Du « genre » employé à tort et à travers
Je me suis déjà exprimée maintes fois ici sur la différence entre le sexe des personnes (voire des animaux) et le genre grammatical, arguant qu’un homme pouvait être une brute ou une sentinelle, et qu’une femme n’avait pas besoin de rajouter un « e » à « écrivain » ou « auteur » pour faire carrière dans les lettres (ce qui était bien l’avis de Simone Veil et reste celui de Yasmina Reza, l’une défunte académicienne, l’autre femme de lettres française reconnue et jouée (comme dramaturge) partout dans le monde, qui n’ont pas eu besoin d’artifices grammaticaux pour faire valoir leur talent). Dans un autre registre, les hyènes et les fourmis peuvent être des mâles, ce qui n’empêche pas ces noms d’être du genre féminin. C’est de ce pauvre « genre » que je voudrais parler ici, lequel connaît une dérive sémantique lourdement influencée (comme toujours ?) par l’anglais et son « gender ».
Dans le dictionnaire bilingue Hachette-Oxford du temps de mes études, la distinction était claire : « gender » se traduisait, en linguistique, par « genre » (« of common gender » voulant dire « épicène ») mais devenait « sexe » en parlant d’une personne ou d’un animal. Rien de plus clair. À l’époque, les gens qui changeaient de sexe étaient des transsexuels et tout le monde, hommes, femmes, homosexuels, hétérosexuels, appartenait au même genre : le genre humain. Pourquoi diable avoir inventé cette mauvaise traduction de « gender », qui vient brouiller inutilement le discours ?
Comme cette tendance vient des États-Unis, un pays bien connu pour son puritanisme, ses disciples pourraient être effarouchés par l’usage du mot « sexe » et préférer, pour gommer toute allusion à une relation intime, une transposition directe de l’anglais, qui ne veut pas dire grand-chose mais qui donne l’impression que le sujet d’étude est ici non pas l’humain, mais l’idée que l’humain se fait de lui-même, en le dissociant de son corps physique. Le vilain transsexuel qui a changé d’organes génitaux externes (que c’est sale !) devient un gentil transgenre qui se déguise pour la gay pride. Je ne crois pas que ce glissement sémantique rende justice à des gens généralement plus courageux que la moyenne, qui ont souvent subi moqueries et brimades dans leur jeunesse, en les désincarnant de la sorte.
Ceux qui répugnent décidément à employer le mot « sexe » seraient peut-être plus avisés de redécouvrir un terme désuet mais utile (et de genre féminin, pour le coup !) : la gent*, qui signifie « groupe de gens, espèce, famille », souvent employé pour désigner les femmes. On pourrait ainsi dire très joliment, et tout à fait correctement sur le plan grammatical, que l’on appartient à la gent féminine ou masculine. Les pudiques seraient soulagés et ce pauvre « genre » ne serait plus galvaudé. Évidemment, un tel choix permettrait d’apaiser les esprits, ce qui n’est sans doute pas le but recherché par les militants des « études de genre », qui préfèrent apparemment édifier des barrières entre les gens plutôt que les réconcilier…
* Le t final ne se prononce pas. À ne pas confondre avec l’adjectif gent, gente, « gracieux, joli », comme dans « gente dame ».
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