EADS, Forgeard et le Code du Travail
L’annonce du montant des indemnités versées à Noel Forgeard à la suite de son départ de la direction d’EADS a fait couler beaucoup d’encre au point qu’aujourd’hui cette affaire occupe les candidats à l’élection présidentielle.
Au-delà d’un positionnement moral qui consiste à juger de la légitimité des sommes versées alors que l’entreprise annonce un plan de redressement qui va, dit-on, entraîner des suppressions d’emploi, je pense qu’il convient aussi de s’intéresser à ce sujet d’un point de vue juridique.
Que nous dit le Code du travail ?
Je précise tout de suite que ce qui va suivre est sujet à critique sur le plan factuel. En effet, des informations diverses et parfois contradictoires sont véhiculées dans la presse et j’évoquerai donc plus des hypothèses que des certitudes.
Une certitude toutefois, Noël Forgeard a été un salarié d’EADS. Certes, il a exercé des fonctions de direction mais, comme tout salarié, il est soumis au Code du travail, notamment les textes relatifs à la rupture du contrat.
On sait que Noël Forgeard a d’abord été salarié d’Airbus Industries dont il devient le directeur général en 1998 puis le président directeur général en 2001. Il est nommé coprésident d’EADS le 25 juin 2005. Il "quitte" ses fonctions en juillet 2006.
Je mets des guillemets car aujourd’hui, je suis incapable d’affirmer si monsieur Forgeard a été licencié ou s’il a donné sa démission.
Dans un communiqué du 3 juillet 2006, le ministère de l’Economie et des Finances indique avoir pris "note de la décision de M. Noël Forgeard de démissionner de ses fonctions de coprésident d’EADS".
Mais d’autres sources évoquent un licenciement.
Envisageons cette hypothèse.
Un salarié licencié (hors licenciement économique) a droit :
- au respect du préavis par l’employeur (qui doit au minimum rémunérer la période de préavis lorsqu’il dispense le salarié de l’effectuer) ;
- à la remise d’un certain nombre de documents (attestation ASSEDIC, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte) ;
- au paiement de l’indemnité de licenciement (légale ou conventionnelle selon la solution la plus favorable et pour autant que le salarié ait deux ans d’ancienneté) ;
- au paiement de indemnité de congés payés correspondant aux congés payés acquis préalablement au licenciement.
Si le salarié entend contester son licenciement, le Code du travail institue un régime différent entre les salariés bénéficiant de plus de deux ans d’ancienneté et travaillant dans une entreprise de plus de onze salariés (art. L.122-14-4 du Code du travail) et ceux travaillant dans une entreprise de moins de onze salariés ou ayant moins de deux ans d’ancienneté (art. L.122-14-5 du Code du Travail).
Dans le premier cas, le salarié qui fait reconnaître le caractère infondé de son licenciement bénéficie au minimum d’une indemnité équivalente à six mois de salaires. S’il entend demander plus que ce minimum, il lui faut démontrer l’étendue de son préjudice.
Dans le second cas, le salarié ne bénéficie d’aucun minimum "garanti" et doit démontrer l’étendue de son préjudice (en justifiant par exemple ne pas avoir retrouvé d’emploi malgré une recherche active, en expliquant qu’il lui est difficile de retrouver un emploi en raison de son âge ....).
On sait que Monsieur Forgeard avait au moment de son départ plus de deux ans d’ancienneté au sein du groupe EADS lequel emploie plus de onze salariés.
Il est donc soumis aux dispositions de l’article L.122-14-4 du Code du travail et pouvait donc espérer au moins six mois de salaires si après avoir saisi le Conseil des prud’hommes il avait pu faire juger son licenciement infondé.
EADS a indiqué que la rémunération annuelle de Noël Forgeard avait été de 2.446.634 euros en 2005.
Si l’on applique l’article L.122.14-4, il pouvait donc prétendre au minimum à :
- préavis (6 mois d’après EADS) : 1.223.317 euros ;
- six mois de salaire pour l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement : 1.223.317 euros ;
- l’indemnité conventionnelle de licenciement : 448.548 euros (Convention collective de la métallurgie art.29 de l’accord cadre/ingénieur) ;
- les congés payés acquis : ignoré.
EADS a accepté de verser à monsieur Forgeard une somme supérieure au minimum de six mois prévu par le Code du travail. Il reçoit au titre d’indemnité de licenciement une somme équivalente à deux années de salaire (4.893.268 euros).
EADS a par ailleurs indiqué avoir versé à son ancien salarié une somme de 2,44 millions d’euros correspondant à la contrepartie de la clause de non-concurrence incluse au contrat. Cette somme correspond à deux années de salaire payable en 24 mois.
Sur ce point, il faut savoir que depuis trois arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 10 juillet 2002, une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable aux intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière.
Dès lors que le contrat prévoyait une clause de non-concurrence (on imagine mal laisser monsieur Forgeard rejoindre Boeing après son départ), une contrepartie financière était obligatoire, sauf à libérer le salarié de son obligation à la rupture du contrat.
On peut évidement discuter du montant versé mais juridiquement les parties sont libres de fixer le montant de la contrepartie au moment de la signature du contrat.
Je m’interroge plutôt sur les raisons qui ont amené EADS à accepter de verser à monsieur Forgeard une somme équivalente à deux années de salaire à titre d’indemnité de rupture.
Ou bien tout avait été prévu contractuellement et alors EADS ne pouvait faire autrement que respecter l’engagement pris envers son salarié.
Ou bien le tout a fait l’objet d’une négociation dans laquelle chacun aura fait valoir ses arguments :
Monsieur Forgeard a pu s’appuyer sur son ancienneté chez Airbus et ses succès de l’époque. Difficile toutefois d’évoquer son âge et la difficulté de retrouver un emploi, je pense que son CV reste un avantage.
Probablement aura-t-il évoqué les risques liés à une saisine du Conseil des prud’hommes.
Sur ce point, on peut se demander si EADS et ses actionnaires auraient été "emballés" par un procès, lequel comporte toujours un aléa quand bien même on est persuadé d’avoir raison.
EADS a peut-être payé le prix de sa tranquillité
A titre personnel, je pense que la polémique née après l’annonce des chiffres n’est pas le coeur du problème.
La seule question à se poser à mon sens est la suivante : Est-il justifié de rémunérer un salarié 2,44 millions d’euros à l’année quand bien même il dirige l’entreprise, quand bien même il est ultra ompétent et oeuvre pour la réussite de l’entreprise ? Quid du rôle du conseil d’administration qui a approuvé un tel niveau de rémunération ?
Car au final on oublie que le seul risque réel d’un patron/salarié, c’est la possibilité d’être licencié à la différence d’un patron/actionnaire qui en investissant dans l’entreprise qu’il dirige prend aussi un risque financier, risque par ailleurs récompensé par un dividende et/ou une hausse de la valeur de l’action en cas de bons résultats.
Louis Gallois a répondu à cette question à son arrivée à la tête d’EADS en demandant une diminution de sa rémunération par 13, la ramenant à 180.000 € à l’année soit 15.000 euros par mois (ce qui entre nous permet déjà de vivre très confortablement, non ?) tout en refusant de percevoir les jetons de présence liés à sa participation au conseil d’administration.
A méditer.
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