En trois coups de cuillère à pot, Thomas Piketty vous fabrique une idéologie de boutiquiers conquérants
Ayant lui-même mis au point, et avancé sous de faux noms, les deux ingrédients nécessaires à la réalisation de l'opération qui doit lui permettre d'extraire la "première loi élémentaire reliant ces deux notions" de revenu et de capital, Thomas Piketty ne se complique pas exagérément la tâche. Une addition ou une soustraction ne suffisant pas, le voici qui passe illico à la division :
« La façon la plus naturelle et la plus féconde de mesurer l'importance du capital dans une société donnée consiste à diviser le stock de capital par le flux annuel de revenu. Ce ratio capital / revenu, ou rapport capital/revenu, sera noté β. » (Thomas Piketty, op. cit., page 89.)
Non, bien sûr, le choix de la lettre est certainement malheureux... Mais ce n'est pas une signature...
Ce qui nous rassure, par ailleurs, c'est que le remplissage du stock de "capital" par le flux de "revenu" ne devrait même pas exiger de nous les redoutables calculs qu'offrait autrefois le remplissage de la baignoire par l'eau du robinet. Faisons-en l'essai tout de suite :
« Par exemple, si la valeur totale du capital d'un pays représente l'équivalent de six années de revenu national, alors on note β = 6 (ou β = 600 %). » (Idem, page 89.)
De cette brillante opération, que pouvons-nous déduire ? Pour ne pas nous perdre dans les nuées, quittons la théorie de haut vol, et allons directement vers des exemples concrets :« Actuellement, dans les pays développés, le rapport capital / revenu se situe généralement entre cinq et six, et provient presque uniquement du capital privé. En France comme au Royaume-Uni, en Allemagne comme en Italie, aux États-Unis comme au Japon, le revenu national atteint ainsi environ 30.000 euros-35.000 euros par habitant au début des années 2010, alors que le total des patrimoines privés (nets des dettes) est typiquement de l'ordre de 150.000 euros-200.000 euros par habitant, soit entre cinq et six années de revenu national. » (Idem, pages 89-90.)
Voilà qui nous fait soudainement plus ou moins sursauter : et chacun et chacune de vérifier sur lui-même et sur elle-même, s'ils sont bien quelque part dans la fourchette. Or, bien conscient d'avoir touché une question très sensible, Thomas Piketty tient à nous rassurer aussitôt, tout en enfonçant un peu plus le clou par une présentation de l'évaluation mensuelle plus parlante encore :
« Le fait que le revenu national soit de l'ordre de 30.000 euros par habitant et par an (2.500 euros par mois) dans les pays riches des années 2010 ne signifie évidemment pas que chacun dispose de cette somme. » (Idem, page 90.)
Conséquemment, et peut-être bien par la grâce de β :
« De même, un patrimoine privé de l'ordre de 180.000 euros par habitant, soit six années de revenu moyen, n'implique pas que chacun possède un tel capital. » (Idem, page 91.)
Étant, toutes et tous, de fieffé(e)s méritocrates, nous venons de vérifier où nous en sommes à titre très personnel, et nous nous promettons déjà de faire mieux... en regardant de près si Thomas Piketty ne nous fournit pas quelques ficelles assez pratiques d'usage et ne dépassant pas trop l'essentiel de notre boîte à outils : addition, soustraction, multiplication, division.
D'avance, merci.
Grâce à Thomas Piketty, nous sommes prêt(e)s à participer à la curée et à ses miettes... Tant du côté des "capitaux" (rien que des éléments de patrimoine, en réalité), que du côté des "revenus", il doit y avoir quelque chose à ramasser à titre indi-viduel... C'est ce qui peut sans doute, dans le langage d'une certaine petite-bourgeoisie, se couvrir de la misérable formule "faire société"... Voici l'infâme ramassis des "petits autres" qui se comptent comme une invraisemblable collection d'émargeurs à la démocratie méritocratique.
En termes lacaniens, on nous aura rivé(e)s au registre imaginaire, c'est-à-dire à ce qui est constitutif du moi : chacun pour soi, et tous les coups sont permis... Dans le miroir, bien certainement, il n'y a que moi... autre moi-même, et qui moi-même me trahit en ce qu'il est mon autre... et pourtant moi encore...
Après cela, que nous reste-t-il dans le regard pour observer autre chose que "moi" et son pauvre "même" ? En tout cas, nous constatons que Thomas Piketty tient absolument à ren-forcer la structure à œillères qu'il nous a mise sur le nez, en nous rappelant une nouvelle fois à l'ordre de ce qui doit être "vu" autant pour l'ici que pour le maintenant :
« Afin d'aider chacun à visualiser la forme concrète que prennent les patrimoines dans le monde d'aujourd'hui, il est inutile de préciser que le stock de capital dans les pays développés se partage actuellement entre deux moitiés approximativement égales : capital logement d'une part, et capital productif utilisé par les entreprises et administrations d'autre part. » (Idem, page 91.)
La tanière, d'abord... Le terrain de chasse, ensuite... Le petit-bourgeois est paré... Toute la science économique vient de s'effondrer dans un grand bruit de vaisselle brisée et de lavabos qui se vident. Faisons nos comptes, et réjouissons-nous :
« Pour simplifier, dans les pays riches des années 2010, chaque habitant gagne en moyenne de l'ordre de 30.000 euros de revenu annuel, et possède environ 180.000 euros de patrimoine, dont 90.000 euros sous forme d'actions, obligations et autres parts, plans d'épargne ou placements financiers investis dans les entreprises et les administrations. » (Idem, pages 91-92.)
Comme on le voit, la chasse est bonne... rapportée au confort général de la tanière... et aux moyens que celle-ci fournit pour repartir de l'avant.
Or, Thomas Piketty n'oublie pas d'aiguiser notre attention de petits rapaces :
« Il existe des variations intéressantes entre pays, que nous analyserons dans le prochain chapitre. » (Idem, page 92.)
Qui dit mieux ? A-t-on jamais vu pareils enfantillages s'affirmer avec autant d'apparente ingénuité pour régler des questions qui n'inquiètent rien que l'ensemble de la planète ?
Michel J. Cuny
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