Entre intégrisme et intégration... le juste milieu ou l’histoire du poisson
Tous ces derniers événements m'ont rappelé un dialogue dans le livre Risibles amours de Milan Kundera. " Suppose que tu rencontres un fou qui affirme qu'il est un poisson et que nous sommes tous des poissons. Vas-tu te disputer avec lui ? Vas-tu te déshabiller devant lui pour lui montrer que tu n'as pas de nageoires ? Vas-tu lui dire en face ce que tu penses ?" Son frère se taisait, et Edouard poursuivit : "Si tu ne lui disais que la vérité, que ce que tu penses vraiment de lui, ça voudrait dire que tu consens à avoir une discussion sérieuse avec un fou et que tu es toi-même fou. C'est exactement la même chose avec le monde qui nous entoure. Si tu t'obstinais à lui dire la vérité en face, ça voudrait dire que tu le prends au sérieux. Et prendre au sérieux quelque chose d'aussi peu sérieux, c'est perdre soi-même tout son sérieux. Moi, je dois mentir pour ne pas prendre au sérieux des fous et ne pas devenir moi-même fou."
Je pense à ça quand je pense au meurtre odieux de Samuel. Kundera a aussi dit que souvent nous nous faisons l'allié de nos fossoyeurs. Moi, je me dis aujourd'hui, qu'il est nécessaire de ne pas se mettre en danger en essayant de parler avec des gens qui te disent qu'ils sont des poissons.
Je suis devenue végétarienne à mes 50 ans et pourtant je ne fais aucun prosélytisme. Pourquoi ?
Parce que je pense que le prosélytisme desservirait la cause animale. Si j'affirme aujourd'hui que les abattoirs sont une chose affreuse et qu'il ne faut plus manger de viande, et si j'affirme cela aux enfants de ma classe, je vais m'attirer la vindicte des parents de ma classe. "Comment ? Une enseignante qui dit aux enfants de ne plus manger de viande et de ne plus cautionner par ce biais la souffrance animale et les conditions de vie de ces animaux dans les élevages ( on coupe la queue des cochons, on leur rogne les dents, on maintient les truies en chaîne, et les vaches sont en permanence reliées à une trayeuse électrique.). Est-ce que cette enseignante est normale ? Nos enfants ont besoin de protéines pour grandir " Alors, je me tais sur ma conviction récente de ne pas cautionner la souffrance animale et je ne fais verbalement aucun prosélytisme. Que suis-je, moi, pour essayer de convertir les autres ? Il y a 20 ans, j'ai rencontré mon premier végétarien, Jérôme P. à l'Institut des maîtres. Me suis-je convertie pour autant ? Non, je l'ai cotoyé, on a mangé et discuté ensemble, mais je n'ai pas embrassé sa position. Je n'êtais pas prête. Il y a 7 ou 8 ans, j'ai rencontré Fred, un autre végétarien. Il ne fait aucun prosélytisme pour sa position existentielle antispéciste., il ne mange juste pas de viande. On a été invité chez lui, on l'a invité chez nous. Je n'étais pas prête encore. Ma fille a grandi. Elle a décidé de ne plus manger de viande à ses neuf ans. Elle m'a demandé pourquoi je mangeais de la viande. Qu'en manger, c'était cautionner leur abattage. Elle m'a fait comprendre que les animaux souffraient. J'êtais enfin prête. 20 ans après avoir rencontré mon premier végétarien. On dit que nos enfants sont nos aînés. Je suis devenue d'un coup végétarienne à 50 ans. J'ai renié les traditions familiales de viande à tous les repas. J'ai craint de ne pas tenir au départ. Même si de nos jours, les magasins offrent du choix varié de substituts végétaux à la viande. Je me disais que ce serait difficile à cause des barbecues et des repas de fête en famille. Toutes mes résistances étaient là. Mais non, ça a été plus facile que je ne le pensais. Pour les barbecues entre amis, on a mis des brochettes de Tofu fumé et au final, elles se mangent même plus que les brochettes de viande. Et pour les repas de fête, je mange des huîtres ( désolée pour les intégristes du végétarisme, j'ai l'impression qu'une huître ne souffre pas plus qu'une carotte. Peut-être que je me trompe...) , des pommes dauphines, de la salade et du fromage et je vais bien.
Mais est-ce pour autant que je fais du prosélytisme en classe et que je dis à mes petits élèves de ne pas manger de viande ? Non, j'aurais l'impression d'outrepasser mes droits.
Il y a un an, je me suis disputé avec ma belle-sœur qui défendait les corridas et qui trouvait le spectacle de tauromachie beau, elle l'assimilait à une fête familiale. Ma belle-sœur est basque. Je défendais le point de vue du taureau et je trouvais barbare les différentes estocades meurtrières faites au taureau et sa mise à mort abominable. Nous n'avons pas trouvé de consensus et à la fin de la discussion, la haine avait grimpé d'un cran entre nous deux. J'ai consenti à une discussion avec quelqu'un qui pensait à l'opposé de mes convictions. Et au lieu de se respecter l'une l'autre, nous avons attisé une forme de mépris réciproque. Il eût mieux valu que j'abdique de suite. Je ne comprenais pas que renier la corrida pour elle, c'était renier ses traditions et ses parents. Je lui en voulais d'être aussi obtue. Et pourtant, j'avais mis moi-même des années à remettre en question et à renier mes habitudes familiales.
Parfois, il me semble donc essentiel que lorsque deux parties ne sont pas arrivées au même niveau de conscience, il est inutile d'engager une discussion qui ne fera qu'attiser la haine. Une guerre d'égos inutiles où chacun croit que ses traditions et croyances font son identité et que l'autre souhaite nier cette identité. Aujourd'hui, je pense aussi à Jésus qui aurait dit : " pardonne leur, ils ne savent pas ce qu'ils font."
Il y a de toutes façons dans toute cette histoire un paradoxe à vouloir enseigner la liberté d’expression dans un pays qui impose un bâillon pour le faire. Au royaume des inquisiteurs, il me semble essentiel de balayer d'abord devant sa porte. Parler de Vichy et de la propagande me semble plus d’actualité que d'un prophète, nu ou pas. Rien ne justifie ni ne peut minimiser un acte barbare. Qu'on pense aux camps de concentration ou aux meurtres récents de Victorine ou Samuel. Mais en aucun cas, sous couvert d'un acte barbare, rien ne doit détourner l’attention et en profiter pour brandir l'étendard fragile de la liberté tout en incriminant dans un cas les hommes et dans l’autre les musulmans. Une réalité, c’est qu’on meurt en France parce qu'on croit qu'on peut y vivre librement.
Hier, j'ai vu le film "Abdul et Victoria". La reine Victoria s'est entiché d'un hindou prénommé Abdul qui va devenir son favori et son confident ( son munshi) au grand dam de son fils et de la cour d'Angleterre. Elle fait même venir l'épouse de Abdul et sa belle-mère, toutes deux vêtues en burka intégrale. La cour est choquée mais Victoria ne fait aucun pas pour les " évangéliser", au contraire, elle apprend l'hindi avec son munshi. Elle respecte les différences culturelles de son favori et S'installent alors une profonde amitié et un sincère respect entre Abdul et Victoria. Abdul ne quitte même pas le royaume alors que mourante, elle l'enjoint à le faire pour son bien à lui. Il est chassé d'ailleurs à sa mort et toutes les correspondances entre Victoria et lui seront brûlées.
La question qui me vient est : Faut-il à tout prix "évangéliser" les musulmans ? Faut-il les assimiler par la force aux principes de la laïcité ? Va-t-on se déshabiller à chaque fois pour leur montrer qu'on n'a pas de nageoires ?
Plutôt que d'acheter la paix sociale en donnant de l'argent aux banlieues et en les laissant tranquilles sur les trafics de drogues, plutot que de vouloir à tout prix les intégrer de force à notre culture alors qu'ils ne sont pas prêts, plutôt que de délirer sur les séparatismes et de les faire signer des engagements factices par rapport à une charte de laïcité, ne serait-il pas judicieux de se tourner vers des exemples d'intégration réussie comme ce qui se passe à Singapour ? Singapour regroupe des communautés musulmanes, chinoises, hindous, occidentales et toutes ces communautés vivent dans une harmonie que le monde entier reconnaît. Le gouvernement singapourien se donne un droit de cité dans les lieux de différentes confessions pour éviter les radicalisations mais il autorise des écoles de confessions différentes. Ils n'achëtent pas la paix sociale avec de l'argent mais avec du respect. Le risque d'acheter la paix sociale avec de l'argent mais pas avec du respect n'est-il pas de finir par créer une guerre civile si l'argent vient à manquer ?
Nota Bene : je n'ai fait aucune étude en politique et je laisse la politique aux politiciens et aux politologues. Je ne suis qu'une citoyenne lambda poussée en ce moment par je ne sais quoi ou je ne sais qui, qui m'oblige à sortir de mon indifférence habituelle sur tout ce qui concerne la chose politique. Donc ne pas m'agresser. J'écris intuitivement ce que je reçois.
Il me semble urgent d'alimenter un message d'amour que d'alimenter un message de haine entre nous. Chaque religion avant d'être pervertie par des vilains avait un "prophète", que ce soit mahomet, Jésus, Bouddha et leur message initial était : " Aime ton prochain comme toi-même !". Sans perversion, sans volonté extérieure, sans caricature des uns par les autres, on ne peut et on ne doit pas passer à la loi du talion."œil pour œil, dent pour dent."
Et je me demande aujourd'hui au moment où j'écris si ma liberté d'expression peut aller jusqu'à dire : "non, je ne suis pas Charlie." sans que l'on m'agresse, alors que ce message n'aurait aucune connotation intégriste mais une connotation d'amour et de respect universel.
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