toujours été particulièrement impliquée au proche et Moyen Orient. Il suffit de rappeler qu’un de nos rois, Saint Louis y mourut (Tunisie), tandis que Napoléon construisit en Egypte une partie de sa légende. Lors du mandat français de l’entre-deux guerres, elle a soutenu les minorités qui étaient souvent opprimées sous les ottomans, et a détaché le Liban de la Syrie pour que ces communautés s’épanouissent. Le Général de Gaulle, puis les autres présidents jusqu’à Jacques Chirac ont conduit une diplomatie indépendante des Etats-Unis, marquée par une meilleure compréhension des intérêts arabes.
Depuis 2007, la France s’est alignée bêtement sur les Etats-Unis, et a multiplié les contradictions, parfois dans l’inaction (Tunisie), ailleurs dans l’intervention irréfléchie (Libye), tandis qu’elle combattait justement les djihadistes au Mali pour les soutenir en Syrie. Aujourd’hui, les populations chrétiennes, druzes, ismaéliennes, alaouites de Syrie et d’ailleurs savent qu’elles ne peuvent plus compter sur leur protecteur historique. Elles se sont tournées vers la Russie. La France a désormais une diplomatie sans doctrine et sous influence.
- par Agathocle de Syracuse
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