Eriger des ponts entre les peuples vaut mieux que des murs
Les migrations existent depuis l’aube de l’humanité et celle-ci ne serait pas ce qu’elle est, sans les migrations : migrations de peuplement économiques d’abord, migration forcée de l’esclavage, migration « chair à canon » dans la lutte contre le nazisme par exemple et migration des travailleurs enfin, que l’on allait chercher dans leurs villages pour servir l’agriculture, l’industrie ou reconstruire l’Europe après la guerre. Ce n’est qu’avec la récession économique mondiale que les migrations ont été considérées comme un problème.
L'article 13 de La Déclaration Universelle des droits de l’Homme stipule : 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat, 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
Les migrations sont dues à des motivations, culturelles, sociales, politiques, trés souvent mises en avant ; mais très rarement l'on incrimine l'impact des décisions et de l’action des institutions financières internationales, par l’intermédiaire de la dette. Voici comment :
- Principaux mouvements migratoires : régions d’origine, régions de destination
- Le nombre de migrants atteindrait, dans le monde, 200 millions, soit 2 fois plus qu’il y a 25 ans mais à peine 3% de la population mondiale.
Ce chiffre est en augmentation très rapide (82 millions en 1970, 175 millions en 2000), et plus rapide que celle de la population mondiale, ce qui signifie que le fait migratoire n’est pas lié à la seule démographie. La proportion de femmes a considérablement augmenté ces dernières années, elles représentent actuellement 50% des migrants.
- Si 60% d’entre eux vivent dans les régions développées, 40% restent donc dans des régions peu développées ; cela signifie que les pays du nord sont encore loin « d’accueillir toute la misère du monde » contrairement à ce suggérait certains pour justifier une politique d’immigration.
- L’Europe est le premier continent d’immigration (UE 18% des migrants plus ancienne URSS 17%) mais la proportion vivant en Amérique du Nord augmente, l’attraction de l’Europe diminue.
Les migrants se répartissent de la façon suivante :
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56,1 millions vivent en Europe (y compris ancienne URSS) ; ils représentent ainsi 7,7% de la population européenne
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49 millions en Asie
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40 millions en Amérique du nord, représentant 13% de la population
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16 millions en Afrique
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6 millions en Amérique latine
- 5,8 millions en Australie
Le pourcentage de migrants vivant en Amérique du Nord et dans l’ancienne URSS a augmenté de 1970 à 2000 mais a baissé dans les autres régions du monde (passant de 23% à 18% des migrants en Europe).
Les principaux pays d’émigration sont la Chine (35 millions d’émigrants), l’Inde (20 millions) et les Philippines (7 millions). Les principaux pays d’accueil sont les USA (20% des migrants du monde), la Fédération de Russie et l’Allemagne.
Principaux motifs de migration
"Officiellement, on distingue trois motifs de migrations :
le regroupement familial,
l’asile politique et
le travail.
Dans la pratique, les raisons familiales, économiques et politiques se mélangent souvent. Et il ne faut pas oublier que les populations les plus pauvres des pays les plus pauvres ne migrent pas car elles n’en n’ont pas les moyens."
Il faudrait ajouter un autre motif qui n’est pas encore reconnu comme une cause « officielle » de migration mais qui ne manquera pas de l’être hélas, dans les années à venir : ce sont les causes écologiques.
1. Le regroupement familial
C’est un droit stipulé dans l’article 16 de la Déclaration Universelledes Droits de l’Homme : « La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat ». L’article 8 de la Convention Européennedes Droits de l’Homme dispose pour sa part que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». Ces personnes viennent donc rejoindre le plus souvent, un membre de leur famille qui a migré pour une raison économique ou politique.
2. Les migrations pour motifs politiques, liées à des régimes répressifs, à des guerres ou à des déplacements forcés
Selon le HCR, le nombre de personnes déracinées a approché en 2005 les 21 millions. Au cours des 20 dernières années, c’est l’Afghanistan qui a produit le plus grand nombre de réfugiés et c’est l’Iran qui a accueilli le plus grand nombre de demandeurs d’asiles (4,5 millions), suivi par le Pakistan.
Fin 2005, à eux deux, ces pays hébergeaient 1 réfugié sur 5 dans le monde. Beaucoup de demandeurs d’asiles viennent de pays en voie de développement et sont accueillis pour les 3/4 par d’autres pays en voie de développement. Le dernier rapport du HCR note une baisse de 14% des demandes d’asile dans les pays industrialisés par rapport à l’année dernière.
L’Europe ne reçoit qu’1/3 des demandes d’asile, mais reste en tête des demandes dans les pays industrialisés, devant l’Amérique du Nord. Les demandeurs sont principalement originaires de Chine, d’Irak, de Serbie-Monténégro, de Russie, et de Turquie.
Deux points à noter :
on voit d’une part ; que ces demandeurs d’asile sont originaires de zones de conflits armés ou de dictatures et ne sont pas des migrants économiques comme les discours officiels voudraient nous le faire croire, et d’autre part ;
on constate aussi qu’ils ne sont pas originaires des zones de conflits situés dans les régions les plus pauvres comme la République démocratique du Congo ou l’Angola. Disons le une fois encore, les pays riches n’accueillent pas toute la misère du monde !
- Le rapport du HCR signale une augmentation du nombre de "déplacés internes", personnes vivant dans des situations similaires à celles des réfugiés mais dans leur propre pays : 6,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leurs frontières nationales. La Colombie à elle seule compte 2 millions de déplacés. Et on pense bien entendu au Soudan, où fin 2005 le HCR dénombrait 842 000 déplacés.
Il faut rappeler ici le soutien des Institutions financières internationales aux dictatures, que ce soit en Amérique latine (Argentine, Chili...) en Afrique (Mobutu) ou en Asie. En Indonésie, la Banque mondiale a soutenu le projet de transmigration de Suharto qui a déplacé plusieurs millions de personnes, provoquant d’irréversibles dégâts humains et écologiques [2] .
3. Les migrations économiques ont deux origines
La dégradation des conditions de vie d’abord :
avec les programmes d’ajustement structurel, le démantèlement des services publics, les privatisations, les "restructurations", toutes ces mesures entraînent une augmentation massive du chômage dans les pays concernés. Les dévaluations, augmentation de la TVA, suppression des subventions aux produits de bases, entraînant une hausse importante du coût de la vie, rendant inaccessibles un certain nombre de biens de premières nécessités.
De plus, la dégradation du système scolaire détruit tout espoir pour les familles de voir leurs enfants accéder à une vie meilleure et enfin, la dégradation des systèmes de santé réduit considérablement l’espérance de vie. Pour absorber la main d’oeuvre rurale, la CNUCED(Conférence des nations Unies pour le Commerce et le Développement) insiste sur l’appropriation des technologies. En 2000, on estime que les adultes des PMA avaient été scolarisés trois ans en moyenne. Moins que dans les pays en développement en 1960.
L’accroissement des inégalités entre le Nord et le Sud ensuite :
il est démontré, à partir des indices économiques dominants. Selon le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), en 1975, le PIB par habitant dans les pays industrialisés était de 41 fois celui des pays à faible revenu, en 2005 il est de 66 fois supérieur !
D’autre part, les 20% les plus riches possèdent 74% du revenu mondial tandis que les 20% les plus pauvres se partagent 2% du revenu mondial. Enfin, soulignons aussi que plus de 550 millions de travailleurs vivent avec moins de 1$ par jour (au nord, malgré le coût élevé de la vie, les migrants gagnent 20 à 30 fois plus que chez eux).
On ne peut parler des migrations économiques sans évoquer le trafic des êtres humains, qui concernerait entre 700 000 et 2 millions de victimes et comprend les trafics de femmes et de mineurs, le proxénétisme ainsi que la traite de main d’oeuvre illégale. Il constituerait l’une des activités les plus rentables du crime organisé, avec des recettes appréciées à 12 milliards de dollars par an, trafic facilité bien entendu par le maintien des paradis fiscaux et du secret bancaire.
4. Les migrations écologiques
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se penchait récemment sur la question et estimait que "les migrations des réfugiés écologiques pourraient devenir l’un des plus grands défis démographiques du XXI siècle", avançant des chiffres de 25 millions de personnes concernées d’ici 2010.
Parmi les dégradations de l’environnement qui génèrent des déplacements de population on trouve : la déforestation, la désertification et la pollution qui sont le résultat, entre autre, d’une agriculture productiviste destinée à l’exportation. Certains dirigeants acceptent même les déchets toxiques des multinationales du Nord et empoisonnent ainsi l’avenir de leur population alors même que celle-ci est déjà privée des moyens de se soigner.
Ensuite, il y a les catastrophes dites « naturelles » dont le nombre a augmenté car elles sont en partie liées au modèle de développement actuel. On constate qu’elles font plus de victimes et de dégâts dans les pays pauvres car ils sont privés des différents moyens de prévenir et de se protéger de ces évènements.
Parmi les causes de déplacements, il y a aussi la construction de certaines infrastructures énergétiques (grands barrages, oéloducs...) qui sont des aberrations écologiques, financés là aussi par la Banque mondiale. Ces désordres écologiques sont liés aux choix politico-économiques mondiaux. Ils sont donc aussi les révélateurs de l’échec de ce modèle néolibéral.
CONCLUSION
L’évolution des migrations est pour l’essentiel liée au modèle économique néolibéral imposé au monde par les institutions financières internationales et la dette est l’outil dont elles se servent pour soumettre les populations à cette logique perverse. La preuve est que pour 1 dollar emprunté par les pays en voie de développement en 1980, ils en ont remboursé 11 à ce jour et en doivent encore 4 ! Par ailleurs, nous tenons à rappeler que les migrants ont envoyé 167 milliards de dollars vers leurs pays d’origine en 2005 ce qui représente une fois et demie l’Aide Publique au Développement mondiale.
Annuler totalement et inconditionnellement la dette et les Plans d’ajustement structurels est un impératif sil'on reconnait le droit des populations à se développer et à s’épanouir comme elles le désirent et là où elles le désirent.
Notre propos n’est pas d’annuler la dette en vue de lutter contre les migrations les quelles sont un droit humain fondamental. Le phénomène migratoire est un thème sensible car il soulève des questions complexes identitaires et sociétales, et c’est la raison pour laquelle il est instrumentalisé par le personnel politique, en particulier à chaque campagne électorale.
La « maîtrise des flux migratoires » sert parfois de prétexte à des pratiques discriminatoires, quand elles ne sont pas xénophobes et racistes, ne tombons pas dans le piège : la convergence entre la mondialisation, la dette et l’accroissement des migrations doit nous amener à nous interroger en priorité sur la logique même du système économique mondial fondé sur la concentrattion de richesses entre les mains d'une minorité dans chauqe pays et l'élargissement de la pauvreté dans tous les pays phénoméne ayant conduit les Nations unies à adopter un programme minimal d'actions appelé objectifs de dévelppement du millénaire.
Notes de lecture
Les 3 personnes les plus riches du monde sont aussi riches que les 48 pays les plus pauvres. Les avoirs des 84 personnes les plus riches dépasse le produit intérieur brut de la Chine avec ses 1,2 milliards d'habitants. Les 225 personnes les plus riches disposent d'une fortune équivalente au revenu annuel cumulé des 47% d'individus les plus pauvres de la planète, soit plus de 3 milliards de personnes. Selon le même organe des Nations-Unies, il suffirait de moins de 4% de la richesse cumulée de ces 225 plus grosses fortunes mondiales (évaluées à plus de 1000 milliards de dollars) pour donner à toute la population du globe l'accès aux besoins de base et aux services élémentaires : santé, éducation, alimentation. Rapport ONU - PNUD 1998 - disponible chez Economica, 49, rue Héricart, 75015 Paris Autres chiffres : 122 entreprises sont à l'origine de 80% de toutes les émissions de dioxyde de carbone Pour sa fabrication, un yacht de luxe nécéssite 200.000 heures de travail, soit 96 années de travail d'une personne (8 heures par jour, 5 jours sur 7). Ainsi, avec ce qu'il gagne en quelques jours, un milliardaire peut s'approprier la vie entière d'un autre être humain. Aux Etats-Unis, les 100 plus importants PDG gagnent chacun en moyenne 1000 fois plus que leurs salariés "ordinaires" La fortune personnelle de Bill Gates (50 milliards de dollars) est égale à la fortune cumulée des 106 millions d'Américains les plus pauvres... Le budget militaire américain de la seule année 2004 a été de 480 milliards de dollars, ce qui représente une dépense de 27.342 dollars par heure depuis la naissance du Christ. En 2002, George W. Bush a décidé une hausse des dépenses militaires de 40 milliards de dollars. |
« Je voudrais livrer ici quelques réflexions sur l'un des plus anciens exercices humains : le processus par lequel, au fil des années, et même au cours des siècles, nous avons entrepris de nous épargner toute mauvaise conscience au sujet des pauvres », explique John Kenneth Galbraith dans L'Art d'ignorer les pauvres. Ce texte, suivi de deux autres documents consacrés à la guerre contre les pauvres, constitue le premier volume de la collection Prendre parti, une sélection d'articles issus des archives du Monde diplomatique abordant les questions cruciales d'aujourd'hui et de demain. , il est introduit par une préface de Serge Halimi
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