Enjeu 2012 : La France devient un pays immergent, l’Italie aussi et l’Espagne avec

Il y a des décennies, les économistes parlaient de tiers-monde ou de pays sous-développés. Ce qui n’était pas très politiquement correct. Alors les économistes ont choisi de parler des pays en voie de développement, terme plus judicieux et du reste conforme aux tendances observées. Un pays sous développé ne peut être qu’en voie de développement dans un système économique ouvert. Par la suite, certains de ces pays ont franchi des étapes et sont devenus des pays émergents. Ce qui signifie qu’ils sont à l’image d’icebergs économiques, avec une partie du pays ou de la population offrant les caractères des pays de l’OCDE (ceux qui se sont définis comme développés) et une autre partie peinant à se développer et stagnant dans une situation de pauvreté. De ce point de vue, les nations occidentales furent, de 1900 à 1960, des pays émergents et maintenant, elles sont des pays industrialisés et très développées, membre du très select club de l’OCDE.
Ces pays émergents, ils sont devenus plus ou moins émergés. C’est notamment le cas de la Chine et du Brésil, pays membres d’une organisation hétéroclite baptisée BRICS. Et comme l’économie est globalisée, alors le développement des pays de l’OCDE devient problématique. Si bien qu’à la suite de la crise financière de 2008 et de la crise des dettes en 2012, la notion de pays immergent devient pertinente. Dans ces pays, le développement s’arrête avec plus ou moins d’impact sur la société. On pourrait même parler de pays en voie de stagnation. Dès les années 1990, le Japon a donné des signes d’essoufflement. Et maintenant, quelques observateurs locaux avisés évoquent le Japon comme un pays riche sous-développé, ce qui définit bien un pays immergent. Deux traits caractérisent les pays immergents. Le premier concerne la difficulté à maintenir la croissance et donc les moyens de financer un Etat social conséquent. La désindustrialisation est une tendance persistante, qui oppose ainsi, sur le vecteur de la croissance, les pays émergents et les pays immergents. Le second trait concerne la structure sociale. Le propre des pays émergents est de sortir progressivement le plus d’individus de la pauvreté. A l’inverse, dans les pays immergents, le nombre d’individus plongeant dans la pauvreté augmente, modérément certes, mais le phénomène se constate et ce n’est peut-être que le début d’une tendance assez légère mais sans doute durablement installée et dont ne voit pas le fond. La Grèce est en « pointe » dans ce domaine mais l’Italie et l’Espagne vont suivre tandis que la France ne pourra pas y échapper, qui que soit le président élu en mai 2012.
Les signaux sont devant nos yeux, accessibles à ceux qui veulent les prendre en considération. Les banques alimentaires font de plus en plus de collectes. De plus en plus de personnes ont des difficultés à payer leur loyer. Les restos du cœur ne cessent de voir affluer les postulants à l’aide alimentaire, sans parler des étudiants paupérisés et exploités par les marchands de sommeil. Enfin, signe qui ne trompe pas, l’Insee constate pour la première fois depuis des décennies une légère baisse du pouvoir d’achat détectée dans ses évaluations. Tout un symbole que cet infléchissement de la courbe du pouvoir d’achat qui déjà, s’était effrité pour une partie de la population française. Ce phénomène semble inconcevable pour le sens commun car dans un pays avec une croissance même molle, on ne comprend pas pourquoi tant de gens décrochent. C’est en fait que les ressources financières des plus aisés augmentent et que pour beaucoup, les revenus sont assez bien préservés. En vertu des vases communicants, il est logique de voir les ressources diminuer pour les populations qui ne bénéficient ni des opportunités de la haute finance, ni des protections accordées par des grands groupes ou par l’Etat. Les routes des vacances sont saturées, les stations de ski affichent des résultats tangibles, les relais cossus ne désemplissent pas, les carnets de commande de Porsche sont remplis, comme ceux de Ferrari, les trois étoiles se portent à merveille, les sacs Vuitton sont épuisés, mais une France décroche. C’est cela la dynamique d’un pays immergent. Avec des zones urbaines cossues et d’autres en désertification économique et sociale ; d’habiles professionnels sachant profiter des opportunités et de leur position, comme ces mandarins de l’hôpital qui s’en mettent plein la poche en utilisant les services publics, même chose ailleurs… Et pour finir, je mentionne l’addiction aux technologies onéreuses pour des résultats sans commune mesure avec les sommes d’argent dépensées.
Dans un pays émergent comme la France des années 1960, la jeunesse est porteuse d’espérance, d’impatience, de soif de vivre, d’entreprendre et de prendre un plaisir à l’existence vécue en partage. Tellement impatiente qu’elle finit par exploser en mai 68. Dans la France des années 2010, la jeunesse est déprimée, n’a plus confiance, se résigne ou s’avine, cherche à se sauver individuellement, se réfugie dans les technologies, est pessimiste, presque autant qu’en Grèce. Dans les pays émergents, la jeunesse est optimiste, au Brésil, en Inde, en Chine et même en Tunisie.
La prise en considération du pays émergent que devient la France permet de comprendre les contours de cette campagne présidentielle, avec des candidats coincés entre les illusions et les fausses solutions. Les politiciens sont désemparés pour parer à la conjoncture d’un pays immergent mais trouvent les ficelles pour persuader les populations de leur capacité à gérer le pays. Ce qu’ils font avec compétence mais en accentuant la tendance vers l’immergence. On peut toujours croire qu’on peut renverser la tendance ou du moins accompagner l’immergence en espérant quelques réformes permettant d’inverser la tendance. C’est ce dont rêve François Bayrou, lui qui croit réindustrialiser la France alors qu’il coulerait une entreprise au bout de deux ans si on lui laissait la direction. Pour preuve, l’autoroute Pau Bordeaux qu’il a voulu avec ses tripes et qui se révèle être un fiasco complet. Sarkozy est le mieux placé pour accentuer l’immergence. Hollande a pris conscience de la situation mais il est démuni. C’est le sentiment d’impuissance qui domine cette campagne et qui reflète parfaitement la réaction face au processus en cours dans un pays immergent. A l’inverse, un pays émergent a le sentiment d’être puissant et conquérant pour l’avenir.
L’immergence est donc le problème de la décennie. Quel avenir, quelle espérance, quelle voie emprunter dans le contexte d’une évolution vers une société immergente ? Les solutions passées sont inopérantes alors que l’option la plus plausible est celle d’un Etat autoritaire, seule solution pour contenir les désordres sociaux prévisibles. A moins qu’une alternative soit envisagée, celle d’un changement de civilisation vers une société florissante ? Allez-y, pensez, inventez, réfléchissez, vous n’avez pas exploré les possibilités accessibles à l’humain.
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