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Accueil du site > Tribune Libre > Est-il raisonnable de continuer à déraisonner en économie ?

Est-il raisonnable de continuer à déraisonner en économie ?

Pourquoi continuons-nous à accepter ce qui n'a pas grand sens... ou du moins ce dont le sens est inconnu de tous ?

Comment savoir ce qui se passe vraiment ?

Voilà une heure et demie que nous avions quitté Paris. Besoin de savoir où nous nous trouvions, car nous étions partis en retard. Quelques secondes plus tard, grâce à mon iPhone et à Google Maps, j’avais la réponse : nous nous trouvions encore au Nord de Macon.
 
En regardant, mon écran, je ne pus m’empêcher de laisser échapper à voix basse, mais suffisamment haute pour que mon voisin pût m’entendre : « Tiens, nous venons de dérailler ! »
 
A son regard, je vis qu’il me prenait pour un fou. Aussi me tournant vers lui, je continuai, cette fois, à voix haute :
« Eh bien oui, selon mon iPhone, le TGV vient de dérailler. Le GPS est trop fiable. La technologie ne peut pas se tromper. Qui a raison lui ou nous ? »
 
Il me regarda alors, en pensant que vraiment, j’étais un fou. Je poursuivis, en tournant vers lui mon iPhone :
« Regardez mon écran. Voyez ce point, c’est notre train, et le trait le rail. Depuis un moment, le point n’est plus sur le rail. Donc nous avons déraillé. »
 
Je marquai une pause pour laisser un peu plus le malaise s'emparer de lui.
 
« Il est vrai que nous sommes dans le train, et que nous pouvons constater que le TGV n’a pas déraillé. Donc le GPS ou la carte de Google Maps doivent se tromper. Si notre train n’était plus sur les rails, nous nous en serions rendus compte. Mais maintenant imaginez que vous êtes au siège de la SNCF, que vous suivez grâce à ce logiciel le bon déroulement des voyages en TGV, et que vous vous fiez là-dessus pour déclencher les alertes. Vous êtes devant un tableau de commandes, vous n’êtes pas dans le train, vous avez seulement cette application. Pour vous, c’est sûr, le train a déraillé. Donc vous déclenchez l’alerte, vous envoyez gendarmes, secours, hélicoptères, et tutti quanti ! »
 
Il me regarda en souriant et nous avons continué à parler de la fragilité des tableaux de bord et des outils de pilotage.
 
Car, ainsi va la vie, nous croyons avoir accès au réel, alors qu’en fait, nous n’avons accès qu’à une représentation du réel, et nous n’arrêtons pas d’envoyer des hélicoptères pour des TGV qui n’ont pas vraiment déraillé.
A propos, sommes-nous si sûrs que le PIB mesure vraiment ce qui se passe dans un pays ? Et les taux de croissance et d'inflation ? Et les prévisions sur ces mêmes indicateurs ? Sommes-nous en train de dérailler ?
 
Défiance, affirmation et autoréalisation

Dans un article paru sur ce blog le 15 mars 2010, je me faisais l’écho de la conférence tenue par Yann Algan en décembre 2009 à l’École Normale Supérieure. Dans cette conférence, il montrait qu’il y a un lien direct entre le niveau de confiance dans un pays et la performance économique : par exemple, plus le degré de confiance est élevé, plus le pourcentage d’investissement l’est aussi, ce qui « est d’autant plus fondamental dans nos économies d’innovation ». Ou encore, moins il y a de confiance, moins il est facile de créer une entreprise, car plus les contrôles sont tatillons et multiples.

Or que faisons-nous en ce moment en Europe, et singulièrement en France, à part développer un climat de défiance ? Et cette défiance est généralisée : vis-à-vis des dirigeants publics comme privés, vis-à-vis du futur comme du présent, vis-à-vis du reste du monde comme de ses voisins immédiats.
 
Cette défiance est notamment nourrie par la cascade constante des calculs économiques et des prévisions. Défiance qui accélère donc la récession et la dimension des problèmes… rendant les prévisions pessimistes encore plus vraies.
 
Que pensent les économistes de leurs prévisions et du sérieux du calcul économique ?
 
La lecture du numéro de juin-juillet 2010, de la revue Jaune et la Rouge, revue des anciens de l’École Polytechnique, qui était consacré aux « Nouveaux défis de la théorie économique »1, est instructive :
 
- Patrick Artus, Directeur des études et de la recherche de Natixis, y disait que les économistes utilisaient des « modèles mathématiques (…) très éloignés de la réalité » et qu’il était difficile de «  prévoir l’économie dans un monde d’équilibres multiples, ou, de manière équivalente, de crises systémiques ».
 
- André Lévy-Lang, ancien Président de Paribas, écrivait que : « C’est sans doute la faiblesse la plus grave des premiers modèles utilisés par les financiers, ils ne prennent pas en compte le comportement des acteurs des marchés. ». Il ajoutait ce propos paradoxal et du style méthode Coué : « Et pourtant, avec ces modèles très imparfaits, voire faux, les marchés de dérivés se sont développés, et ils ont permis, en trente ans, de créer beaucoup de richesses, non seulement pour les financiers mais pour l’ensemble des économies mondiales. »
 
- Thierry de Montbrial, fondateur de l’Institut français des relations internationales et ancien Directeur Général du Centre d’analyse et de prévision, était encore plus net en disant que : « L’incertitude pure affecte à des degrés divers la vie de tous les hommes. Chacun a sa part, fut-elle modeste, de création et de liberté. C’est pourquoi aucun raisonnement probabiliste ou statistique ne pourra jamais enfermer durablement les comportements humains même agrégés. (…) On ne doit pas prendre la science économique trop au sérieux, c’est-à-dire jusqu’au point de métamorphoser des modèles théoriques en dogmes ou idéologies, ce qui est manifestement une tentation pour certains scientifiques en mal de notoriété. »
 
Mais donc si l’on ne peut pas prendre la science économique au sérieux, pourquoi donne-t-on tant d’importance à des données comme le PIB ou le taux de croissance ? Pourquoi s’appuie-t-on dessus pour évaluer la performance d’un pays, son risque et le taux d’intérêt pour ses emprunts ?
Car ce taux d’intérêt sera lui bien réel, et conditionnera alors la capacité du dit pays à faire face à ses dettes, dettes qui sont elles-aussi bien réelles ?
Est-ce bien raisonnable de continuer à déraisonner ?
 
(1) voir « On ne doit pas prendre la science économique trop au sérieux  »

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16 réactions à cet article    


  • Aldous Aldous 19 janvier 2012 09:37

    Exactement ce que j’allais dire.

    Le pilotage aux instruments permet de dire aux gens qu’il n’y a pas d’inflation, que le chômage est maitrisé etc.

    Et ça nous expose aussi aux agences de notation anglo-saxonnes qui peuvent du coup dire le contraire au doigt mouillé quand ça les arrange.

    Mais une chose est certaine : Quand on pilote le nez sur les instruments sans regarder dehors, on fini souvent dans le décors.


  • jef88 jef88 18 janvier 2012 19:50

    ils ont permis, en trente ans, de créer beaucoup de richesses, non seulement pour les financiers mais pour l’ensemble des économies mondiales. »

    Et la crise de la dette ???
    Une richesse pour les banquiers !!!


    • Aldous Aldous 19 janvier 2012 09:52

      « les marchés de dérivés se sont développés, et ils ont permis, en trente ans, de créer beaucoup de richesses »

      Comment peut ont appeler de telles conneries « science » économique ?

      Les produits dérivés, par nature, ne créent strictement aucune richesse.
      Ce sont des investissement purement financiers et donc parfaitement stériles.

      Ceux qui créent de la richesses ce sont les industriels, les travailleurs, les paysans qui produisent des biens de consommation courante.

      Comment peut-on laisser les commandes du Titanic occidental à des abrutis incapables de voir que la financiarisation de l’économie est un iceberg et que nous allons tous y passer si on met le cap dessus ?

      Les USA et la GB sombrent à cause de cette illusion stupide et criminelle.

      Tous le monde ne peut pas être la Confédérations Hélvétiques.


    • Jason Jason 18 janvier 2012 20:43

      Que les financiers s’amusent avec des modèles (comme celui qui a mené aux théories des subprimes testé sur seulement 5 ans) qui leur donnent le vertige, ça les regarde. Mais à condition que ce soit avec leur argent.

      Mais que des dirigeants s’bandonnent au laisser faire, et aux martingales et autres recettes, cela mérite le pilori.

      Conclusion, personne n’est responsable, et tout continue comme devant.

      Le train a déraillé ? Bah, c’est la vie des autres...


      • easy easy 18 janvier 2012 23:58

        Très mauvais votre exemple du train.
        Si même un régulateur du train se fiait à un appareil comme le vôtre, d’une part il saurait depuis des lustres qu’il y a une incertitude relative et d’autre part qu’un point qui continue de se déplacer régulièrement, même « à côté des rails » signifie que le train roule normalement.


        • Robert Branche Robert Branche 19 janvier 2012 00:07

          Merci, mais ce n’est qu’une métaphore, tirée d’une anecdote réelle, et qui n’a pas vocation à être représentative d’une situation réelle smiley


        • Aldous Aldous 19 janvier 2012 09:59

          Ben, la métaphore me semble d’actualité.

          Les paquebots de croisière par exemple sont maintenus sur leur cap par des systèmes GPS et des cartes numériques des fonds marins.

          Si on se fie trop au GPS on peut être tenté d’aller faire le mariole à quelques mètres de la côte pour faire plaisir au chef serveur.

          Oui mais si le GPS déconne on se retrouve sur les récifs.

          Exemple purement imaginaire, et ou rapport avec des faits ou des gens réels serait purement fortuit.

          Au fait à quelle moment s’est-il mis à déconner ? Juste par curiosité.

          (Au passage les GPS sont volontairement déréglés par ordre du Pentagone en cas d’opération militaire pour éviter que l’ennemi ne puisse l’utiliser à des fins stratégiques.)

           


        • Robert Branche Robert Branche 19 janvier 2012 11:54

          Effectivement je n’avais pensé au Costa en écrivant ces quelques lignes...


        • Sarah29 19 janvier 2012 15:42

          D’accord avec easy.

          @ l’auteur : votre voisin dans le train a du vous prendre pour un imbécile heureux, mais peut-être en avez-vous l’habitude ?


        • Robert Branche Robert Branche 22 janvier 2012 12:05

          @Sarah29 : Non mon voisin ne semble pas m’avoir pris pour un « imbécile heureux », car tout ceci fut l’occasion d’une discussion qui a duré une bonne demi-heure, et, au terme de laquelle i semblait avoir compris ma métaphore, et le danger du pilotage par des tableaux de bord...

          Ceci écrit, cela ne me gêne effectivement pas de passer pour un imbécile, heureux ou pas... smiley

        • snake 19 janvier 2012 15:09

          Vous avez raison de pointer du doigt les modèles mathématiques desquels ils tirent leurs certitudes. 


          Je suis de formation scientifique et ai étudié ces fameuses équations. J’ai donc un grand respect pour les mathématiques, mais l’absurdité de ces équations est évidente. Sans rentrer dans les détails, ils se basent sur des hypothèses qui ne sont, dans la réalité, jamais vérifiées. Ils prétendent chiffrer l’« efficacité », le « rendement » (et j’en passe) de manière parfaite. 

          Et à la fin, ils nous disent « regardez, voilà pourquoi il faut du libéralisme », alors même que le résultats qu’ils obtiennent est contestable. Oui, en se basant sur leurs hypothèses fumeuses, ils trouvent que le libéralisme est « optimal ». Mais ils ne se demandent même plus en quoi il est optimale. Qu’est ce qu’il optimise ?! Et en vérité, la seule chose qu’elle optimise sont les profits (et encore... Je ne parle ici que d’une variable mathématique... Rien à voir avec la réalité). Profit monétaire d’un côté, et « bien être » de l’autre. Mais qui en profite ? Là, ils ne savent plus. Leur modèle converge vers un optimal moyen mais ne dit rien sur les inégalités qui le définissent. Une société d’esclavagisme pourrait parfaitement correspondre à cet équilibre... 

          • herbe herbe 22 janvier 2012 10:49

            J’ai deux questions cher auteur qui semblez être de bon conseil !!!


            Pourquoi malgré l’action de nombreux consultants comme vous, lanceurs d’alerte, depuis au moins vingt ans en est on arrivé là ?

            Pouvez vous me donner au vu de votre position actuelle des signaux positifs quand à notre avenir et au changement de société et changement de paradigme urgent et nécessaire ?

            Je crains que nous soyons appelés à ça : http://fr.wiktionary.org/wiki/anachor%C3%A8te
            face à la « déraison » générale...

            • Robert Branche Robert Branche 22 janvier 2012 11:32

              Difficile de répondre à votre pertinente question.

              Première façon de répondre - et ce n’est pas une boutade, mais profondément ma façon de penser - ; si nous en sommes là, c’est que nous devions l’être. Nous ne pouvons échapper au réel, et il est illusoire d’imaginer que quelque chose aurait pu se produire. Comme l’a écrit Bergson en son temps, c’est le réel qui fait le possible, et non l’inverse...
              Deuxième façon de répondre : comme le développe Edgar Morin, la mutation de systèmes complexes se provoque au « dernier moment », c’est-à-dire quand leur survie est en jeu. Cette mutation commence en des lieux cachés, car sinon cette mutation serait empêchée par les forces en place. Cette mutation donc a peut-être commencée, et probablement, mais n’a pas donné ses effets.
              Troisième façon de répondre : en agissant. C’est pourquoi j’écris, et communique sous mon vrai nom, et multiplie les prises de paroles (livres, articles, conférences...). Et je ne compte pas m’en tenir là...

            • herbe herbe 22 janvier 2012 11:41

              Merci pour vos réponses !


              En ce qui concerne la troisième, j’ai fait le voeu comme vous de ne pas me relâcher dans l’action (ah Sisyphe !), toutes les actions (sous mon vrai nom et aussi avec mon pseudonymat qui m’offre la possibilité de me dégager de certaines contingences et aussi de viser une certaine qualité :

              Bonne continuation..

            • herbe herbe 22 janvier 2012 11:47

              Juste pour compléter par rapport à ce que je disais au sujet des contingences, je viens de m’apercevoir que ça se recoupe avec une partie de votre deuxième réponse à savoir :

              « Cette mutation commence en des lieux cachés, car sinon cette mutation serait empêchée par les forces en place. »

            • 23101925 23101925 22 janvier 2012 11:55

              "  On ne doit pas prendre la science économique trop au sérieux « 


              Parler de »sciences«  »économiques« , c’est déjà chevaucher l’imposture, consciemment ou inconsciemment. 

              Mais évoquer la probabilité d’une conscience chez »les économistes« , c’est chevaucher l’oximoron en furie.

              Enfin, faut bien impressionner le petit peuple, avoir du galon, parler latin, se congratuler entre »consultants« , »experts« , spécialistes », économisses.. Se congratuler de « congrès » en G-machin..

              Tous les Diafoirus qui pérorent et, comme le dit Herbe, n’ont rien vu rien compris rien pu.. devraient revoir leurs traités d’économisterie, comme il y a des traités de fumisterie.

              Un peu d’épistémologie l’auteur, revoyez tout votre discours et expliquez bien au petit peuple le mécanisme phare de l’industrie de la finance pour commencer :

              - Je vous achète un fafiot 100 euros, je le revends à Mimile pour 1000, qui le revend à Tonton pour un million et celui-ci le revend à Gérard pour un milliard, et je rentre à nouveau dans la danse et on recommence.. On va pas s’arrêter, on s’enrichit !

              Quoi ? Y’aurait de l’illégal là-dedans ? Expliquez-nous, les textes interdisant..

              Ah ! faudrait rebaptiser les CDS, les« produits dérivés » ?

              Ah ! y’a que les banksters qu’on le droit direz-vous ?

              Là oui. Je vous crois.

              Marx, entre autre, avait déjà vu tout ça y’a presque deux siècles déjà. Un système de filous où tout le monde s’endette en rond (tenez, me vient un contrepet que la décence m’interdit..) 

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