En attendant la prise de la Smala de l’Hôtel de Ville de Paris : visibilité du désastre sociologique et urbain des villes et territoires
Plus de 200 tentes dressées devant l'Hôtel de Ville de Paris pour "réclamer des hébergements".
« La caricature de Ridley Scott a sans doute cristallisé les inquiétudes ethnocentriques face à un multiculturalisme sans frein, mais elle échoue à s'attaquer au vrai Los Angeles (...), au moment où la ville se dégrade, matériellement et socialement, avant d'entrer dans le XXIe siècle »
(Mike Davis, Au-delà de Blade Runner : Los Angeles et l'imagination du désastre, éd. Allia, 2006 [1998 pour l'édition originale], version électronique, p. 2-3)

Le constat est simple, implacable : nous assistons en France à un naufrage sociologique et urbain accéléré des villes et des territoires.
« La dynamique des villes, écrit l’anthropologue Michel Agier[i] dans sa passionnante étude intitulée « Ce que les villes font aux migrants, ce que les migrants font à la ville »[ii] me semble toujours être liée à la mobilité.
Les villes, explique-t-il, ne sont jamais sorties de terre toutes seules et les citadins viennent toujours de quelque part. L’historien Michelet au XIXe siècle avait eu cette phrase à propos de l’histoire de Rome : « De l’asile naît la ville ». Cela voulait dire que la petite ville de la Rome antique qui avait accueilli les étrangers dont la ville d’à-côté ne voulait pas était devenue grâce à eux la grande ville de Rome. L’accueil me semble intrinsèquement lié au « faire ville ». Si aujourd’hui des questions se posent par rapport à l’arrivée des migrants, c’est que l’on a des problèmes, non pas avec eux, mais avec notre attitude envers eux. Comment se comporter avec des gens qu’on ne connaît pas, qu’on n’attendait pas et qui sont maintenus à l’écart, rejetés, et éventuellement même violemment rejetés ? Toute la vie des villes est faite de ce flux permanent d’allers et venues. La mobilité inter et intra-urbaine est une caractéristique de la ville… »
Pour aussi généreuse qu’elle puisse être, cette analyse me semble discutable dès lors que la question n’est plus tant de constater que si aujourd’hui des questions se posent par rapport à l’arrivée des migrants, c’est que l’on a des problèmes avec eux, non pas tant du fait de notre attitude envers eux (comme en témoignent les actions quotidiennes d’accueil et d’entraide qui leurs sont prodiguées), mais simplement du fait que les flux d’arrivées et la croissance de leur nombre sont tels que les capacités d’accueil, de réception, d’aide sont désormais saturées au point que l’idée même de loger tout le monde au même endroit, ou sur tout le territoire, risque fort de très mal se terminer, et ce, qu'il s'agisse de la France continentale (métropolitaine) ou ultra-marine.
Il suffit à ce propos de prendre la mesure des constatations effectuées par le Sénat dans son Projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration du 21 juin 2021 quant aux conséquences de l'immigration dans l'outre-mer français face à l'immigration pudiquement qualifiée d'irrégulière pour voir le danger. https://www.senat.fr/rap/l05-371-1/l05-371-19.html
Selon les estimations les plus couramment citées du nombre d'immigrés clandestins présents dans les départements d'outre-mer, explique le rapporteur du projet de loi précité, entre 30.000 et 35.000 étrangers seraient en situation irrégulière en Guyane, ce qui représenterait de 20 % à 25 % de la population de ce département. A Mayotte, le nombre des étrangers en situation irrégulière est estimé à environ 45.000 personnes, soit plus du quart de la population. Moins concernée, la Guadeloupe compterait au minimum 5.000 étrangers en situation irrégulière, mais les chiffres réels sont sans aucun doute plus élevés.
Si de tels ratios étaient appliqués en métropole, cette dernière compterait près de 18 millions d'étrangers irréguliers.
Devenues invivables, hostiles à leurs habitants (anciens et nouveaux), les villes se dépeuplent au profit d’autres populations, de telle sorte que la question n’est plus tant de savoir ce que les villes font aux migrants mais désormais de voir et constater ce que les migrants font aux villes et désormais aux territoires.
La réponse est très simple, qui se traduit par une dégradation générale et une destruction lente puis rapide où plus rien ne fonctionne. Car il faut bien comprendre que les villes meurent aussi, comme l'écrit ce fin connaisseur de la question urbanistique qu'est Thierry Paquot dans son ouvrage intitulé Désastres Urbains[iii] (La Découverte, Paris, 2015).
Les villes meurent - où qu'elles soient -, parce que l'évolution anarchique de leur architecture finit par les détruire, certes, mais aussi parce que la sociologie urbaine qui leur est imposée avec des incompatibilités qui les étouffent pousse tout simplement à leur effondrement et à leur naufrage inéluctable si rien n'est fait pour enrayer ce processus mortifère d'une immigration de masse qui se révèle être un scenario perdant-perdant.
Véronique Bontemps, anthropologue, chargée de recherche au CNRS et Chowra Makaremi, anthropologue et chercheuse au CNRS (IRIS-EHESS Paris) ont toutes deux amplement contribué à l’étude en profondeur de cette question[iv]. Est-ce pour autant qu’elles ont réussi à y répondre ? Rien n’est moins sûr, simplement parce que, à notre avis, la réalité des faits vient tout simplement démentir le prisme comme la grille de lecture retenus.
I- Comment les acteurs peuvent-ils dépasser les situations d’urgence qui répondent aux politiques sécuritaires et restrictives et créent une pression constante autour de l’arrivée des migrants ?
« Il ne faut pas oublier, répond la chercheuse Chowra Makaremi, que la temporalité de notre recherche est très courte (« Flash asile » dit bien son nom). Le programme a voulu souligner la dimension importante de gestion de l’urgence, la façon de l’État de se mettre dans l’urgence et de créer de l’urgence. L’urgence permet aussi aux chercheurs d’en analyser les ressorts et les conséquences sur les migrations et les populations urbaines. Les politiques d’immigration revendiquent une situation d’urgence mais laissent souvent les situations se dégrader afin de pouvoir les qualifier ensuite d’urgentes de manière plus crédible. Or la question de ce que font les migrants sur nos villes ne peut se traiter que sur du plus long terme, notamment sur plusieurs générations. Les études en sociologie travaillent depuis longtemps sur les effets des migrations sur les villes mais pour le programme Babels, les deux années n’étaient pas suffisantes. »
« C’est pour cela que cette question a plutôt été traitée en conclusion du livre, continue Véronique Bontemps, l’autre chercheuse précitée, car elle est plus difficile à aborder et à mesurer, durant une période où les législations sur les migrations et l’asile, mais aussi le règlement de Dublin étaient constamment en train de changer. C’était d’ailleurs intéressant de voir comment les acteurs étaient constamment en train de repenser leur manière de voir les migrations, pour conseiller les personnes en situation de migration. On a tenu compte de l’importance du localisme dans les mesures prises en France par les préfectures en matière d’expulsion, d’assignation à résidence ou de traitement des dossiers administratifs, etc. On a essayé de montrer comment se crée cette situation d’urgence dans la gestion des migrations : la situation des personnes en demande d’asile, et même celles qui sont en amont des demandes d’asile, participe à la création des campements dans les villes à partir de leur exclusion des démarches administratives. »
Et de conclure, comme le déclare encore Chowra Makaremi , que « l’une des spécificités de la France, très visible à Paris, c’est la façon dont la question de l’hébergement est rattachée à celle du statut administratif. Réfléchir sur les effets de cette corrélation permet d’identifier la nouvelle figure du « sans-abris demandeur d’asile » ou du « sans-abris-migrant » et de comprendre les perceptions et les rejets qui se dessinent dans les populations parisiennes. L’étude a identifié le rôle de la préfecture à la fois comme manifestation de l’État, comme échelle d’intervention et comme de forme de décision administrative, dans son opacité, ses formes de hiérarchisation, ses collaborations avec les associations. Cet acteur-préfecture ne se retrouve peut-être pas dans d’autres pays européens. La troisième particularité française est de voir comment la gestion de la crise migratoire devient une politique publique. »
II- Et dans les faits, qu’en est-il en ce 24 juin 2021 ?
24 juin 2021, Paris.
© Charles Baudry Source : RT France
Des tentes installées devant l'Hôtel de ville de Paris le 24 juin 2021.
Où l'on apprend que de manière subreptice des migrants et leurs soutiens ont dressé environ 250 tentes devant l'Hôtel de ville de Paris ce 24 juin 2021 pour exiger des hébergements tout en assurant ne pas vouloir en bouger avant qu'une solution n'ait été trouvée.
Ces personnes – pour l'essentiel des familles originaires d'Afrique subsaharienne ou des mineurs – ont déployé les tentes pour s'y installer au moment où les cloches de la mairie sonnaient 20 heures.
Selon le reporter de RT France Charles Baudry, présent sur place et que nous citons ici, environ 300 personnes – dont de nombreuses femmes seules, des familles et des enfants – se sont installées sous ces tentes.
🔴Installation en cours devant l’Hotel de Ville de #Paris d’un camp de #migrants / réfugiés d’environ 300 personnes (nombreuses #femmes seules, des familles et des #enfants). Les #associations demandent leur mise à l’abris. pic.twitter.com/z2s0za3AOi
— Charles Baudry (@CharlesBaudry) June 24, 2021
III- Saturation, engorgement ?
Dans un communiqué publié sur son site internet, l'association Utopia 56 prévient que « les personnes sans abri présentes, comme les équipes d’Utopia 56, resteront place de l’Hôtel de ville à Paris tant qu’aucune solution d’hébergement ne sera mise en place ». L'association affirme distribuer chaque jour des tentes à « des dizaines de familles à la rue qui dorment sous les ponts à la périphérie de Paris ».
« On réclame leur mise à l'abri parce que depuis deux, trois semaines, on ne s'en sort plus, notre réseau d'hébergement solidaire est complètement saturé. On a alerté la préfecture [de la région Ile-de-France], mais on n'a eu aucune réponse. On espère que la mairie [PS] va nous apporter son soutien », a déclaré sur place Kerill Theurillat, un responsable local d'Utopia56.
🔴Depuis 20h, 300 #femmes seules, des #familles (avec des dizaines d’#enfants) et jeunes sans domicile ont installé des tentes devant l’Hôtel de Ville de #Paris. Les personnes présentes annoncent qu’elles resteront tant qu’aucune solution d’hébergement ne sera mise en place. pic.twitter.com/GonM2v8CTV
— Charles Baudry (@CharlesBaudry) June 24, 2021
Utopia 56 est également membre du collectif Réquisitions, créé en décembre 2020 en Ile-de-France et qui milite pour que les logements vides soient réquisitionnés et attribués aux personnes sans logis qui seraient, d’après le collectif, plus de 300 000 en France. L’organisation considère que la loi de réquisition qui existe depuis 1945 et qui pourrait permettre de loger ces gens est volontairement inappliquée.
IV- Un avenir sombre
Sacrée image en effet que cette photo pour relancer le tourisme dans la « Ville - Poubelle - Lumière » devenue une sorte d'immense taudis-bidonville haussmanien, une ville qui exsude la saleté, visiblement non-entretenue, financièrement fragile au point de devenir une sorte de "Rat-City" que "le monde entier nous envie", comme chacun sait.
Paris subit les effets de la crise sanitaire avec certains secteurs d'activité à l'arrêt ou au ralenti, une chute brutale de la fréquentation touristique, ainsi qu'une forme d'amplification d'un désamour global à l'égard des métropoles, soumises à l'explosion de la délinquance, au risque terroriste, aux difficultés de circulation et de logement, à la pollution et désormais au risque épidémique. "Paris, ville malade", comme le déclarait déjà Mme Nelly Garnier, conseillère (LR) de la Ville de Paris, le 16 novembre 2020.
Je pose la question : quelle est la solution à cette pression migratoire continue de la misère charriée par de pauvres gens venus s’échouer en France comme en Europe ?
Des « solutions d’hébergement » ? A quand l'ouverture des magnifiques appartements de l'Hôtel de Ville ou de ces beaux espaces que représentent le Grand Palais, les Champs-Elysées, le jardin des Tuileries, le Louvre ou encore la Samaritaine magnifiquement rénovée (où se pressaient récemment 3000 personnes) pour accueillir tous ces gens dignement ?
Et que dire encore de cette restauration qui n'en finit pas de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, laquelle pourrait offrir ce "droit d'asile" qu'une œuvre de fiction sut offrir à la Gitane Esmeralda, pourchassée par le vilain Frollo ?
Et pourquoi pas, tant que nous y sommes, la transformation en un immense terrain de camping du chancre du trou des Halles, dépotoir à ciel ouvert à l'architecture pisseuse où voisinent sous une sorte de "jardin sahélien" complètement râpé et desséché, abandonné entre des plots de béton ornés de tags, les galeries marchandes hallucinées jusqu'à ce nœud ferroviaire à côté duquel le forum de Blade Runner n'est qu'une pâle imitation ?
Dans une lettre datée du 23 juin envoyée par la mairie de Paris à la préfecture de région et consultée par l'AFP, l'adjoint d'Anne Hidalgo en charge de l'accueil des réfugiés, Ian Brossat (Parti communiste) attire l'attention de l’Etat « sur la situation des familles demandeuses d'asile sans solution d'hébergement à Paris, dont les signalements se multiplient ». « Pour ne pas laisser perdurer cette situation, au risque de voir se reconstituer des campements de grande ampleur tels qu'ils ont pu exister ces dernières années dans le nord parisien [...] nous demandons qu'une prise en charge des familles puisse être réalisée dans les meilleurs délais », ajoute-t-il.
En attendant l’arrivée d’autres vagues, sans doute ?
V- Paris rejouera-t-il la prise de la Smala ?
Chacun connaît ce célèbre tableau d'Horace Vernet dont on trouvera ci-après un très intéressant commentaire sous la plume de Jérémie BENOÎT, « Prise de la smalah d'Abd-el-Kader », Histoire par l'image [en ligne],URL : http://histoire-image.org/fr/etudes/prise-smalah-abd-el-kader
Le constat est sans appel : Paris - il suffit d'ouvrir les yeux -, est devenu un immense campement, une immense cité nomade emplie de gens qui n'ont rien à y faire, tout comme c'est le cas dans de nombreuses autres cités du territoire comme "Bressuire l'Africaine", pour citer un exemple récent qui mérite plus qu'une attention fugitive !
https://artofuss.blog/2021/06/19/bressuire-lafricaine/
Ma question est très simple : quelle est la jauge maximum d'immigration-nomadisme-invasion dans un pays comme la France ?
Que fait le Prévôt de Paris ?
Quelle est la différence entre cette occupation de la Place de l'Hôtel de Ville et ce magnifique tableau représentant la levée du Siège de Vienne en 1693 ?
Où va-t-on ? Allons-nous, voulons-nous éviter d'avoir à subir les conséquences désastreuses de ce double naufrage sociologique et urbain des villes comme des territoires vers lequel nous précipitent des politiques insensé(e) s et mortifères ?
[i] Michel Agier, Directeur d'études à l'EHESS, Chaire : Anthropologie des déplacements et nouvelles logiques urbaines.Site(s) : Page personnelle, Publications sur Academia
Anthropologue, directeur de recherche de classe exceptionnelle à l’Institut de recherche pour le développement et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, les recherches de M. Agier portent sur les relations entre la mondialisation humaine, les conditions et lieux de l’exil, et la formation de nouveaux contextes urbains.
[ii] Agier Michel, « Ce que les villes font aux migrants, ce que les migrants font à la ville », Le sujet dans la cité, 2016/2 (N° 7), p. 21-31. DOI : 10.3917/lsdlc.007.0021. URL : https://www.cairn.info/revue-le-sujet-dans-la-cite-2016-2-page-21.htm
[iii] Thierry Paquot, Désastres Urbains, La Découverte, Paris, 2015
[iv] Poinsot Marie, « Babels, Entre accueil et rejet : ce que les villes font aux migrants. Lyon, Le Passager clandestin, coll. « Bibliothèque des frontières », 2018, 120 pages, 10 € », Hommes & Migrations, 2018/4 (n° 1323), p. 216-217. DOI : 10.4000/hommesmigrations.7947. URL : https://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2018-4-page-216.html
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