Encore les universités !
On connaît la vieille blague : « Si vous voyez un banquier zurichois sauter par la fenêtre, sautez derrière, il y a de l’argent à gagner ! ». Version actuelle et un peu différente. Si vous voyez des professeurs de droit en grève défiler dans une manifestation, même si vous êtes anti-sarkozyste, ne les suivez pas et engouffrez-vous dans le premier bistrot venu pour boire un demi.
Ne vous laissez pas abuser par le fait que l’UNEF (de gauche) et son président, J.B. Prévost ou le SNES-Sup (idem) emboitent le pas ; les uns et les autres ne voient pas plus loin que leur carte du PS. Vont-ils défiler derrière l’Autonome-Sup, le syndicat enseignant le plus corporatiste et le plus réactionnaire ?
Sauf erreur de ma part, les enseignants de droit n’ont pas trop fait de grèves depuis la loi d’orientation des universités dite Loi Edgar Faure, votée en 1968. La seule exception tient peut-être à la Loi Savary (en 1983), mais il y avait là un aspect très politique (la Gauche venait d’arriver au pouvoir) qui n’est pas de saison dans le cas présent.
La loi Edgar Faure, faut il le rappeler, créant des universités nouvelles, plus ou moins pluridisciplinaires, avait supprimé les anciennes facultés, pour en faire, au sein des nouveaux établissements, de simples « Unités d’Enseignement et de Recherche », (UER), l’idée du Ministre (qui était lui-même agrégé de droit !) étant de casser, par là, les anciennes structures universitaires. On vit alors, à plein, le mode de fonctionnement des juristes, qui considèrent toujours que la loi s’impose à tous ... sauf, bien entendu, à eux-mêmes ! Dans toutes les UER juridiques de France circula aussitôt un modèle-type de statuts, car les UER devaient se doter de nouveaux textes, en conformité avec la nouvelle loi. Les deux premiers articles étaient les suivants
La loi Edgar Faure définissait également le statut des « enseignants-chercheurs » des universités qui devaient, en gros, partager leur temps de travail entre l’enseignement et la recherche. Le problème est, on le devine, que s’il est relativement facile (même si les choses sont parfois moins simples et évidentes qu’on le pense) de vérifier si un enseignant accomplit effectivement, dans l’année, les 192 heures de travaux dirigés ou les 128 heures de cours magistraux qui constituent son service, il est infiniment moins simple de contrôler et d’évaluer son activité de recherche.
La question est vaste et complexe et comme je ne dispose que d’un espace éditorial très réduit, je me limiterai au cas des sciences juridiques. A ce que j’ai entendu, aujourd’hui encore, le décret en cause, d’une part attenterait gravement au statut des enseignants d’université et conduirait, d’autre part, à ce que les enseignants qui n’auraient pas une « bonne » évaluation, pourraient voir augmentés leurs services d’enseignement, ce qui, comme concluait le bel esprit que j’ai vu causer dans le poste, conduirait à augmenter, éventuellement, le volume d’enseignement dispensé par des enseignants qu’on jugerait, par ailleurs, mauvais, ce qui est, en effet, un peu paradoxal.
Le problème, comme toujours, est que les journalistes laissent énoncer des sottises de cet acabit, sans corriger, ni même commenter, les propos. En effet, les enseignants « mal » évalués ne le seraient nullement sur leurs mérites pédagogiques (qui ne sont jamais évalués puisque, dans les universités, il n’y a aucun contrôle qualitatif de l’activité pédagogique. Il n’est pas illogique, dans un système où les activités d’enseignement et de recherche doivent occuper chacune 50% du temps de travail des enseignants que soit pris en compte le caractère effectif de cette répartition. Un enseignant qui ne fait pas de recherche (et ils sont nombreux en droit par exemple) fait un demi-service pour un salaire à plein temps. Est-ce normal et juste ?
Entendre dire que les enseignants de droit font grève pour défendre le statut des enseignants du supérieur ne peut que prêter à rire, car ce qui les émeut est la simple défense corporatiste de leurs intérêts propres. En effet, dans l’état actuel des choses, l’évaluation des enseignants ne se fait, en réalité, comme je l’ai dit, que sur la recherche, puisqu’il est, en principe au moins, inévitable d’accomplir le volume d’eneignement auquel on est statutairement astreint. Mais, rien n’oblige à faire de la recherche (en principe pour 50% de son temps de travail) et un nombre considérable d’enseignants du supérieur n’en font guère ou pas du tout. C’est vrai en particulier dans les filières juridiques où les professeurs font souvent beaucoup d’heures de cours supplémentaire et, pour certains, ont une importante activité extérieure de consultation et de conseil. Ils ont donc tout lieu de craindre de voir leur service d’enseignement augmenter, ce qui ne serait que justice par rapport à leurs collègues relevant d’autres filières disciplinaires.
Ce n’est donc évidement pas par hasard si, dans cette affaire du « fatal » décret, les enseignants de droit ont pris l’initiative de la grève. Il ne vous a pas échappé que, le 26 janvier 2009 je crois, Madame Pécresse a reçu, avant toiut le monde, un certain Paul-Henri Antonmattéi, « président de la conférence des doyens de facultés de droit », ainsi qu’une délégation de professeurs de droit. Ces initiatives ne s’expliquent que par le fait que les juristes se sentent très directement menacés par le décret, du fait même du peu d’activité scientifique de beaucoup d’entre eux dans le domaine de la recherche qui est, pour le moment au centre des évaluations.
L’amusant paradoxe est que les syndicats d’enseignants où les autres disciplines, lettres et sciences, sont très majoritaires, leur emboitent sottement le pas, pour des raisons exclusivement politiques et dans le seul espoir d’amener Pécresse à une reculade à la Darcos, alors qu’ils devraient, au contraire, appuyer une réforme qui va dans le sens de l’égalité et de la justice, en s’attachant, en revanche, aux seules modalités concrètes d’une réforme, dont on ne peut qu’approuver l’esprit général.
Je ne serais pas étonné que madame la ministre (énarque et ancienne chargée de cours à l’IEP de Paris, tout cela se situant dans la mouvance juridique) se laisse toucher par les argument du président de la conférence des doyens des facultés de droit et des délégations de juristes et qu’on nous concocte, en douce, un petit régime spécial de derrière les fagots pour ces pauvres juristes, pourtant qui, pourtant, ne sont soucieux que du salut et du bien- être de tous.
« Cedant arma togae » ?
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