DSK, ou le libéralisme fait homme
Depuis ce lundi 2 février, et pendant trois semaines, se déroule à Lille en correctionnel le procès de l'affaire du Carlton de Lille où un ex directeur du FMI, ex ministre de l'Economie et des Finances, ex futur candidat à la Présidence de la République, sacré meilleur économiste de France, comparait pour une sombre histoire de proxénétisme. Pendant des semaines on va se poser la question de savoir si l'homme en question savait ou non si les jeunes femmes qu'il brutalisait pour la seule satisfaction de ses pulsions sexuelles étaient ou non des prostituées. Question dérisoire tant la violence des faits trahit la vérité que l'on veut nous faire avaler.
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UN HOMME DOMINE PAR SES PULSIONS
On nous dépeint le personnage comme un homme sympathique, comme un "roi de la fête", amateur de bonne chair et de soirées libertines. Bref un homme qui avec les responsabilités qu'il exerce aurait bien le droit avec ses amis et ses amies de se payer un peu de bon temps entre deux rencontres internationales. Le problème est que ces "copines" invités par ces entremetteurs de Lille n'ont jamais fait partie des fréquentations habituelles de l'illustre personnage. Le témoignage des diverses victimes est sans appel.(1) Certaines assurent que les partouzes, qualifiées tantôt de "boucherie" ou "d'abattage", n'avaient rien à voir avec l'ambiance feutrée et joyeuse qu'on est censé prêter aux rencontres libertines ou échangistes. Le premier témoignage de Jade, une des nombreuses prostituées occasionnelles, ce mardi 3 février, est éloquent sur l'exploitation de la misère humaine par un puissant. Puissant qui ne fait qu'abuser de son pouvoir sur une bande d'intrigants de seconde zone qui, fascinés par l'homme, en se chargeant d'organiser le rabattage sordide du "matériel", espéraient en secret beaucoup en retour de ce haut personnage, censé exercer dans un futur antérieur les plus hautes fonctions de l'Etat.
C'est bien parce que les relations sexuelles étaient tarifées que cet alors dirigeant du F.M.I. se croyait autorisé à assouvir brutalement ses pulsions sur ce qu'il estimait être que du "matériel", des objets sexuels. Pendant trois semaines on va ergoter pour savoir si DSK était un proxénète ou non alors qu'en d'autres lieux et d'autres temps on aurait qualifié ces actes de criminels ce qui auraient définitivement discrédité le personnage.
Mais ce qui est le plus étonnant dans cette sombre histoire est l'incroyable tolérance de l'ensemble de la société sur de tels agissements surtout lorsque ceux-ci sont l'oeuvre des puissants. Si en 2017, cet homme était à nouveau candidat à l'élection présidentielle, il ne ferait aucun doute qu'il serait élu.
Après tout de tels comportements ne sont-ils pas banals dans une société où tout doit concourir vers la réussite individuelle et l'assouvissement sans limite de ses désirs , où l'amour de soi s'est peu à peu substitué à la considération, l'empathie et le respect envers les autres, où le culte des égos l'emporte sur la préservation du bien commun ? La culture dominante de ce milieu de l'élite internationale n'est-elle pas caractérisée par un seule règle de conduite : celle de l'absence de limite ?
Dans cette société où tout est marchandise, tout laisse à penser que c'est en étant avide, égoïste et soucieux de ses propres intérêts et plaisirs qu'on contribuerait au mieux à la prospérité générale.
DANS UN MONDE OBSCENE.
On vit dans un monde où, depuis plus de 35 ans, l'ultra-libéralisme qui règne en maître s'évertue à dispenser l'individu du respect de règles communes et de principes philosophiques qui devraient fonder le vivre ensemble. Depuis quelques décennies, le marché mondial et son élite, « s’est interdit de s’interdire » quoi que ce soit et a laissé libre cours à l’avidité, à la démesure, au toujours plus, à la construction d'un monde obscène où domine une seule obsession, celle de la réussite individuelle à tout prix.
Le philosophe Dany Robert Dufour,(2) dans un article du Monde du 3/06/2011, après l'affaire du Sofitel de New-York "l'affaire DSK, symptôme de notre temps" écrivait : Cette obscénité peut prendre diverses formes. Ce peut être soit ce que les Anciens appelaient une libido dominandi, où il s'agit de dominer en ayant toujours plus. Ce peut être une libido sentiendi qui renvoie à la volupté des sens. Les Anciens étaient fort perspicaces en ce domaine puisqu'ils disaient que ces libidos peuvent aisément se convertir l'une en l'autre dans la mesure où elles participent toutes deux de l'illimitation, de la démesure et du sentiment de toute-puissance, lequel peut fonctionner comme un puissant aphrodisiaque. Bref, cette culture constitue un milieu incitateur à tous les passages à l'acte. On sait aujourd'hui que le monde des traders était aussi celui de la prostitution et de la cocaïne. Je serai donc tenté de voir dans l'affaire DSK un véritable symptôme de notre époque, quelque chose qui dit la vérité de ce temps marqué par l'illimitation des véritables maîtres de ce monde."
Ce toujours plus, cette avidité jamais assouvie n'est-elle pas le moteur intime de la société marchande ultra libérale dans laquelle nous baignons depuis une petite quarante d'années ? Car ce sont bien les chantres du libéralisme économique qui prônent que l'avidité individuelle est la source de la prospérité collective. M. Alan Greenspan, qui a longtemps été aux commandes de la toute puissante Réserve Fédérale Américaine (Fed) est un ultralibéral qu'on écoutait beaucoup et depuis longtemps et qui était désigné comme le "Maestro", le faiseur de miracles. Interrogé au plus fort de la crise commencée en 2008 par la Commission des Etats-Unis, l'ancien génie de l'économie a déclaré ne rien comprendre à ce qui arrivait car "il avait, disait-il, toujours cru que le sens de leurs propres intérêts chez les banquiers, était la meilleure protection qui soit pour tout le monde". ( lien ) Il disait donc clairement que ce monde était celui où l'intérêt personnel, qui se confond volontiers avec le désir d'avoir toujours plus, était érigé en loi fondamentale de fonctionnement du système et, il se trompait lourdement, le garant de sa sécurité.
Déjà, au tout début du capitalisme, Bernard de Mandeville, écrivait La Fable des Abeilles (1705). La fable avance une nouvelle morale pour l'époque que l’ensemble des vices privés peut se transformer en vertus publiques. Dans les vices privés, il y a ce goût de l’avidité ; le fait d’avoir toujours plus . Bernard de Mandeville dit que c’est une bonne chose, puisqu’en voulant toujours plus, on produit toujours plus de richesses, et cela est bon pour tout le monde. "Soyez aussi avide, égoïste, dépensier pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens (...) Abandonnez ces vaines chimères. Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits".
Ainsi avec le temps on est passé d'un capitalisme patriarcal corseté par une morale puritaine à un capitalisme total et mondialisé, libéré de toute contrainte dans quelque domaine que ce soit, qui fonde sa réussite sur l'assouvissement de tous les désirs qu'il ne manque pas de susciter et sur le refus de toute frustration.
Le problème est que ce comportement généralisé de prédation illimitée de nos élites, comme dans tous les jeux à somme nulle, produit de plus en plus de perdants au fur et à mesure que les gains des gagnants sont importants. Contrairement à ce qu'affirme Mandeville, le succès des uns ne se nourrissant que des échecs et des difficultés des autres, cela ne peut conduire à terme qu' à la ruine de l'ensemble de la société.
La crise dont nous ne cessons de subir les conséquences n'est pas seulement économique et financière, elle révèle aussi les mécanismes pervers qui régissent le fonctionnement de la société qu'il faut dénoncer et neutraliser si nous ne voulons pas voir rapidement cette civilisation, qui a su ressusciter les démons, sombrer définitivement sous les coups de boutoir de l'égoïsme, de la cupidité et de la démesure. Il nous reste à nous armer moralement et philosophiquement pour affronter ce formidable défi. Mais l'exhibition permanente par médias interposés de cette jouissance que peut procurer chez ces êtres cupides le pouvoir de l'argent est en train de construire un monde sans vergogne et obscène où tout principe moral ou philosophique est obsolète. Cet étalage, rend particulièrement ardu l'enseignement à l'école de toute morale qu'elle soit laïque ou non, des règles du vivre ensemble, du respect de limites et de l'acceptation de frustrations.
Cette deuxième comparution de DSK devant un tribunal se terminera probablement comme la première, par un acquittement. Chacun sait qu'un avocat habile et bien rémunéré peut faire sortir de sa robe, tout en gardant les formes bien sûr, des témoins qui ne manqueront pas de salir à nouveau le témoignage d'une Jade ( lien ) qui, le frigo vide, pour ne pas perdre ses enfants, avait dû accepter l'inacceptable. Comme toujours le puissant sortira du tribunal la tête haute sans aucune vergogne, alors que celles qui ont eu le courage de surmonter leur honte s'en iront meurtries une deuxième fois par ce monde qui leur est hostile.
L'enchainement des évènements nous a évité de vivre un mandat présidentiel d'inspiration "berlusconienne ", formulons l'espoir qu'il nous aide à prendre conscience de la gravité de la crise civilisationnelle qui nous submerge. (3)
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(1)Voir l'article de Libération "Il aimait les rapports de force"
(2) A lire de D.R. Dufour " La cité perverse- libéralisme et pornographie"- Dénoël
(3) Un autre cas exemplaire où les intérêts privés et l'avidité sont aux commandes : Ce lundi , notre ex président de la République, président actuel de l'UMP, Nicolas Sarkozy, a plaqué la direction de son parti et le débat sur la conduite à tenir aux élections dans le Doubs pour aller faire une conférence privée et bien rémunérée à Abou Dhabi...
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