Estimations des décès liés au Covid-19 à domicile par le certificat de décès : naïveté ? Poisson d’avril ? Arnaque délibérée ?
Mots clefs : certificat de décès, coronavirus, covid-19, décès à domicile, médecins généralistes, revue de presse/web, santé publique, syndicat MG France.
On peut mourir du coronavirus.
On meurt du Covid-19.
Tous les soirs la France fait le décompte des informations collectées, le bilan du SARS-CoV-2[1].
L’information semble être comme les virus, elle vient par vagues…ou pas.
Un petit tour de l’actualité récente[1b] fait qu’on peut être pour le moins dubitatif.
Nous avons eu une première vague de titres dans la presse et sur le web, à une époque où les décès dans les Ehpad peinaient à être connus.
Le 24 mars 2020, on pouvait consulter CheckNews[2]. Une page de fact-checking en accès libre (dans la limite des visites offertes il semblerait)[3][4]. Nous pouvions lire : « […] contrairement à ce que le bilan quotidien pouvait suggérer jusqu’alors, le décompte funèbre livré chaque soir par le directeur général de la Santé ou son ministre de tutelle n’est pas exhaustif, les décès survenus à domicile ou dans les Ehpad n’étant pas comptabilisés. ». Nous apprenions alors : « Vendredi dernier, Jérôme Salomon avait toutefois expliqué que le dispositif de surveillance qui se met en place via les médecins de ville permettrait d’avoir des éléments statistiques sur cette mortalité hors milieu hospitalier. ».
Les choses se mettraient en place.
On pouvait lire également : « Les plus de 1 000 décès enregistrés à ce jour à l’hôpital dans le cadre de l’épidémie de coronavirus « ne représentent qu’une faible part de la mortalité » en France, a indiqué ce mardi 24 mars le directeur général de la Santé. »[5].
On semble pressentir les proportions de l’épidémie.
Le 25 mars 2020, on lisait « Coronavirus : les décès à domicile et dans les Ehpad bientôt comptabilisés »[6].
Les précisions semblent venir incessamment.
On peut également lire : « Les décès à domicile hors des radars »[7]. Les tests de dépistage y compris post-mortem sont discutés. Il semblerait que l’Italie teste déjà les personnes décédées. En France le contingent de patients testés semblerait dérisoire. Dans le même article, on trouve également : « Michel Kawnik, président fondateur de l’Association française d’information funéraire, reçoit chaque jour des appels de proches qui demandent des renseignements sur l'organisation de funérailles en cette période d'épidémie. Il observe que "depuis quatre ou cinq jours, sur une vingtaine d’appels journaliers, il y a deux à trois appels concernant des décès suite à Covid-19, environ 15%, dont les trois quarts se sont produits à domicile". ». La procédure de recensement des décès est remise en question. Mais cela ne la disqualifie pas « aux yeux du responsable presse de l'ARS francilienne, car "quand on a choisi un indicateur, il faut s'y tenir", et celui-ci "permet de voir la dynamique de l'épidémie et de savoir où il faut mettre plus de moyens". » [7].
On parle de personnes décédées et de dynamique. Le choix des mots est toujours délicat. Surtout dans les discours techniques.
C’est aux alentours du 6 avril 2020 qu’apparaissent les funestes chiffres concernant les Ehpad[1].
Les malades hospitalisés qui s’en sortent retournent à leur domicile. Mais on ne semble toujours pas décompter ceux qui y décèdent.
Deuxième vague et non seconde vague.
Le 11 avril 2020, une question interpelle : « Coronavirus : les morts à domicile, autre zone d'ombre du bilan ? »[8]. On lit : « […] les morts à domicile, sans passer par une hospitalisation, ne sont pas mentionnés. Mais les chiffres de l'Insee, publiés ce vendredi, laissent à penser que cela pourrait représenter un nombre non-négligeable de morts. ». Jérôme Salomon aurait précisé : « "On aura un jour la part des décès survenus à l'hôpital, que je donne, ceux survenus en institution et le delta qui correspond aux décès en ville, à domicile" ».
Un jour notre chiffre viendra…
On parle de delta (du Rhône, près de Marseille ? Message subliminal ?). Delta peut-être, mais pour les proches des disparus ce delta n’est certainement pas epsilon. Mais bon il ne s’agit que de chiffres…
Le test post-mortem est de nouveau évoqué : « La méthodologie du décompte des morts est à l'origine de ce bilan sans doute incomplet. En France, contrairement à l'Italie par exemple, le dépistage post-mortem n'est pas systématique. Une personne non testée, morte en Ehpad ou à domicile, ne sera jamais comptabilisée dans les bilans des morts du Covid-19. De fait, le Haut conseil à la santé publique expliquait dans un avis daté du 24 mars ne pas "recommander de réaliser un test de diagnostic d’infection par le SARS-CoV-2 chez les personnes décédées" »[8].
En France on décrète, on décide, on recommande, on parle… Il suffit d’énoncer pour expliquer. Je pense donc tu suis, drôle d’adage. Nous, nous aimerions juste comprendre. Notre réceptivité aux explications serait donc bien réfractaire. Ah, ces gaulois…On se demanderait si les explications seraient toutes avouables.
Le 12 avril 2020, on trouve un article de terrain touchant : « Coronavirus. Les morts à domicile, victimes invisibles du covid-19 »[9]. Les témoignages sont multiples : médecin généraliste, citoyenne, maire, SOS médecins, responsable d’études démographiques à l’INSEE, avis mortuaires de la presse quotidienne régionale, épidémiologiste de Médecins sans frontière… On parle de morts « derrière les portes ». Les points de vue et les ressentis convergent. C’est juste une perception populaire. On raconte l’histoire d’un médecin généraliste qui « glissera ce mot sur le certificat de décès : "suspicion de covid". Sans savoir si cela aura un effet sur les statistiques. ».
Le 14 avril 2020, une déclaration intéressante. Elle indique que tous les « "[…] décès font l’objet d’une surveillance par l’Insee qu’on appelle de la mortalité toute cause (qui) sera disponible en détail demain" » [10].
Nous qui étions en quête de détails et de précisions. L’Insee veille et sous peu nous allions avoir des informations sur la mortalité toute cause. On se demanderait presque ce à quoi l’Insee est occupé au quotidien, la surveillance de la mortalité toute cause ne serait-elle donc pas une tâche régulière de l’Insee ?
Le 21 avril 2020, un médecin généraliste témoigne : « Quand j’appelais le 15 on me disait ‘’quel âge’’ ? Sous-entendu, si trop vieux, qu’il reste chez lui. Les réanimations étaient pleines. »[11]
On se dit que la problématique des décès à domicile va finir par être traitée rigoureusement. Anne ma sœur Anne…
Troisième vague (ou troisième épisode de la saga de Brice de…Marseille ?) …
Le 23 avril 2020 le syndicat de médecins généralistes MG France annonce « 1,8 million de personnes consultant pour Covid en médecine générale depuis le 17 mars, 340 000 durant la semaine du 6 au 12 avril, près de 9 000 décès en ville en rapport avec le virus »[12].
À partir du 26 avril 2020, la presse s’empare du chiffre et l’information diffuse alors[13]. Le chiffre de +9000 peut être discuté. Avec la même étude et les mêmes données, on pourrait tout aussi bien (mieux ?) le réévaluer à +4500[14]. L’exploitation de ce résultat et l’enchaînement de cette annonce avec la publication d’une tribune deux heures plus tard[15] peuvent interroger[14].
Le chiffre de +9000 décès correspond à la date d’arrêt de l’enquête : le 12 avril 2020[16]. À cette date il était décompté 14393 décès dont 9253 à l’hôpital[1][14]. Que ce soit +9000 ou +4500 la correction serait majeure.
Cette information a un grand mérite, elle replace assez vigoureusement le chiffrage des décès à domicile liés au Covid-19 sur l’espace public (on se dit que cela devrait farter…).
Rien ne semble bouger spontanément. Comme souvent en politique, il faut attendre la séance de questions à l’assemblée nationale du mercredi 29 avril 2020. Lors de cette séance, le sujet des décès à domicile a été abordé[17][18]. Il est annoncé que le nombre de décès liés au Covid-19 à domicile sera communiqué « au mois de juin ». Il sera établi sur la base des certificats de décès.
Un coup d’épée dans l’eau ? (clap de fin pour Brice ?)
Pourtant…
Pourtant la grippe saisonnière tue chaque année.
Pourtant le CépiDC (Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès) est un service de l'Inserm dont une des missions est la production des statistiques nationales sur les causes médicales de décès[19][20][21]. Le CépiDc centralise l'ensemble des certificats médicaux des décès survenus sur le territoire.
Pourtant il est possible d’interroger « les données sur les causes de décès de 1980 à 2016 »[22]. En particulier le libellé sur la cause de la grippe :
Pourtant, de 1980 à 2016, le nombre de certificats de décès portant la mention « grippe » semble varier grosso modo entre 100 et 3000, avec une moyenne annuelle de 930. Il faut bien entendu reconnaître que la population de la France a évolué de 1980 à 2016. On pourrait pondérer ces valeurs brutes. Des rapports sont disponibles[22b].
Pourtant il existe des décrypteurs qui expliquent clairement les faits[23][24] : sur les dernières années on parle de 10000 décès par an imputables à la grippe et les certificats de décès en mentionneraient en moyenne 500 par an.
Pourtant la presse le sait. En 2017 on pouvait lire : « « Bien souvent, les médecins ne savent même pas que le défunt était porteur du virus, ce n’est donc pas inscrit sur le certificat », explique Pierre-Yves Boëlle, biostatisticien et professeur en épidémiologie à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris). « Chez les personnes âgées touchées par la grippe, l’essentiel des décès survient avec retard par rapport à l’infection grippale, soit parce que des bactéries profitent de la faiblesse du patient pour le surinfecter, soit à la suite des décompensations liées à un état général précaire. Dans ce cas, la grippe n’est souvent pas mentionnée sur le certificat de décès », renchérit Daniel Lévy-Bruhl, épidémiologiste à Santé Publique France. »[24b]
Pourtant l’Insee affiche : « la grippe tue en moyenne 10 000 personnes en France chaque année »[25].
Pourtant l’institut Pasteur indique chaque année « un excès de mortalité attribuable à la grippe de 10 000 à 15 000 décès »[25b].
Pourtant le ministère de la santé affiche environ 10 000 décès en moyenne par an liés à la grippe[26].
Pourtant suite à la séance de questions à l’assemblée nationale il semblerait que l’ « agence nationale de Santé publique sera chargée de cette estimation, à partir de l’analyse des certificats de décès, qui mentionnent normalement la cause et le lieu de la mort. » [17].
Pourtant le 29 avril 2020, à l’assemblée nationale, Olivier Véran aurait déclaré : « “Non pas parce qu’il y aurait une volonté de cacher quoi que ce soit, (...) mais parce que ça nécessite d’être capable de traiter tous les certificats de décès, électroniques et non électroniques […]“ » [17].
Pourtant sur cette base on déclarerait que la grippe annuelle serait responsable de 500 décès par an en moyenne…
Pourtant le jeudi 29 mars 2020, Jérôme Salomon aurait annoncé : « que la France allait "progressivement basculer" vers "la surveillance syndromique en population", pour un meilleur recensement des cas. »[27]. Ainsi on peut lire : « "Nous allons de plus en plus basculer vers une surveillance adaptée à l'épidémie, c'est-à-dire à une évaluation réelle du nombre de cas d'après nos professionnels de santé". […] Le site data.gouv.fr[28], qui recense les données sur l'évolution de la pandémie, indique par ailleurs que "du fait de la difficulté de l’identification et de la confirmation biologique de l’ensemble des cas de Covid-19, les données présentées sous-estiment le nombre réel de cas." […] Pour pallier ces difficultés, la surveillance épidémiologique a été progressivement révisée : elle n'est plus basée sur le dépistage biologique, mais sur des estimations basées sur les données communiquées chaque semaine par un réseau de professionnels de santé (médecins généralistes, SOS Médecins, hôpitaux publics, Ehpad...) de l'ensemble du territoire. » [27].
Pourtant le site web du ministère de la santé continue d’afficher quotidiennement le nombre de cas confirmés[1].
Pourtant les réseaux Sentinelles et SOS Médecins sont bien impliqués dans les points épidémiologiques hebdomadaires[29].
Pourtant le syndicat de médecins MG France a bien réussi avec une enquête sur une semaine à consulter 2339 médecins de terrain[12][14] et à produire une évaluation de +9000 décès à domicile liés au coronavirus à la date du 12 avril 2020.
Pourtant le réseau sentinelle composé de 1300 médecins généralistes sur le terrain[30] pourrait proposer une évaluation de ce type.
Le citoyen pourrait s’interroger…1300 médecins de terrains : font-ils cette évaluation ? Leur demande-t-on de la faire ? Si cette évaluation est faite la transmettent-ils ? Si ce travail est transmis, pourquoi aucun chiffre n’est-il communiqué clairement ?
Le 8 mai 2020. Une vague ? Une vaguelette ? Une réplique ? Surfons…
On lit « Coronavirus : une mortalité sous-évaluée en France, faute d’avoir tiré les enseignements des crises précédentes »[31].
L’article détaille, entre autres : « [Les] chiffres peu détaillés sont également partiels. "On a les deux tiers des Ehpad, mais il en manque, s'agace le docteur Jean-Paul Zerbib, médecin en Ehpad et président de l'Union nationale des médecins salariés CFE-CGC (UNMS). Je suis pessimiste et je pense que les chiffres manquants concernent les structures avec beaucoup de décès." Jean-Paul Zerbib rappelle "qu'il a fallu se battre" avec les autorités pour obtenir le nombre de morts dans les Ehpad en plus de la mortalité hospitalière, "et on n’a pas fini de compléter." Mais toutes les personnes âgées, particulièrement vulnérables au coronavirus, ne sont pas en Ehpad. Beaucoup sont suivies chez elles. » [31].
Une surmortalité serait constatée par l’Insee. L’article poursuit : « Là encore, il n'est pas possible de connaître dans l'immédiat la cause de ces décès. Mais Jean-Paul Zerbib, de l'UNMS, estime que ces morts sont majoritairement liés au Covid-19. Ils représenteraient "8 000 à 10 000" décès selon des "extrapolations du syndicat". Une estimation proche des 9 000 morts à domicile du Covid avancés par le syndicat de médecins généralistes MG France. Autant de morts qui ne sont pas comptabilisés aujourd’hui dans le calcul officiel. Pour appuyer sa démonstration, le docteur Zerbib rappelle que si les Ehpad hébergent 700 000 personnes âgées, on en compte 500 000 à domicile. » [31].
On peut remarquer que les 8000 à 10000 décès supplémentaires sont évoqués vraisemblablement à la date de l’article (8 mai, 26230 décès en France, 16497 à l’hôpital, 9733 en ESMS[1]). À la date de la clôture de l’enquête de MG France, le 12 avril, les chiffres étaient : 14393 décès, 9253 à l’hôpital et 5140 en ESMS[1][14]. Une règle de trois entre les deux dates semblerait indiquer que le chiffre de +4500 à la date du 12 avril serait peut-être plus plausible[14].
Alors, une évaluation des décès à domicile sur la base des certificats de décès comme annoncée le 29 avril ? On se dit que le poisson d’avril, c’est peut-être comme les vœux de la nouvelle année : on se donne un mois pour les faire.
On meurt de la grippe.
On meurt du coronavirus.
Avec des gestes barrières, des masques[32], des tests[1b] et une prise en charge précoce en médecine de ville[33][34][35] pour soigner (et aussi pour diminuer la charge virale donc la contagiosité ?)[36][37][38], on se dit qu’on aurait pu vivre et qu’on pourrait vivre avec…
… et ensemble.
Précédentes tribunes sur la thématique du Covid-19 :
Covid-19 : et si la France faisait confiance à ses généralistes ?
Covid-19 : que penser des essais cliniques avec groupe placebo en période d’épidémie ?
[1b] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/cheque-niouze-le-docteur-robinson-224170
[3] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/desinfox-coronavirus-fake-news-223962
[8] https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcspa20200324_cosacoprenchducodunpaco.pdf
[11] https://infodujour.fr/sante/33596-covid-19-et-si-tout-le-monde-setait-trompe
[12] https://www.mgfrance.org/actualites/2541-enquete-covid-2e-volet
[14] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/enquete-d-un-syndicat-de-medecins-223852
[18] http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2019-2020/20200199.asp#P2077062
[19] http://www.certdc.inserm.fr/public_view.php?ihm=102
[20] http://www.certdc.inserm.fr/public_view.php?ihm=107
[21] https://www.cepidc.inserm.fr/
[22] http://cepidc-data.inserm.fr/inserm/html/index2.htm
[23] https://www.agoravox.tv/actualites/sante/article/les-chiffres-de-la-mortalite-du-85661
[24] https://www.youtube.com/watch?v=KZXHbDqm1w8&feature=emb_logo
[28] https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/evolution-de-la-pandemie-de-covid-19-en-corse/
[30] https://www.sentiweb.fr/france/fr/?page=presentation
[32] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/covid-19-masques-azithromycine-223575
[33] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/antibiotiques-azithromycine-223696
[34] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/didier-raoult-collectif-laissons-223946
[35] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-azithromycine-aurait-un-role-224216
[36] https://www.mediterranee-infection.com/actualite-du-traitement/
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