Droite décomplexée, pseudo-gouvernance et communication : le cas Hebbadj
Il fut un temps où « être de droite » était loin d’être une sinécure. J’en sais quelque chose, moi qui l’ai été à un âge où être de gauche est considéré comme allant presque de soi.
En ce temps-là, nous étions forcément ringards, à côté de la plaque, et la société nous mettait plus ou moins en demeure de nous asseoir sur nos propres convictions. La responsabilité n’en incombait pas au Front National, mais bien aux dirigeants mêmes de cette droite dite « républicaine », Jacques Chirac en tête, pour lesquels chaque sujet ou thématique abordé par l’extrême-droite devenait immédiatement tabou, estampillé ad vitam eternam de la « Marque de la Bête », inabordable, mis à l’index. L’identité nationale, l’immigration, la sécurité constituaient alors le tiercé perdant de tous ces pauvres hères suspectés de sympathies fascisantes alors que leur inclinaison naturelle les portait plutôt vers l’adoration de la Croix de Lorraine et du Général. Le gaullisme lui-même n’était-il pas considéré comme vaguement honteux, lui que ses prétendus thuriféraires de feu le RPR s’employèrent à vider de sa substance pour lui substituer une usine à gaz libérale, pro-européenne et, à présent, atlantiste
Caricature de caricature
Pour tous ceux qui, comme moi, furent de droite envers et contre tout (et tous), l’idée d’une "droite décomplexée" eut pu paraître hautement séduisante. Quelle liberté c’eut été de pouvoir enfin aborder tous ces sujets, jusque là frappés du sceau de l’infamie, et pour lesquels on écopait systématiquement de regards noirs et de moues réprobatrices, de ceux qu’on réserve en principe à un enfant de choeur surpris à se gaver de vin de messe en plein milieu de l’office dominical.
Las, la droite décomplexée s’incarne dans des figures pathétiques aux discours idiots, dépourvus de sens, immoraux et abscons : les Lefebvre, les Hortefeux, les Bertrand et autres Morano. Sans oublier Éric Besson, le transfuge qui compense ses origines politiques de gauche par un discours droitiste toujours plus caricatural, faisant hurler à gauche (mais, me direz-vous, à gauche on crie pour n’importe quoi) et pleurer à droite.
Il n’y avait pourtant, comme le laisse entendre un discours persistant à gauche, aucune infamie à vouloir récupérer les électeurs du Front National, et il était nécessaire, pas simplement du point de vue électoral mais aussi, et surtout, du point de vue intellectuel, de mettre un terme à ces quelques vingt années de loi du silence chiraquienne qui avait plombé la droite, la soumettant à une chape de plomb moralisatrice dont les élites bien-pensantes de gauche surent user et abuser. Et néanmoins la "décomplexion" sarkozienne est une occasion ratée, elle qui donne lieu, non à un aggiornamento idéologique que beaucoup appelaient de leurs vœux, mais à des cafouillages en série, expression de la médiocrité intellectuelle des dirigeants du post-chiraquisme. Le dernier avatar de la "polémique" sur l’interdiction du voile intégral le démontre avec un ridicule quasi-guignolesque.
Rappelons les faits : le 2 avril, Anne Hebbadj, une jeune femme vêtue d’un niqab, fait l’objet d’un contrôle de police alors qu’elle est au volant de sa voiture. Les policiers la verbalisent alors en se fondant sur l’article 412-6 du Code de la route, pour "conduite dans des conditions non aisées". En plein milieu du "débat" sur l’interdiction totale du voile intégral de l’espace public, cette affaire tombait en fait plutôt mal pour les partisans du recours à la loi, dans la mesure où elle brouillait le message davantage qu’elle ne clarifiait les choses : les policiers ont-ils cru bon de devancer le projet législatif à venir, en s’appuyant sur un article au libellé plutôt large et au contenu assez flou ? Et finalement, qu’est-ce qui motive cette interdiction du voile intégral ? L’identité nationale, la dignité de la femme ou la sécurité routière ?
Étant moi-même favorable à une loi en ce sens, j’aurais apprécié que les fondements en soient précisés, et le juriste aurait voulu qu’on réfléchisse à des conditions d’applications optimales. Il n’en sera malheureusement pas ainsi, le gouvernement envisageant maintenant de recourir à la procédure d’urgence : Nicolas Sarkozy entend foncer tête baissée, quitte à risquer la censure du Conseil constitutionnel, en s’appuyant sur l’opinion majoritairement favorable au projet. Il est difficile de dire comment se terminera cette confrontation, mais il plus que certain que les institutions de notre pays n’en ressortiront pas renforcées.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là, et rebondit lorsqu’on apprend que le mari de cette femme, un certain Liès Hebbadj, serait soupçonné de polygamie. Divine surprise pour les caciques de la droite décomplexée ? Apparemment oui : le 23 avril au soir, suite à une conférence de presse donnée par la jeune femme, Brice Hortefeux se dépêche d’adresser un courrier à son collègue Ministre de l’Identité nationale, afin qu’il étudie les possibilités de déchoir M. Hebbadj de sa nationalité.
Notons d’abord que, d’un point de vue juridique, la requête de Brice Hortefeux est étonnante... pour ne pas dire grotesque : la déchéance de nationalité, peine rare s’il en est -seules deux à trois seraient prononcées chaque année, est limitée à un certain nombre de cas énumérés à l’article 25-1 du Code civil. Ainsi, ne sont susceptibles d’entraîner la déchéance de nationalité que les condamnations pour "acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou (...) crime ou un délit constituant un acte de terrorisme", " acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du Titre III du Livre IV du Code pénal" (c’est-à-dire les atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique), "s’être soustrait aux obligations résultant (...) du code du service national" et "actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France", au profit d’un État étranger. Rien qui évoque, de près ou de loin, la polygamie ou la fraude aux allocations familiales.
Communication en vase clos
Incongruité juridique, donc, l’idée de Brice Hortefeux devient une ineptie politique entre les doigts d’Éric Besson. Car la machine s’emballe, et les porte-voix de l’UMP empile une erreur d’interprétation sur une erreur d’appréciation : pour eux, la polygamie supposée du mari est une aubaine, tout comme l’est, et bien qu’on aie, curieusement, moins insisté sur ce point, son appartenance au tabligh, mouvement religieux fondamentaliste.
Erreur d’interprétation politique, disais-je : loin d’apporter de l’eau au moulin de l’interdiction du voile intégral, cette nouvelle polémique brouille un peu plus le message adressé aux citoyens quant aux fondements idéologiques de cette interdiction, ravivant du même coup les oppositions à gauche. Là où il eut été possible de trouver un fondement politico-juridique et des modalités d’application qui satisfassent tout le monde, le tandem Hortefeux-Besson divise, tranche, met inutilement de l’huile sur le feu. Et la bien-pensance de gauche de reprendre, en réponse, sa sempiternelle et ennuyeuse ritournelle anti-fasciste, accusant la majorité de chasser, une fois encore, sur les terres du Front National.
Évidemment, l’accusation n’est sans doute pas totalement infondée. À deux ans de l’échéance présidentielle, qui s’étonnerait de voir Nicolas Sarkozy, via ses porte-flingue, tenter de battre le rappel de ses électeurs ? Et c’est là que réside l’erreur d’appréciation des dirigeants UMP, de croire que les électeurs du FN vont revenir vers eux, simplement parce qu’ils tapent sur les musulmans. Erreur, donc, car ces électeurs là, ceux que Nicolas Sarkozy avait réussi à voler à Jean-Marie Le Pen, sont partis depuis fort longtemps, réfugiés dans l’abstention quand ils ne sont pas, tout simplement, rentrés au bercail, car ils ont fort bien assimilés que le discours "national" du Président de la République ne relevait que d’une posture strictement électoraliste. Ils ne reviendront pas si facilement vers l’UMP. Sans doute même ne reviendront-ils jamais, en dépit des exposés caricaturaux de Frédéric Lefebvre qui entendait voici quelques mois interdire aux femmes portant niqab ou burqa l’accès aux... titres de transport. Il n’y a, à cet égard, guère de différence entre la droite décomplexée et la gauche anti-raciste : l’une et l’autre prennent l’électeur frontiste pour un débile mental.
Et sans doute pas que l’électeur frontiste, à bien y réfléchir. Car rien n’indique que Liès Hebbadj soit polygame au sens où la loi l’entend : certes il aurait des enfants de plusieurs femmes et il entretiendrait, plus ou moins à la vue et au su de tous, ses nombreuses familles. Mais aucune preuve n’a jusqu’à présent pu être rapportée concernant d’éventuels mariages civils en cascade. Le même Liès Hebbadj, tenant une conférence de presse en pleine rue, ridiculise alors les ministres et responsables UMP dans son français des plus approximatifs : "La France n’interdit pas les maîtresses", explique-t-il. On aurait effectivement du mal à justifier que tout mari trompant sa femme devrait se voir déchu de sa nationalité française.
Qu’importe cependant pour les hauts dignitaires de la droite décomplexée, qui poursuivent sur leur lancée. Il y a du Gribouille chez ces gens-là, qui se jettent à l’eau pour se protéger de la pluie. Leur manie de se jeter sur le plus petit fait divers, enterré en bas de la page de la rubrique des chiens écrasés -car c’est là que cette prétendue affaire de polygamie, mais vraie affaire de fraude aux allocations, mérite de figurer- pourrait à terme se retourner contre eux. Car gouverner consiste à prévoir les évènements, non à courir après. Or c’est précisément l’image que donne aujourd’hui le gouvernement de Nicolas Sarkozy, et on peut se demander combien de temps encore le "peuple de droite" tolérera d’être représenté par une clique imbécile, virtuellement incapable de faire marche arrière lorsqu’elle commet une erreur, précisément parce qu’elle se sait tout aussi incapable de prévoir ces mêmes erreurs. Un journaliste disait hier sur BFM TV : "La maison UMP brûle". Dommage que la brigade du feu soit composée de pyromanes.
Frédéric Alexandroff
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