Et au 7e jour, Dieu continua à travailler
Les projets de réforme impulsés par Nicolas Sarkozy ne vont pas sans poser de vrais défis à la société. C’est ce qu’explique en substance, Luc Binsinger, maire de la ville de Saint-Nicolas-de-Port (54).
Qui n’a jamais pesté contre un magasin fermé le dimanche ? Du cuisinier en herbe qui a oublié d’acheter l’ail pour le repas avec la belle-famille, à l’apprenti bricoleur qui désespère de ne pas trouver la bonne vis dans sa petite boîte à outils, nous nous sommes tous retrouvés un jour à maudire ce jour chômé accordé, pas tant à nous évidemment, mais aux autres.
Le projet de loi initié par Nicolas Sarkozy, au nom de son principe directeur « travailler plus pour gagner plus », prévoit d’autoriser l’ouverture des commerces le dimanche, d’encourager aux heures supplémentaires et de standardiser le travail dominical pour les volontaires.
L’idée est séduisante puisqu’elle semble répondre à deux autres principes directeurs du monde contemporain : « la liberté de faire » et « avoir - plus - pour être - plus - ».
Elle présente également le mérite d’offrir une alternative modérée à la politique des 35 heures « travailler moins pour gagner autant », mise en place sous le gouvernement Jospin, et qui coûte annuellement à la France 16 milliards d’euros pour des résultats sur l’emploi très mitigés : 300 000 emplois créés au lieu des 700 000 attendus (source INSEE).
Aujourd’hui, la stratégie de l’actuel président est diamétralement opposée mais l’objectif reste le même : relancer la croissance par la consommation. La politique d’accroissement individuel du temps de travail remplace la politique de réduction collective du temps de travail, remettant ainsi en cause deux ans après le jour chômé de la Pentecôte, le principe du repos dominical.
Entre avoir la liberté de travailler et l’obligation d’être flexible
Le repos dominical, qui trouve son origine dans la Bible, a été institué par la Loi du 13 juillet 1906, après un XIXe siècle écrasé sous le travail et la fatigue (semaine à 84 heures en 1848). Elle ouvre un droit obligatoire pour tout salarié de l’industrie et du commerce à un repos de 24 heures après six jours de travail. Mais au-delà des considérations religieuses, ce sont deux valeurs qui veulent être ainsi défendues par le gouvernement de l’époque : le repos et la famille. En 1919, la journée de travail passe à 8 heures, en 1936, la semaine passe à 40 heures avec l’apparition du week-end (samedi après-midi + dimanche - concept repris aux Anglais avec cinquante ans de retard), avant de descendre à 35 heures en 2002.
La réduction du temps de travail a joué un rôle important dans la hausse de l’espérance de vie, la réorganisation de la famille, le progrès social et l’évolution de la société : les parents s’occupèrent davantage de leur foyer et des enfants, les activités associatives et sportives se sont développées, tout comme la méditation, les voyages ou la lecture. Et même si plusieurs dérogations ont été nécessaires afin de tenir compte des particularités de chaque métier (hôtellerie par exemple), ces modifications n’ont jamais remis en cause la supériorité du repos et de la famille sur l’intérêt marchand.
Or, c’est précisément là que l’on s’aperçoit que le projet de loi Sarkozy peut avoir des effets insidieux. Que la poursuite d’objectifs différents rend non seulement des politiques de développement incompatibles entre elles (dynamiser le commerce / augmenter le temps de travail / reconstruire l’unité familiale / valoriser l’éducation parentale) mais risque aussi d’opérer une nouvelle mutation de notre société.
En outre, le point fort de cette politique du « libre-service » est également son point faible : la liberté supplémentaire octroyée dans une société déjà ultra-compétitive risque d’accentuer encore la course à l’argent et de culpabiliser nombre de parents, partagés entre leur volonté de conscarer du temps à leurs enfants mais aussi de leur offrir un niveau de vie au moins comparable à celui du voisin.
Enfin n’oublions pas que la personne qui décide et licencie dans une entreprise reste le patron. Aussi, cette liberté de travailler plus ne risque-t-elle pas d’obliger le salarié à faire preuve de plus de flexibilité, et de faire du travail dominical un droit forcé ?
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