Du droit à laisser mourir au droit à faire mourir ?
La loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a consacré la distinction entre le « laisser mourir » et le « faire mourir ». Clairement le texte rejette l’idée d’euthanasie. Le 16 mars 2007, la cour d’assises de la Dordogne a rappelé le principe d’interdiction qui pèse sur le médecin de donner la mort, en prononçant à son encontre des sanctions pénales plutôt symboliques. Mais cette affaire a relancé dans le débat public la question de l’euthanasie.
1 - Le "laisser mourir" :
Avant la loi Leonetti de 2005, le droit du patient de refuser des soins existait déjà. En 1995, il figurait au Code de déontologie médicale, en 1999 dans le Code civil, et, après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, dans le Code de la santé publique.
La loi Leonetti du 22 avril 2005 est venue le renforcer et tracer une frontière claire entre le « laisser mourir » qui est admis et le « faire mourir » qui est dénié. C’est « une loi pour se tromper le moins possible », selon son initiateur, Jean Leonetti. Cette loi a été votée à l’unanimité !
Que dit cette loi ? Elle affirme le principe selon lequel les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis avec une « obstination déraisonnable ». Elle définit les cas dans lesquels ces actes peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris : « Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autres effets que le seul maintien artificiel de la vie. » Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en lui dispensant des soins palliatifs. Si le malade est conscient, le médecin doit se soumettre à sa décision de refus des soins. Mais il doit l’informer de toutes les conséquences de ce refus et, si la volonté exprimée du patient met la vie de ce dernier en danger, il « doit mettre tout en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins indispensables » (obligation prévue dès la loi de 2002). Si la personne en fin de vie est inconsciente, la personne de confiance voit son rôle renforcé : son avis prévaut sur tout autre avis sauf bien sûr "testament de vie". Le testament de vie est le document écrit qui transcrit la décision du patient. Il doit dater de moins de trois ans, ce qui signifie que ce testament de vie doit être renouvelé tous les trois ans mais ce renouvellement se fait par simple confirmation. Toute décision d’interrompre les soins est subordonnée au respect d’une procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale.
On le voit, cette loi était loin d’être inutile. Elle a été adoptée après une discussion sereine, chose qui aurait été rendue impossible si la question de l’euthanasie avait été intégrée aux débats. Cette sérénité était d’autant plus nécessaire que la loi faisait suite à l’affaire Humbert qui avait secoué l’opinion publique.
2 - Le "faire mourir" :
- L’euthanasie n’est pas légalisée :
L’un des reproches que l’on peut faire à cette loi est qu’elle ne règle pas le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie mais qui souffrent de manière intolérable sans espoir de guérison. Elle n’aurait pas réglé la situation de Vincent Humbert (décédé en septembre 2004). La solution prodiguée à cette personne gravement handicapée par sa mère et le médecin (la mère lui a administré un produit létal et le médecin a débranché le respirateur) n’est donc toujours pas une solution légale mais aura toujours cours dans la pratique quand le souci d’humanité le justifiera. Le texte ne prend pas en compte les personnes handicapées à 100 % mais non malades. C’est ce que dénonce l’association « Faut qu’on s’active », soutenue par la mère de Vincent Humbert. Jean Leonetti s’est expliqué sur ce point. Il considère qu’il ne faut pas dépénaliser l’euthanasie. Le juge est saisi d’une affaire de meurtre et peut tenir compte, parmi les éléments portés à son appréciation, de l’exception d’euthanasie. Le meurtre par compassion est examiné comme une circonstance particulière.
- Faut-il légiférer ?
Le procès très médiatisé de deux soignantes devant les assises de Dordogne, a relancé la question. Pour Marie de Hennezel, interrogée par le "Nouvel Observateur", « ce n’est pas d’une nouvelle loi dont les mourants ont besoin mais d’un véritable effort en faveur des soins palliatifs. » (voir mon article "Vivre avec la mort")
Pour Paul Benkimoun et Sandrine Blanchard du journal "Le Monde", "l’euthanasie n’est pas la solution pour la fin de vie (...). Le vrai problème, c’est l’acharnement thérapeutique."
Quant au journal "La Croix", il tente de résumer la position contradictoire du président Sarkozy, lequel a annoncé le 22 mai une « évaluation » de la loi sur la fin de vie, tout en estimant que la loi Leonetti est une "bonne loi" avec un "bon équilibre". Le candidat Sarkozy avait jeté un trouble lors de sa campagne en déclarant le 11 mars : "Quand j’entends les débats sur l’euthanasie, je veux me dire : les principes, les convictions, je les respecte, mais je me dis quand même au fond de moi, il y a des limites à la souffrance qu’on impose à un être humain". Puis le 26 avril sur France 2, il avait corrigé le tir en affirmant sa volonté d’inscrire son action dans le champ de la loi Leonetti. « Nous n’avons pas le droit d’interrompre volontairement la vie (...) Il y a une différence, ce n’est pas jésuitique, ce n’est pas hypocrite, entre faire mourir et laisser mourir. Pour moi, la vie, c’est sacré. Et faire mourir, je ne l’accepte pas. »
La Belgique et les Pays-Bas ont légalisé l’euthanasie. Mais des recherches montrent que 0,8 % des euthanasiés aux Pays-Bas et 3,2 % en Belgique l’ont été sans leur consentement. Par ailleurs, il a fallu trente ans aux Pays-Bas pour légiférer sur l’euthanasie ! Alors qu’en France la question est taboue ou violemment discutée entre les deux camps adverses radicalisés. Des limites à respecter ont été posées dont l’affirmation de la pluralité des convictions religieuses et personnelles. Or, en France la question religieuse n’est pas non plus source de sérénité des débats . Elle n’est déjà pas réglée pour l’Alsace-Moselle ! Enfin, selon les enquêtes menées aux Pays-Bas, les demandes d’euthanasie ne sont pas formulées en majorité par les plus de 80 ans, mais par les patients de 40 à 69 ans. Et à 90 % à cause de cancer. C’est l’impuissance de la médecine face au cancer qui est donc en cause ici et non la question morale de l’euthanasie.
En France, l’article 38 du Code de déontologie médicale interdit au médecin de provoquer délibérément la mort. Le médecin a pour rôle de soigner ou, à défaut, d’accompagner les personnes en fin de vie. Voilà pour la version officielle. Pour la réalité, on sait que de nombreuses euthanasies sont pratiquées chaque année. Quelques cas remontent devant les tribunaux qui apprécient selon les situations mais ne peuvent s’arroger le droit d’écarter l’application de toute peine. Voilà où nous en sommes. Voilà nos "petits arrangements avec la mort" et l’on sait que si l’on veut légiférer plus loin, la question sera très sensible et qu’il faudra du temps...
Bibliographie sur Agoravox :
1 - L’euthanasie à l’étranger :
« L’euthanasie, lois et paradoxe moral », par l’équipe d’Agoravox
« La loi sur l’euthanasie en Belgique », par philiege
2 - L’euthanasie vue par les candidats à la présidentielle 2007 :
« Mme Royal, Mr Sarkozy, refusez l’intolérable », par Thomas Roussot
« La mort compassionnelle » , par Koz :
3 - L’euthanasie vue par un médecin hospitalier :
« Euthanasie : un refus du temps », par Sylvain Etiret
Euthanasie et présidentielle, Sylvain Etiret
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