Election présidentielle 2014 : Le Brésil aux prises avec les fondamentalistes religieux ?
Les pays arabes, l'Iran et Israël ne sont pas les seuls à faire les frais de la montée des religieux dans la sphère politique. L'élection présidentielle au Brésil est sur le point de porter au pouvoir une candidate soutenue par les leaders évangélistes du pays. En effet, la très populaire candidate du PSB (Parti Socialiste Brésilien), Marina Silva, écologiste, fidèle de "l'Assemblée de Dieu", église pentecôtiste la plus puissante du Brésil, risque en octobre prochain, d'après les derniers sondages, de voler la victoire à Dilma Rousseff, présidente sortante et candidate du Parti des Travailleurs ( P.T.).

QUI EST DONC CETTE NOUVELLE ETOILE DE LA CONSTELLATION POLITIQUE AU BRESIL ?
Marina Silva, c'est tout d’abord une très belle histoire, celle d'un personnage romanesque. Elle est née dans une famille de récolteurs de caoutchouc, ceux qu’on appelle les seringueiros. Elle grandit dans une famille de onze enfants dans une cité lacustre de l'Etat Occidental de l’Acre, au Nord du Brésil. Orpheline à 16 ans, sans ressource, elle part à la capitale où elle travaille comme domestique pour payer ses études. Elle réussit et obtient un diplôme en Histoire. A l’université elle commence à s’intéresser à la politique et à la protection de l’environnement. Elle s’engage dans la protection de la forêt amazonienne et marche main dans la main avec Chico Mendes, leader syndicaliste, défenseur des droits des ouvriers du caoutchouc, assassiné sur ordre d'un riche propriétaire terrien. Elle milite ensuite au Parti des Travailleurs ( P.T.) du futur président Lula. Elle y fait son chemin et devient la première sénatrice seringueira du Brésil pendant le gouvernement Lula. Un vrai évènement dans ce pays profondément inégalitaire. Ministre de l’Environnement de 2003 à 2008, au fil du temps, elle devient de plus en plus isolée au sein du gouvernement en raison de son point de vue sur les barrages hydroélectriques, les agrocarburants et les cultures génétiquement modifiées. En 2009 elle quitte le P.T. pour le Parti Vert du Brésil. En 2010, elle brigue pour la première fois la présidence du Brésil sous la bannière écologiste. Marina Silva obtient alors 20 millions de votes. Ce succès inattendu incite la candidate à fonder son propre parti, le « Réseau durable », en vue de la présidentielle de 2014. Mais, faute de signatures, elle accepte d’être la seconde derrière Eduardo Campos, le candidat du Parti socialiste du Brésil, le PSB, qui est issu d’une famille de politiciens. Eduardo Campos meurt avec son équipe de campagne dans un accident d’avion le 13 août et l'ex-candidate écologique prend sa place. Alors que Eduardo Campos plafonnait à 8% dans les sondages, de manière surprenante, Marina Silva monte à 21 % d’intentions de vote, au coude à coude avec sa principale rivale, la présidente Dilma Rousseff.
Que signifie donc cette incroyable "success story", ce véritable conte de fée dans un pays où la violence sociale et les inégalités battent des records ? Ce succès, le doit-elle à l'usure du pouvoir après douze années de gouvernement P.T. ? Suite aux mouvements sociaux autour de la Coupe du Monde 2014, est-elle porteuse d'un projet politique plus radicalement anti-capitaliste que celui du Parti des travailleurs ou, , est-elle au contraire entre les mains des fondamentalistes religieux qui peu à peu investissent l'arène politique brésilienne ?
LE POIDS DE LA RELIGION AU BRESIL.
Si la religion catholique est toujours la religion majoritaire dans ce pays, elle ne cesse de régresser face à l'assaut des nombreuses églises évangéliques qui fleurissent dans l'ensemble du territoire et en particulier dans les quartiers populaires et les favellas. Dirigeants de véritables entreprises, maniant l'art du spectacle et l'éloquence, ces prédicateurs réussissent à entrainer dans ces temples modernes de la religion des milliers de malheureux qui oublient pour un temps leur souffrance dans une communion minutieusement organisée dans un grand show médiatisé . L'ascension de ces petites entreprises "bibliques" atteint aujourd'hui des sommets. Les églises évangélistes rassemblent plus de 40 millions de Brésiliens soit plus de 20 % de la population. Certaines, de ces officines d'un bonheur illusoire, ces "fast-food" de la foi, ont réussit à construire un énorme empire financier comme la puissante, Église Universelle du Royaume de Dieu. Son fondateur, "l'évêque" Edir Macedo, est un ancien employé de la loterie nationale du Brésil ! Elle compterait 6 à 8 millions de fidèles dans le monde dont 5 millions au Brésil. La presse brésilienne l'appelle la "Pieuvre" , il est propriétaire au Brésil de plusieurs entreprises, surtout dans le domaine des médias, mais aussi dans la construction, les assurances, et le tourisme. Puissances économiques, c'est tout naturellement, que ces églises pénètrent aussi la sphère politique. En 2010 , 73 députés élus (et 2 sénateurs) forment le groupe évangélique à l'Assemblée Nationale et leur nombre risque encore d'augmenter aux prochaines élections. Minoritaire, ce groupe jouit d'une influence sans égal qui a abouti, en mars 2014, à l'incroyable élection du pasteur-député Marco Feliciano à la Commission des Droits de l'Homme et des Minorités, suite à une négociation avec le Parti des Travailleurs (PT) de la présidente Dilma Rousseff, pourtant peu suspecte d'exaltation religieuse. Election qui a provoqué de nombreuses protestations surtout après les déclarations fracassantes racistes et homophobes de ce business-man du religieux : "la putréfaction des sentiments des homosexuels conduit à la haine, au crime et au rejet", "la malédiction de Noé pèse sur le continent africain". Ce qui le hérisse, ce n'est pas "l'orientation différente", c'est "l'acte homosexuel, quand ils s'embrassent, se touchent devant moi".
Alors que le PSB, parti de Marina Silva s'était prononcé pour le mariage entre personnes de même sexe, le 30 août dernier, un tweet menaçant du pasteur Silas Malafaia a conduit la candidate a faire immédiatement marche arrière sur ce sujet. "Si d’ici lundi, Marina ne prend pas position, elle aura droit au pire discours que j’ai jamais fait sur un candidat à la présidence » . Cette volte face a fait scandale dans les milieux progressistes. ( voir l'interview de l'écrivain brésilien Milton Hatoum dans Médiapart ).
Marina Silva otage des fondamentalistes religieux ? Avec Milton Hatoum on peut le craindre. "Si Marina était élue, les députés du Front évangélique constitueraient son premier appui. Ils sont aujourd’hui 73, plus trois sénateurs, mais leur nombre pourrait augmenter lors de la prochaine élection. Cela aura un impact sur les politiques d’éducation, mais aussi sur la recherche scientifique, en bloquant tout travail sur les cellules-souches par exemple, ainsi que sur la question de l’avortement. Marina Silva a déclaré que certaines de ses décisions étaient suggérées de la lecture de versets de la Bible. Comment la présidente de la République d’un pays aussi grand et complexe que le Brésil peut dépendre du souffle du Saint-Esprit ? Les évangéliques disent qu’ils travaillent pour le « peuple de Dieu ». Au Brésil, il y a des catholiques, des musulmans, des bouddhistes, des adeptes de religions afro-brésiliennes, mais aussi un nombre croissant d’agnostiques, alors qui est ce « peuple de Dieu » ?"
L'écrivain brésilien poursuit :
"Pour la première fois, j’ai l’impression que le Brésil va faire face à un quelque chose de nouveau dans notre société, c’est-à-dire l’affrontement avec le fondamentalisme. Et à mon sens, l’actualité internationale joue beaucoup. Regardez en Israël, le gouvernement est otage des fondamentalistes religieux, et continue le processus de colonisation. Idem aux Etats-Unis, avec la « croisade » qu’a évoquée George Bush. Et les évangéliques d’ici ont des connexions avec les colons israéliens. Ici, dans nos universités, on commence à avoir des étudiants qui refusent de lire tel ou tel livre car on leur a expliqué que l’auteur était homosexuel, et que ce serait un péché. Alors on ne peut plus parler de Rimbaud, ni de Proust, ou de João Guimarães Rosa, l’auteur du plus grand roman du Brésil."
LE PROGRAMME DE MARINA SILVA : UN DANGEREUX COCKTAIL !
Cette liaison dangereuse avec les fondamentalistes religieux, laudateur de l'économie libérale, se révèlent aussi dans son programme économique. Trois points se distinguent et entrent en conflit avec les orientations des gouvernements de Lula et de Dilma Roussef : l’indépendance de la Banque centrale, une importance moindre donnée à l'extraction pétrolière de l'immense champ maritime dénommé Pré-sal et à la relativisation du Mercosur, ce dernier étant remplacé par des accords bilatéraux. Ces trois points révèlent une orientation nettement néolibérale.
"L’autonomie de la Banque centrale est l’une des thèses les plus préconisées par les recettes néolibérales. Elle provoque l’affaiblissement de l’État et le renforcement du centralisme du marché, alors que cette indépendance de la politique monétaire est normalement l’oeuvre du gouvernement, qu’il applique à un modèle de développement économique inextricablement lié à la répartition du revenu. Retirer au gouvernement son contrôle de la politique monétaire et la laisser soumise à l’influence directe des acteurs du marché – en particulier du système bancaire privé – revient à déplacer la capacité de ce modèle à soumettre l’équilibre budgétaire à des politiques distributives, en se soumettant, au contraire, à la centralité de l’ajustement fiscal, recherché par le néolibéralisme." écrit Emir Sader dans un article sur le blog le Grand Soir. (lien)
Diminuer l'exploitation pétrolière revient à fragiliser l'indépendance énergétique du Brésil et contraindra le pays à diminuer ses efforts en matière de santé et d'éducation comme le plan gouvernemental actuel le prévoyait ; remettre en cause l'appartenance au Mercosur et le développement d'une politique d'intégration régionale aux profits d'accord bilatéraux avec des pays centraux du capitalisme reviendra à isoler le Brésil dans la région et à torpiller tout projet alternatif de développement propre à l'Amérique Latine au profit de la réactivation d'un traité de Libre Commerce avec les Etats-Unis.
Emir Sader conclut : "C’est un vrai cadeau pour la droite brésilienne et pour les États-Unis, qui étaient près de voir leurs candidats et ses thèses éliminées une fois de plus. Le monopole privé des moyens de communication – le véritable parti de la droite – sans doute obtiendrait une grande victoire, dans le cas où sa nouvelle candidate parviendrait à vaincre le gouvernement du PT – objectif unique, par n’importe quel moyen, de la droite brésilienne et de Washington. C’est ce qui est en jeu maintenant au Brésil. Marine indique clairement la nature de son projet par ses positions, mais également en regroupant dans la coordination de sa campagne électorale des noms connus du néolibéralisme : Andre Lara Resenda, ancien ministre des gouvernements Collor de Melo et Cardoso ; Giannetti da Fonseca, notoire idéologue néolibéral, et Neca Setubal, héritière de la Banque Itaú, l’une des plus grandes banques privées brésiliennes. Avec ces positions et cette équipe, l’ex-leader écologiste Marina Silva se convertit pleinement au néolibéralisme."
Ainsi grâce aux formidables machines à orienter le vote des quartiers populaires que sont les églises évangélistes, grâce aussi à son aura d'écologiste, ses origines sociales et son expérience politique, Marina Silva avec un programme séduisant, en combattante de la corruption, dans une posture ni droite ni gauche, risque bien d'accéder à la fonction suprême dans cette immense pays d'Amérique Latine. Une fois aux commandes, prisonnière de ces appuis, elle conduira le Brésil à s'arrimer à nouveau à la zone économique des Etats-unis et à l'idéologie néo-libérale un temps mis en sourdine par le P.T.
Ainsi qu'il soit vert ou brun, il faut toujours se méfier du populisme même s'il prend le visage d'une femme métisse, ancienne ouvrière agricole et créature de Dieu.
" La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de chose dépourvu d'esprit. La religion est l'opium du peuple." Karl Marx. Comme l'opium, elle continue aujourd'hui à apaiser, abrutir et aveugler à la fois, pour pouvoir accepter encore et toujours cette servitude que nous impose le capital.
45 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON