Eloge de l’impureté
La pureté est un concept bien étrange. Dans sa définition on trouve : “Qualité, état de celui/ce qui est sans souillure, sans corruption”, ainsi que : “Transparence d’un être qui est sans compromission ; droiture, intégrité”. Sa définition chimique est encore plus intéressante : “État de ce qui est sans mélange. État, qualité d’une substance qui ne contient aucune trace décelable d’une autre substance”.
A la lecture de la définition chimique, la pureté est une vue de l’esprit. La pureté d’un élément s’obtient par des manipulations qui n’ont rien à voir avec l’état naturel. Les éléments ou substances sont mélangés. L’eau la plus claire contient des bactéries et minéraux invisibles à l’oeil. La vie a besoin du mélange pour créer, associer, construire un ensemble solide.
Sur le plan moral, la pureté a été inventée par on ne sait qui : probablement par un vaurien qui, pétrit de culpabilité, tentait de se refaire une virginité idéale. “Sans souillure, sans compromission" : pour réaliser cela il faudrait ne jamais sortir de chez soi !
Michel Tournier écrivait à propos de la pureté : “La pureté est l’inversion maligne de l’innocence. L’innocence est amour de l’être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance de l’alternative infernale pureté-impureté. (...) La pureté est horreur de la vie, haine de l’homme, passion morbide du néant. (...) L’homme chevauché par le démon de la pureté sème la ruine et la mort autour de lui. Purification religieuse, épuration politique, sauvegarde de la pureté de la race, nombreuses sont les variations sur ce thème atroce, mais toutes débouchent avec monotonie sur des crimes sans nombre dont l’instrument privilégié est le feu, symbole de pureté et symbole de l’enfer”.
Combien de sorciers ont finit au bûcher comme une expiation et une purification collective ? Combien de déni de soi, de son humanité, de sa nécessaire compromission ou mélange avec le monde, cette notion exige-t-elle, sorte de tyran intérieur qui sous prétexte d’exalter les sentiments les plus nobles, nourrit en réalité le sentiment d’auto-mutilation de soi et de supériorité sur les autres ? Combien de charniers les religions se sont-elles autorisées à ouvrir en se justifiant de la pureté ? Combien d’amants se sont perdus dans les méandres d’une pureté dont le moindre écart les plonge dans une faute inexpiable - sauf à se flageller pour retrouver la “pureté originelle” ?
La pureté est une des plus mutilantes notion poétique et religieuse politiquement correcte. La pureté est inhumaine.
Soyons humains : mélangés de sentiments et pensées diverses, d’imprégnations multiples. Assumons nos manques d’intégrité - car de l’intégrité à l’intégrisme le pas est si petit. Acceptons que rien n’est tout blanc ou tout noir : le monde est coloré, mélangé. L’intégrité est l’acceptation dynamique d’un ensemble, y compris avec ses contradictions. L’intégrité d’une pensée n’est pas sa pureté (selon quel modèle dominant ?) mais sa capacité à reconnaître le réel sans le déformer.
Méfions-nous des “purs” : la souffrance mutilante qu’ils s’infligent à eux-même, ils pourraient bien un jour nous la faire payer. Parce que le miroir que leur tend notre humanité sera insupportable à leurs yeux. Les purs sont des tyrans.
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