Du « mariage pour tous » au divorce avec la Démocratie ? Clientélisme et communautarisme
Selon la célèbre formule d'Abraham Lincoln (16ème Président des Etats Unis de 1860 à 1865), la démocratie serait « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». A travers « le mariage pour tous », l’actualité française fut tous ces derniers temps en totalité consacrée à la vie privée et intime d’une minorité, si pleinement respectable soit-elle. La « communauté » homosexuelle rassemble donc officiellement moins de 2 millions de citoyens. Au risque de choquer, osons dire encore que la majorité des français reste inscrite dans l’hétérosexualité, seule à même de permettre la permanence naturellement procrée de l’Humanité.
Une minorité peut donc s’approprier la démocratie pendant un temps donné ? Gouverner n’exige t’il plus de préserver premièrement la concorde et l’unité nationale, d’autant plus durant une grave crise ? Gouverner c’est cliver ? La « post Démocratie » masquerait-elle un divorce avec la Démocratie ? Le "mariage pour tous" aurait été en cela aussi un révélateur sociétal.
Assurément, la « minorité » beaucoup plus étendue et massive des citoyens survivant au seuil de pauvreté, évaluée autour de 10 millions, mériterait de voir les élus débattre à son sujet autant d’heures et nuits entières au travers de milliers d’amendements. Pour peu que l’on prenne aussi en compte de façon emblématique la « communauté » enseignante disposant de syndicats qui, bien que dérisoires dans la représentativité et nombre d’adhérents, impose ses Lois en quasi co-gestion avec les ministres successifs sauf à les faire démissionner dans les cas d’excès d’indépendance, le règne supposé de « la majorité » semble de plus en plus écorné. Démocratie séparatiste ?
Répétons le, la misère de masse explose actuellement en France de l’aveu même de toutes les associations caritatives. Pourtant, une communauté ou corporation professionnelle participant pourtant du « Service » Public n’hésita pas à réclamer une augmentation de salaire dans ce contexte social chaotique. La « démocratie pour tous » à l’exception des plus nécessiteux ? La démocratie se trouverait-elle réduite peu à peu au statut de « représentation » symbolique ? Au fronton de nos mairies elle ne tarderait plus à se trouver accolée à « Liberté, égalité, fraternité », trois notions pareillement contredites par la réalité vécue des citoyens. S’il doit y avoir un « mariage pour tous », certains citoyens précaires passeraient par pertes et profits dans un système devenu viable seulement « pour certains » ?
Par le passé la France évolua longtemps sous la pression revendicative de certaines identités régionales. Le pays doit-il désormais faire face à d’autres formes de « communautés » relevant de « l’identité » sexuelle ou professionnelle ? Cette formulation peut heurter pour mêler des dimensions apparemment très distinctes. Il n’en demeure pas moins que cette notion de « mariage pour tous », en apparence « égalitaire » et majoritaire, interroge. L’identité sexuelle d’une majorité vivant avec les cadres structurants qui en découlent aura eu à s’effacer devant les exigences d’une minorité ? Démocratie ? Bien sûr, aucune intolérance ou négation ne saurait être tolérée à l’égard d’une minorité, quelle qu’elle soit.
Le mariage fut institué il y a bien longtemps, dans les faits depuis toujours, pour encadrer, garantir et protéger, la filiation. Une minorité ne pouvant de part la Loi de la Nature prétendre à cette filiation, sauf à recourir à des artifices de procréation bouleversant le besoin vital ressenti par tout être humain d’évoluer en parenté avec un père et une mère "naturels", cette minorité « de fait » entendrait désormais contraindre la Nature autant que la majorité des citoyens à rompre avec le cours naturel des choses ? La Nature ne serait-elle pas assez démocratique pour tous ? Plusieurs faits observés durant ce débat énoncé comme « de civilisation » (mais ne méritant pas un référendum autorisé par décret) par la ministre en charge de la réforme, pose par eux-mêmes bien des questions sur l’état de notre démocratie.
Gouvernement du peuple par le peuple ? Objectivement, et ce malgré un véritable rabattage idéologique ambiant, la manifestation des citoyens opposés à la disparition du « mariage initial » rassembla donc trois ou quatre fois plus de citoyens que les partisans de la réforme. L’on ne tarda pas à affirmer que « la rue n’a pas à gouverner ». Une minorité objective aurait-elle temporairement ce droit, celui de se voir attribuer une législation à son unique profit, bouleversant les schémas « ancestraux » d’une majorité ? La parole massive de « la rue » aurait-elle moins de légitimité qu’un lobby ? La Démocratie gagne toujours à avancer à visage découvert, au grand jour, sauf à la voir reculer.
Outre cette « majorité » opposée à la réforme (au-delà de quelques sondages de commande propagandiste ?) souvent définie comme « silencieuse » mais voyant ses représentants recevoir un soutien de masse le 13 janvier 2013, chose qui fit jusqu’alors reculer bien des « majorités » de l’assemblée nationale (le conflit sur l’Ecole privée en 1984, le Cpe…), la « majorité » hétérosexuelle aura donc eu à se remettre en cause dans ses fondements et modes de filiation et mariage. Devons nous courir toujours plus et encore le risque d’une démocratie "séparatiste" et clivée ? Des corps de métier, des groupes définis longtemps et sans heurter personne comme « minorités sexuelles », seraient-ils en droit de « réformer » les lois à leur profit sectoriel ? A trop déplacer le débat démocratique sur le terrain des mœurs et statuts minoritaires, le risque est là d’un multi communautarisme additionnel, lequel ne tardera pas à agir en fossoyeur de la démocratie, par la subversion d’intérêts privés ou particuliers s’opposant à l’intérêt général ou au bien commun. Que penser lorsque ce « bien commun » est la permanence vitale de l’Humanité ?
Voilà qui nous rapproche de Aristote, le symbole n’est pas secondaire s’agissant du « progrès » et de « l’évolution » de la « modernité ».
Dans « Les politiques : une typologie des différents régimes politiques », Aristote distinguait en effet les « Constitutions droites » (gouvernées en vue de l'intérêt commun) et, toutes leurs déviations possibles de gouvernance, en vue des seuls intérêts particuliers. Sommes nous au seuil de ce second cas ?
La République recouvrait pour Aristote la forme la plus aboutie de la démocratie. Le second cas plus déviant renvoyait à la tyrannie et à l'oligarchie. Il voyait notamment dans la République le régime sous lequel ce sont les pauvres qui gouvernent, pour être souvent les plus nombreux. La démocratie oligarchique était alors définie comme une « Constitution déviée » de part un gouvernement mis au service d’intérêts particuliers minoritaires et non de l'intérêt commun. Bien sûr, la pensée de Aristote est ici pour le moins condensée
Cette oligarchie qu’il redoutait, de part une classe ou élite de privilégiés oeuvrant en pôle dominant, la majorité du peuple se trouvant alors abandonnée plus ou moins à son triste sort, ce régime oligarchique marque pour le moins un parallèle avec l’époque actuelle, aussi au niveau de la prise en compte des opinions. Durant tout le débat relatif au fameux mariage « pour tous », bien que conçu d’abord pour certains, la petite société parisienne ne fut pas sans prétendre immédiatement à une vérité incontestable. Toute critique releva d’un « obscurantisme » supposé. Affirmer le lien particulier d’un enfant à sa mère ou le rôle essentiel du père dans la socialisation du futur adulte, tout cela devait être jeté aux oubliettes. Françoise Dolto aurait eu tort ? Mariage et adoption allant de paire à terme, une intellectuelle et épouse d’un ancien premier ministre alla jusqu’à réclamer que les beaux parents puissent suppléer à la disparition éventuelle des parents en tant que tels. Un jour le recours aux grands pères et grands mères ? Il est fort probable que la promotion prochaine de l‘euthanasie écarte cette possibilité. Le statut d’orphelin aurait de beaux jours devant lui. Le « mariage pour tous », sans des parents pour tous…les enfants ? Le progrès serait donc que certains enfants aient deux papas, et aucune maman, ou l’inverse. Le langage et ses éléments le seraient parfois aussi, inversés.
Aristote distinguait plusieurs variantes de la démocratie. La meilleure était selon lui celle qui recherche l'égalité « afin que rien ne mette les gens modestes ou les gens aisés les uns au-dessus des autres [...] mais que les deux soient égaux dans une juste prise en considération » et que « tous partagent de la même manière le pouvoir politique ». Il insistait sur la « considération égale de toutes les opinions ». Le pseudo débat lié au « mariage pour tous » respecta t’il cette dernière exigence ?
Selon lui la liberté constitutive d’une vraie démocratie reposait sur le fait que chacun ait la possibilité réelle d’être « tour à tour gouverné et gouvernant », définition qu'il faisait du citoyen. En outre il ne cachait pas sa crainte de voir les démagogues mener au renversement progressif des régimes démocratiques sous la tyrannie d’une minorité. Là aussi, Aristote n’était pas sans annoncer certains périls pesant sur notre époque.
Dans le cas du « mariage pour tous » au prix du bouleversement certain de la majorité citoyenne dans ses repères les plus ancestraux, difficile de nier que tous les arguments furent autorisés pour avaliser cette supposée réforme « d’égalité ». Le bon sens eut beau rappeler, avec le soutien de tous les psychologues, la nécessité absolu d’un père et d’une mère dans la structuration de tout être, la promotion du mariage homosexuel écartant toute filiation naturelle s’imposa néanmoins à grand renfort de « communication ». Les partisans du maintien du « mariage » attribué exclusivement à toute union susceptible de procréer, offrant un contrat d’union civile aux autres formes de couples, eurent à subir les pires qualificatifs s’échelonnant des monstres « réactionnaires homophobes » jusqu’aux suppôts racistes et fascistes. La démocratie séparatiste ou communautariste ne tolèrerait logiquement qu’une seule opinion ?
Admettons avec Paul Ricœur « qu’est démocratique, une société qui se reconnaît divisée et traversée par des contradictions d’intérêt », mais « en se fixant comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression des contradictions (…) en vue d’arriver à un arbitrage ». Difficile de trouver une réelle prise en compte des opposants au « mariage pour tous », pas même une revalorisation du « mariage » tel qu’il fut structuré depuis si longtemps et réservé aux unions naturellement procréatrices, puisque telle était sa fonction et justification premières. La caricature vaudrait parfois pour unique argument. Le respect individuel et collectif serait le garant d’une véritable démocratie.
Assurément, Tocqueville avait raison de mettre en garde contre les excès possible du « désir d'égalité » qui imprègne les individus vivant en démocratie « menant à une possible restriction de la liberté ». Selon lui, la démocratie risquait de « produire un conformisme des opinions ». Si il craignait que la majorité opprime la minorité, Tocqueville pensait que la liberté de la presse fonderait toujours « un moyen puissant pour préserver la liberté des menaces que ferait peser sur elle le désir d'égalité » affirmant que « la presse est par excellence l'instrument démocratique de la liberté ». En parallèle de la campagne de propagande liée au mariage « pour tous », mais plus totalement comme avant pour la majorité des citoyens, les articles prônant le maintien du mariage dans son état « premier » furent bien peu nombreux, même s’ils évoquaient en parallèle justifié un contrat d’union spécifique (CUC) offert à une relation homosexuelle qui le reste en soi, spécifique.
L'idée de démocratie restera pareillement centrale dans la philosophie politique de Cornélius Castoriadis, avec quelques nuances pour le moins indiquées en la circonstance. Il critique parfois sévèrement les régimes représentatifs, qu'il soupçonne de s’apparenter inévitablement à des oligarchies au sein desquelles le peuple perd peu à peu toute véritable influence. Il n'y aurait selon lui de démocratie « que totalement directe ». Voilà qui vient conforter l’exigence portée par certains d’un référendum concernant un sujet « de civilisation » tel que le mariage et la filiation, d’autant plus au regard des prolongements en « PAM » ou GPA » pesant sur l’avenir. La démocratie, qu'il conçoit dans le cadre d’un « projet d'autonomie » citoyenne, doit selon lui être le régime de la liberté (individuelle et collective) et de l'égalité (politique et économique). Cornélius Castoriadis exige ainsi la participation de tous aux décisions les plus fondamentales pour les citoyens. Le mariage sera-t-il resté « fondamental » ces derniers mois ? Les enfants, fruit essentiel et premier de ce type d’union procréative, ne méritaient-ils pas que l’on consulta la population ? Le « mariage pour tous » n’aura pas été sans les réduire à des variables d’ajustement, les enfants. La démocratie n’a-t-elle pas été pareillement maltraitée ?
La cause d’une minorité devint ainsi une cause nationale. Le bien commun et le champ du politique, au sens le plus élevé, sombrèrent dans le marketing. Un gouvernement supposé garantir l’unité de la nation et la concorde se laissa « cliver » un peuple déjà tant éprouvé par la crise économique et sociale. Le temps de la « post démocratie » serait-il confirmé ?
Au-delà du fameux « mariage pour tous », le temps serait plutôt à un divorce avec la démocratie, alors que la gouvernance consisterait de plus en plus à « négocier » avec des minorités, jusqu’à voir l’intérêt général finir parfois en guenille. Du clientélisme au communautarisme, il n’y a parfois qu’un pas.
La démocratie est morte ? Vive la démocratie !
Guillaume Boucard
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